Synopsis : Dans une vallée isolée d’Islande, deux frères qui ne se parlent plus depuis quarante ans vont devoir s’unir pour sauver ce qu’ils ont de plus précieux : leurs béliers.
Acteurs : Sigurður Sigurjónsson, Theódór Júlíusson, Charlotte Bøving.
Un film islandais !
Il s’agit de mon deuxième film islandais, après Hross í oss (Of Horses and Men) de Benedikt Erlingsson que j’avais vu en juin 2014, dans le cadre du Brussels Film festival. Si les deux longs métrages sont très différents - celui d’Erlingsson était de type à "sketches" - tous deux ont des constantes. C’est trop peu de deux films cependant pour généraliser. Dans les deux cas, la nature quasi hostile, les animaux, les hommes rudes, les rivalités et antagonismes sont présents.
A la sortie du film, j’y voyais une (nouvelle) illustration de la rivalité mimétique chère à René Girard (dont j’ignorais à ce moment-là que c’était le dernier jour de sa vie) ! Le film est dur, âpre, comme le sont ces froides contrées islandaises, de toute beauté, qui nous sont montrées. De même, les deux acteurs choisis pour représenter Gummi (Sigurður Sigurjónsson) et Kiddi (Theodór Júlíusson) sont si crédibles que je les ai cru de vrais paysans, jouant leur rôle alors qu’ils sont de vrais acteurs, aguerris qui ont tourné au cinéma et pour la télévision (ils sont probablement très connus en Islande).
Deux frères, deux béliers !
Ces deux frères qui s’ignorent depuis quarante ans sont comme deux béliers qui s’affrontent pour avoir la plus belle place sur le podium. Rivalité qui remonte aux origines, que nous comprendrons - en partie - aux deux tiers du film, lorsque quelqu’un venu de la ville interroge l’un des frères sur l’absence de dialogue. Leurs échanges écrits, grâce au chien de berger a quelque chose de touchant et de cocasse. Ces frères sont restés célibataires, aucune femme, même gouvernante n’a tenu plus de quelques semaines. Ils sont donc une véritable "fin de lignée" !
La tremblante !
A côté de l’affrontement de ces deux "béliers", un autre aura lieu : une maladie grave, la tremblante du mouton a touché le mâle dominant de Kiddi, celui qui avait remporté le concours devant Gummi, à 0,5 point près ! Devant cette maladie incurable, la seule réponse, logique - fut-elle "inhumaine" et bestiale ! - imposée par les gens de la ville est l’abattage systématique de tous les troupeaux, la destruction du foin, des enclos, etc. Autant dire que c’est la mort de ce village de montagne et de ses villageois qui ne pourront plus élever de moutons pendant au moins deux ans. Les faibles compensations financières ne les aideront pas à s’en sortir et encore moins à payer les dettes. Bien plus, et c’est de l’ordre du symbolique : ce sera la fin d’une lignée prestigieuse de moutons.
Le réalisateur connait les ravages de cette maladie. En effet, sas propre nièce a vécu la chose puisque ses animaux en furent victimes. Or les moutons sont quasiment sacrés dans cette région où "des gens qui vivent seuls avec leurs moutons, dans la nature et qui développent une connexion émotionnelle très intense avec leur cheptel. C’est quelque chose qui devient très rare dans notre société moderne, et ces gens, qui ressemblent à mes personnages principaux Gummi et Kiddi, meurent doucement. Je trouve que c’est honteux. J’aime l’excentricité et la bizarrerie et je voudrais que cela subsiste, même à notre époque moderne."
Fin de lignée !
C’est parce qu’il refuse cette "fin de lignée" que Gummi va tenter l’improbable, cacher dans sa cave quelques moutons et le mâle reproducteur pour que l’avenir soit assuré. Je ne dévoilerai pas l’issue de cette insurrection parce que l’essentiel n’est probablement pas là. Si le film donne à voir des situations cocasses liées aux rivalités fraternelles (la scène du frère saoul déposé avec une pelle de tracteur devant l’hôpital doit probablement s’enraciner dans des anecdotes du pays) il donne à penser aussi : ainsi la tension entre ceux de la ville et les éleveurs, mais également le rapport que nous avons à l’animal (songeons au nombre d’épidémies où nous décidons de détruire l’ensemble du cheptel, même sain... choses que nous ne faisons pas - encore ? - pour les humains).
Tourner à la campagne avec des animaux
Le dossier presse nous apprend quelques anecdotes sur le tournage. Si les deux acteurs sont crédibles comme j’en faisais état ci-dessus, c’est parce qu’il se sont très bien documentés sur le milieu rural, au besoin en se rendant sur le terrain.
La météo variable n’a pas facilité les choses : "Le planning de tournage a été complètement remis en question quand il s’est mis à pleuvoir abondamment en novembre, que toute la neige a fondu en deux jours et que nous avons dû repousser les six derniers jours de tournage à janvier. Il n’avait pas plu en novembre dans cette région depuis des décennies !".
Les moutons ne sont pas des acteurs faciles (à trouver) ! Le réalisateur confie : "Il s’avère que les tempéraments des moutons varient considérablement d’une ferme à l’autre. Nous avons été dans une ferme où les moutons n’étaient pas du tout dociles, où ils s’enfuyaient dès que nous les approchions. Après beaucoup de recherches, nous avons trouvé la ferme Halldorsstaoir où Begga, la fermière, traite ses moutons avec amour et affection. Les béliers courraient vers nous et nous donnaient des petits coups, comme s’ils voulaient une caresse derrière l’oreille. Cela a été fantastique de travailler avec ces moutons, à vrai dire, cela a même été plus facile que de travailler avec les acteurs !"
Enfin, le tournage de Hrútars’est fait à Bardardalur, au nord ouest de l’Islande. Il s’agit d’une contrée très sauvage et l’élevage y est encore le premier secteur d’activité de la population.
Chaleur humaine !
C’est donc un très beau film, qui a reçu de très nombreux prix, que nous avons vu et qui - même s’il un côté "film de festival" - mérite très amplement le détour par les salles. La dernière scène, dans la montagne, malgré une situation assez improbable (la découverte d’une cavité sous la neige) lors de la tempête, a tout pour réchauffer les coeurs. C’est tendre, émouvant, chaleureux, d’une chaleur somme toute on ne peut plus humaine ! Et l’avenir des lignées, bien incertain reste là, suspendu à un avenir sans réponses. De ce qu’il adviendra du chien, des moutons, de Gummi, de Kiddi, nous ne saurons rien. Un plan noir termine le film. Seule consolation, le générique nous apprendra qu’aucun animal n’a été blessé durant le tournage.