Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews sur la radio RCF Bruxelles (celle-ci n’est aucunement responsable du site ou de ses contenus et aucun lien contractuel ne les relie). Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques et en devient le principal rédacteur depuis 2022.
Synopsis : En plein cœur du Japon, Yusuke convie sa compagne Mizuki à un véritable périple à travers les villages et les rizières. A la rencontre de ceux qu’il a croisés sur sa route depuis ces trois dernières années, depuis ce moment où il s’est noyé en mer, depuis ce jour où il est mort. Pourquoi est-il revenu ? Que veut-il confier à Mizuki avant son départ ?
Difficile de rendre compte de ce film où, à l’instar de plusieurs confrères et consoeurs, je me suis passablement ennuyé durant la projection. Un de mes ainés me faisait par de son engouement pour le film qui, selon lui, pouvait se comprendre pour qui a vu le Japon et qui incitait à s’y rendre pour découvrir d’autres images que celles d’un Tokyo touristique. Le réalisateur adapte ici Kishibe no tabi, le roman de Kazumi Yumoto.
Même si j’apprécie généralement le cinéma "asiatique" pour faire large, je reconnais que les clés spirituelles et symboliques - fort différentes des miennes occidentales - me manquent pour saisir en profondeur ce qu’à voulu exprimer le réalisateur.
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A défaut de gloser à vide sur le film et parce qu’il mérite certainement d’être vu et apprécié par certains je vais donner quelques précisions à partir du dossier presse.
"Le projet de Kiyoshi Kurosawa, Vers l’autre rive, a profondément retenu mon attention. J’ai été ému par cet homme qui revient à la vie terrestre pour entamer avec sa femme un parcours qui le conduira vers un départ définitif. Je vois dans ce temps de voyage comme une vie en temps réduit.
D’abord peuplé de revenants qui attendent leur heure, Vers l’autre rive glisse doucement dans un suspense intérieur, qui s’accorde parfaitement à la mise en scène de Kiyoshi Kurosawa. Comme Shokuzai brassait les genres, du drame social au film fantastique, Vers l’autre rive entame le chemin inverse et part d’un thème fantastique pour atteindre l’essence même des relations humaines.
Kiyoshi Kurosawa arrive à l’âge de la maturité et entame depuis quelques années une réflexion différente sur les rapports humains. Il a été emballé par Kishibe no tabi, le roman de Kazumi Yumoto, avec qui il s’est entretenu tout au long de l’écriture pour être au plus près d’une intrigue qui lui tenait fortement à coeur.
Pétri d’éléments puisés dans la spiritualité japonaise, ce film offre aux esprits occidentaux une possibilité de penser autrement la mort, tout comme la vie."
Selon ma perception, le mélodrame présente une histoire d’amour proche de la tragédie qui montre un homme et une femme traverser des difficultés par le prisme de l’amour. En ce sens, Vers l’autre rive peut donc être rattaché à ce genre que j’aime beaucoup, même si sa définition reste ambiguë. Sans doute que je ne connais pas grande chose en amour pur. Ce qui explique que, dans ce film, il soit plutôt traduit en termes de confiance. Le couple tente d’être uni par une confiance absolue. Ce qui compte, c’est qu’ils sont destinés à ne jamais se séparer, même s’il y a des doutes. Au Japon, on peut très difficilement aborder dans le cinéma des thèmes qui soulèvent des questions de société. Par contre, le thème de la crise du couple passe plus facilement. Je pense qu’on peut passer par des petits problèmes entre les hommes et les femmes pour révéler les contours de la société actuelle.
