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Kheiron
Nous trois ou rien
Sortie le 30 décembre 2015
Article mis en ligne le 6 décembre 2015

par Charles De Clercq

Synopsis : Le destin exceptionnel d’Hibat et Fereshteh Tabib, les parents de Kheiron, résistants iraniens face à la dictature du Shah puis à celle des islamistes. Des confins de l’Iran aux banlieues parisiennes, une autobiographie aux airs de conte universel qui évoque avec humour et émotion l’amour familial, le don de soi et surtout l’idéal d’un vivre ensemble pour lequel Hibat et Fereshteh ont mené un combat sans merci depuis plus de 40 ans.

Acteurs : Kheiron, Leila Bekhti, Zabou Breitman, Gérard Darmon, Eriq Ebouaney, Michel Vuillermoz.

Premier rôle, premier film !

Kheiron, cela vous dit quelque chose ? Pas vraiment ? Un rôle secondaire dans la minisérie Bref ! Il y joue dans douze épisodes, mais n’y parle pas. C’est aussi le personnage de Reza Sadeqi dans Les gamins ! A priori l’on pouvait ne rien attendre de transcendant de cet humoriste. Et pourtant, cet homme âgé de 33 ans est aussi auteur, scénariste, metteur en scène, rappeur, acteur et, aujourd’hui, réalisateur français. Autant dire que j’ai failli ne pas me rendre à la vision presse, augurant du pire, échaudé par tant de comédies dramatiques françaises qui nous donnent l’impression d’avoir perdu notre temps et surtout de n’avoir rien apporté au cinéma. Tout au plus pensait-on, pour ce premier rôle et premier film, filer à l’anglaise après un quart d’heure, ayant compris qu’il ne fallait pas ajouter une comédie française de plus pour clore l’année.

Et je dois avouer que j’ai été scotché sur mon fauteuil dès les premières minutes. Non seulement je découvrais un homme, un humain avant même un acteur-réalisateur, mais surtout quelqu’un qui avait des racines, des parents et qui, grâce au cinéma, leur rendait le plus bel hommage qui soit. Grâce et malgré l’humour, Nous trois ou rien jette un regard lucide et acerbe, mais également tendre et émouvant et qui met le doigt sur certaines plaies jusqu’à faire mal. Grâce à ce film, Kheiron rend compte de son passé plutôt que de régler ses comptes avec lui !

Un fils complice !

On découvrira dans quelques vidéos sur la Toile, la complicité qui unit Kheiron avec son père, un homme emprisonné par Mohammad Reza Pahlavi, le Shah d’iran. Et c’est tout à l’honneur de Kheiron de choisir Alexandre Astier comme interprète. C’est dans une dérision tout en finesse qu’il va montrer la distance entre le souverain et son peuple et les délires dictatoriaux du chef d’Etat. L’humour - comme peut l’être celui de Chaplin dans Le dictateur - permet à la fois de faire mal en touchant et désignant les points sensibles et les lieux de violence, mais aussi de désamorcer toute complaisance. Hibat Tabib a été emprisonné durant sept années, il a été torturé, bastonné, enfermé seul dans une geôle minuscule pour des futilités. Sauvé d’une certaine façon par la révolution iranienne il découvrira alors qu’un dictateur peut en remplacer un autre.

Les dictatures

Sans abandonner la légèreté de l’humour et tout en gardant une certaine distance pudique par rapport à ces personnages (somme toute, sa famille) Kheiron nous fait découvrir peu à peu l’évolution du pouvoir religieux par celle de la femme et de son statut. D’une certaine liberté à l’époque du shah, avec son successeur nous voyons peu à peu celle-ci disparaître avec le voile et la façon de le porter. La musique fera peur et nous sentons poindre son interdiction ainsi que l’apparition de la police de la pensée. Et c’était dans la prison du shah que naissent les maîtres suivants, ceux qui seront plus terrifiants encore que le premier. Et c’est aussi la découverte que trente secondes d’un échange téléphonique silencieux peuvent être plus tonitruantes que tous les discours ! A ce stade, nous ne pouvons que réfléchir à notre passé récent, aux dictateurs que nous avons chassés et à ce ou ceux qui les ont remplacé(s). Je ne juge ni ne condamne, c’est simple constat avant de reprendre ma place de critique !

