Synopsis : Dans le New York des années 1950, Therese, jeune employée d’un grand magasin de Manhattan, fait la connaissance d’une cliente distinguée, Carol, femme séduisante, prisonnière d’un mariage peu heureux. À l’étincelle de la première rencontre succède rapidement un sentiment plus profond. Les deux femmes se retrouvent bientôt prises au piège entre les conventions et leur attirance mutuelle. Basé sur le roman best-seller de Patricia Highsmith.
Acteurs : Cate Blanchett, Rooney Mara, Sarah Paulso, Kyle Chandler, John Magaro
Adaptation d’un roman
Carol est un roman « lesbien » publié en 1952 (dans une version censurée) sous le pseudonyme Clara Morgan, par Patricia Highsmith. Son premier roman était policier, il s’agit du célèbre Strangers on a Train (L’Inconnu du Nord-Express, 1950). Carol obtint un succès de librairie, mais l’ouvrage n’a été traduit en français qu’en 1985, toujours sous le nom de Clara Morgan, avec le titre Les eaux dérobées. Ce n’est qu’en 1990 que le roman fut publié avec son nom et le titre Carol. Il faudra attendre plus de soixante ans pour que l’oeuvre soit adaptée à l’écran. C’est Todd Haynes, un réalisateur indépendant qui s’en charge.
Pas loin du paradis !
Au vu du résultat, l’adaptation est réussie et nous ne sommes pas « loin du paradis » [1]. C’est que le film, tout en nuance est servi par une reconstitution très crédible de l’époque, mais aussi, et surtout par une interprétation magistrale par Cate Blanchett et Rooney Mara. Celle-ci a obtenu le prix d’interprétation féminine à Cannes en 2015, ex aequo avec Emmanuelle Bercot pour Mon roi. Sans remettre en cause ce choix (quoique !) il semble vraiment aller de soi que les deux actrices principales de Carol méritaient amplement d’être primées ex aequo. C’est que leur jeu à toutes deux, l’une dans l’intériorité et la pudeur (Rooney Mara : Therese Belivet) et l’autre dans une certaine flamboyance (Cate Blanchett : Carol Aird), est proche de la perfection. Les deux actrices transcendent l’écran en nous donnant à voir cette relation interdite qui doit être tue et cachée. Ce sera le poison de la jalousie du mari qui blessera Carol au coeur de ses forces vives en la privant de la garde (même partagée) de sa fille. C’est que la société puritaine (de l’époque ?!) ne peut accepter la relation immorale de cette femme. Comment pourront-elles se sortir de ce qui semble une impasse ? Sont-elles condamnées ? L’amour, même interdit, pourra-t-il être vainqueur ? Une main sur une épaule, au début du film, une reconnaissance, permettront un flashback qui nous donne à connaître ce qui est arrivé. A la quasi-fin du film, le spectateur comprendra ce geste et la présence de certains protagonistes.
Confusion du temps entre présent et souvenirs, confusion des genres vont permettre au spectateur de se sentir proche, en empathie avec ces deux femmes dont l’une est confrontée à son futur divorce et à une société hostile qui l’oblige à s’intégrer dans une norme sociale et éthique qui l’empêche de s’épanouir. Carol et Therese veulent aussi s’émanciper et c’est ce combat pour ne plus être aliénées dans une société masculine, patriarcale que Todd Haynes filme en captant, les sentiments, les émotions, et en s’attardant sur les visages de ses deux actrices, sublimées par la palette de couleur très vintage !
Un chef d’oeuvre tout en pudeur
En somme, on n’est pas loin du chef-d’oeuvre dans ce film dont le sujet est difficile (en tout cas au moins dans les années 1950) et est traité avec beaucoup de pudeur (ainsi Mon roi s’avère de loin beaucoup plus impudique dans la mise en avant d’une relation plus « classique »). Mes quelques réserves seront paradoxales, s’agissant de la reconstitution. Le souci de réalisme est pris au piège dans certains détails. Ainsi, dans les disques microsillons. Ceux-ci sont manifestement de vrais disques d’époque,ainsi d’ailleurs qu’une télévision, également d’origine. Disques et téléviseur sont dans un parfait état de conservation… mais malgré cela, le poids des années a fait son oeuvre et l’on voit la patine du temps sur les pochettes intérieures des disques et sur la TV. Alors qu’ils devraient être comme des sous neufs ! Alors j’avoue que c’est totalement secondaire, mais prouve que parfois en matière de cinéma, le vrai sonne plus faux que la copie ! Et je le relève, simplement et seulement, parce que le rapport au vrai/faux m’a toujours fasciné dans le septième art…
Todd Haynes
Le réalisateur américain indépendant confirme une fois encore la vitalité de son cinéma avec ce sixième long métrage. Chacun de ceux-ci aborde avec inventivité une situation particulière. Ainsi, avec Poison (1991), il met en scène trois récits en adaptant son scénario à partir de l’oeuvre de Jean Genet. Il y a vingt ans déjà, en 1995, avec Safe, nous découvrions Carol (Julianne Moore !) hyperallergique aux produits chimiques. En 1998, il crée une variation sur David Bowie avec des acteurs aussi talentueux que Christian Bale, Jonathan Rhys Meyers et Ewan McGregor (qu’il arrive littéralement à mettre à nu dans son rôle !) dans Velvet Godmine. En 2002, il s’inspire du brillant Douglas Sirk pour nous offrir le très beau Far from Heaven (Loin du paradis) et, en 2006, avec I’m Not There, il nous permet de découvrir plusieurs facettes de Bob Dylan grâce à plusieurs acteurs et actrice qui entrent dans la peau du chanteur. Neuf ans plus tard, il ne démérite pas avec cet excellent Carol, sans compter son adaptation de Mildred Pierce en minisérie pour la télévision en 2011 et les autres films dont il est le producteur : le méconnu et excellent Echo Park de Richard Glatzer et Wash Westmoreland et, outre Mildred Pierce déjà cité, trois films de Kelly Reichardt : Old Joy,Wendy et Lucy et Meek’s Cutoff (La dernière piste), tous trois très bons.