En Japonais, il existe un verbe qui désigne le fait d’accompagner une personne mourante, autrement dit de veiller sur elle jusqu’à son trépas : mitoru. Reste à savoir s’il est possible de traduire avec subtilité toutes les nuances de ce mot dans une langue étrangère... Rares sont ceux qui ont vécu l’expérience de rester au chevet d’une personne sur le point de partir, de prendre délicatement sa main et de partager une émotion en ne quittant pas son visage des yeux. Par chance, je n’y ai moi-même encore jamais été confronté, mais aux dires de ceux qui l’ont été, ces quelques jours, ces quelques heures de face-à-face sont un moment de partage précieux et véritablement sacré. À l’intérieur de ce moment, le passé qu’ont partagé les deux personnes, le passé de chacun qui jusque-là demeurait inconnu de l’autre, mais aussi le futur que les deux personnes seront un jour amenées à expérimenter, tous ces instants sont évoqués, évalués et compris. Dans la réalité, ce dialogue émotionnel extrêmement intime a lieu au chevet d’un lit. Mais dans le monde de la fiction, pourquoi ne pas étirer au maximum le temps et l’espace nécessaires à ce processus et le narrer sous la forme d’un « voyage » ? C’est sur ce postulat osé que l’oeuvre littéraire originale, Kishibe no tabi, a été construite. Au regard de mon expérience acquise en tant que réalisateur, le sujet qui m’attire le plus à l’heure actuelle, c’est l’adaptation au cinéma d’une vision comme celle-ci.
Depuis longtemps, j’ai l’idée que le corps et l’esprit existent à des niveaux différents. Ainsi, il m’a toujours semblé hâtif de penser que la mort emportait l’un et l’autre simultanément. Pour autant, lorsqu’il s’agissait de traiter des morts au niveau fictionnel, mon inspiration se limitait à une trame telle que : « Ils deviennent des fantômes et s’évertuent à mener une vengeance obstinée. » Comme vous le savez, cette figure du fantôme est un classique, qui existe depuis longtemps dans les kaidan (films d’épouvante) japonais aussi bien que chez Shakespeare. Dans Vers l’autre rive, un tout nouveau type de mort fait son apparition. Mieux, la figure décrite ici est fondamentalement différente des fantômes habituels. Emporté par une mort provisoire (une mort physique), Yusuke reste en ce monde trois ans de plus afin de se préparer doucement à son véritable départ (la disparition de son esprit). Que cet homme continue impassiblement de posséder un corps n’est que tout naturel. Pour commencer, le corps est un système mouvant qui n’a rien à voir avec une matière comme la roche. Des expériences ont prouvé que la matière qui constitue le corps, à commencer par le cerveau, est intégralement renouvelée au bout d’un an. Partant de ce constat, penser que le corps serait le socle de l’esprit est insensé. Or bien que je ne comprenne pas cet effet miraculeux selon lequel l’esprit se tient au-dessus d’un système en perpétuel renouvellement, je peux néanmoins affirmer qu’il n’appartient pas au champ de la matière. Ainsi, même si le corps initial a déjà disparu, il est tout à fait plausible d’imaginer qu’il puisse à nouveau prendre forme. De même, il n’y a rien d’étonnant à imaginer que l’esprit vagabond de Yusuke se pose à nouveau au-dessus. D’ailleurs, il mange, dort et sa barbe pousse.
L’autre protagoniste de l’histoire est Mizuki qui se blottit contre ce défunt provisoire qui vient à elle, puis voyage avec lui et accomplit doucement la tâche d’accompagnement. Emmenée par Yusuke, elle fait de nombreuses rencontres, en particulier des personnes en transit comme lui. Au cours du voyage, Mizuki apprend « qu’on ne peut pas revenir en arrière », mais elle se raccroche au faible espoir qu’en ne cessant de prolonger ce voyage, le provisoire restera provisoire, et que leur quotidien ensemble se poursuivra comme avant. Mais est-ce réellement possible ? Quoi qu’il en soit, les trois ans d’absence de Yusuke seront progressivement comblés, et Mizuki goûtera à une plénitude jusque-là jamais ressentie. Leur passé commun, leur passé manquant et leur avenir commun seront évoqués, évalués et compris. Il me semble qu’à ce jour aucun film n’a encore jamais dépeint le fait d’être accompagné vers la mort de façon aussi vivante qu’à travers l’histoire d’amour de ce couple.
Kiyoshi KUROSAWA
Puisse ces éléments inciter certains d’entre vous à découvrir la rencontre de Yusuke et de Mizuki, ce passage vers l’autre rive, ce "laisser-aller" ou ce "lâcher-prise", ce travail de deuil qu’il faut faire, quelles que soient nos cultures et nos itinéraires.
Parce que je suis resté sur la rive, sans faire ce passage et sans accompagner les protagonistes de cette histoire, je m’abstiens ici de donner une note (j’en ai donné une sur un forum, mais à titre personnel).