Terre d’asile

Un jour, l’inéluctable est là, il faudra quitter le pays, lui tourner le dos pour toujours, passer par la Turquie, y séjourner avant d’obtenir le droit d’asile en France. Là le film prendra une autre tournure, plus solaire, avec le passage dans une banlieue. Nous ne serons pas un univers tel que décrit par la série La Commune. Le 93 est banal, comme beaucoup d’autres. Là, la rencontre du maire de Pierefitte et celle de jeunes du quartier lui permettront de s’intégrer et de s’engager.
Aujourd’hui ce "père à qui Kheiron rend hommage à travers son film est loin d’être un inconnu en Seine-Saint-Denis. Il y a deux ans, Hibat Tabib recevait les insignes de la Légion d’honneur des mains du président PS de l’Assemblée nationale, pour son action contre le décrochage scolaire.
Claude Bartolone devrait d’ailleurs assister ce mercredi à la projection du film à Pierrefitte. Ancien directeur d’un centre social du quartier des Poètes, à Pierrefitte, Hibat Tabib est surtout à l’origine du dispositif « Fil continu », mis en œuvre au collège Gustave-Courbet de Pierrefitte, en 2007 : les élèves exclus plus de trois jours étaient alors accueillis dans un espace dédié, pour y suivre des cours de rattrapage et des ateliers de « gestion des conflits ».
Son Association pour la formation, la prévention et l’accès au droit (Afpad) a ensuite collaboré avec le conseil général pour généraliser ce type d’accueil destiné aux collégiens temporairement exclus de cours, et est désormais reconnue bien au-delà des frontières du 93.

Le film témoigne de cet engagement, tout comme celui de la mère : "Je voulais filmer les locaux de l’association de ma mère (qui œuvrait pour la promotion du droit des femmes) au Clos-Saint-Lazare, à Stains. Les équipes de la ville ont tout fait pour favoriser notre venue. J’ai pu retrouver l’âme de ce lieu. On a aussi tourné des scènes dans les studios de Stains. La cité des Poètes à Pierrefitte, qui abritait le centre social où travaillait mon père, a été rasée. Il a fallu aller à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), pour trouver un décor qui lui ressemble" (source des deux citations).

Mon coup de coeur !

Le film nous montre la naissance de Kheiron, celle-là même qui les fera rester en France pour le protéger là où leur travail et leur engagement seront reconnus, notamment par la Légion d’honneur... et c’est tout à l’honneur d’un fils d’avoir pu témoigner de l’itinéraire des siens, de l’exode hors d’une terre natale, de la difficulté des combats et des engagements, des dictatures toutes terrifiantes et déshumanisantes, mais aussi de la transmission, d’un patrimoine, d’une culture. C’est un fils complice du père qui prend sa place dans le film pour lui donner corps avec humour et vérité, avec tendresse et profondeur. On ne peut rêver d’un plus bel hommage à ses parents, à son pays natal et à sa terre d’asile et d’accueil. Il faut ajouter à cela une très belle bande-son, notamment des chants en farsi et des interprètes au service d’une histoire, d’une mise en scène d’une biographie on ne peut plus humaine. Voilà un film qui m’a touché au plus profond. Un film qui me réconcilie avec l’humanité quand je suis tenté par la désespérance par les temps qui courent. Bravo Kheiron d’avoir pu nous montrer comment la fiction peut rejoindre le réel et lui donner sens pour faire mémoire, tout simplement.

Pour conclure, un conseil : restez dans la salle jusqu’à la fin du générique. C’est un album de famille, souvenir des siens, de son peuple, d’une révolution et d’une intégration qui nous est offert en parallèle des images du film.

"Ce film n’est pas inspiré d’une histoire vraie : c’est une histoire vraie."

Ressources externes :



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