Synopsis : Fred et Mick, deux vieux amis approchant les quatre-vingts ans, profitent de leurs vacances dans un bel hôtel au pied des Alpes. Fred, compositeur et chef d’orchestre désormais à la retraite, n’a aucune intention de revenir à la carrière musicale qu’il a abandonnée depuis longtemps, tandis que Mick, réalisateur, travaille toujours, s’empressant de terminer le scénario de son dernier film. Les deux amis savent que le temps leur est compté et décident de faire face à leur avenir ensemble. Mais contrairement à eux, personne ne semble se soucier du temps qui passe...
Acteurs : Harvey Keitel, Jane Fonda, Michael Caine, Paul Dano, Rachel Weisz, Neve Gachev, Tom Lipinski, Ed Stoppard.
Si vous n’aimez pas le cinéma de Paolo Sorrentino et si vous n’avez pas aimé La grande bellezza (2013), il est probable que ce dernier opus ne vous séduira pas, au point de vous irriter. Un critique de mes amis n’encense pas le film (Voir le lien à la fin cet article) et c’est un euphémisme, et cette fois-ci mon avis sera aux antipodes du sien.
Deux amis Fred Ballinger (Michael Caine) et Mick Boyle (Harvey Keitel) se reposent. Ils sont au terme d’une existence bien remplie qu’ils ne peuvent plus contempler qu’en se retournant et en évoquant un passé dans lequel ils ne veulent pas être enfermés, tout comme un jeune acteur, Jimmy Tree (remarquablement interprété par Paul Dano !) qui est cadenassé à jamais dans le rôle d’un robot, autrement dit dans une enveloppe extérieure qui lui est totalement étrangère. Si Jimmy rêve d’un autre rôle, Mick lui rêve d’un film ultime, sorte de testament spirituel et personnel, regard sur sa vie et vers sa mort ? Il répète tant de variations avec des amis tout en attendant Brenda Morel (Jane Fonda) son actrice fétiche celle dont la présence lui assurera le financement de son (dernier ?) long-métrage. Fred quant à lui, sollicité par l’émissaire de pas moins que la Reine d’Angleterre pour diriger un concert exceptionnel à l’occasion de son anniversaire, oppose un refus clair, net, définitif à cette requête, pour des raisons personnelles (que je vous laisse découvrir). Sa fille Lena (Rachel Weisz) est abandonnée par son mari (fils de Mick !) qui a trouvé une autre femme "meilleure au lit !".
En réalité, ce n’est pas tant l’histoire qui est importante, que la partition que nous en offre le réalisateur (et scénariste). A travers plusieurs instantanés, situations de vie, parfois cocasses, des conversations plus ou moins philosophiques voire d’une grande banalité (comme les nombreuses que nous pouvons avoir durant notre existence) nous sommes submergés d’images et de sons qui nous éclairent comme les multiples facettes d’une boule à miroir. Le cadre est important et m’a fait songer par certains côtés à Wes Anderson. Il y a chez Sorrentino quelque chose de magique et de beau dans les cadrages qu’il nous offre. J’ai aussi pensé à Almodovar dans certaines scènes assez kitchs. Mais ces références à Anderson et Almodovar sont ici analogues à ce qu’on peut dire d’un vin : fruité, boisé en référence à tels ou tels agrumes ou essences. Mais avant tout, c’est du vin ! Ici, avant tout, c’est du Sorrentino, grand et flamboyant !
Il y a des scènes d’une grande poésie et/ou beauté. Je songe à celle où Bellinger dirige une véritable symphonie pastorale dans les prés et les bois. Sublime et de toute beauté. Une autre encore où Mick voit sur un flanc de coteau, dans une prairie, les nombreuses actrices qu’il a mis en scène et qui ont joué pour lui. Sublime et fascinant. Restent les rencontres, les conversations qui, malgré la banalité de certaines, jettent un regard doux et amer à la fois sur son existence et ce que l’on en a fait. Comme dirige-t-on sa vie ? Comme un film ou comme un orchestre ? En somme, est-ce que l’on se laisse enfermer à jamais dans un rôle ou faut-il choisir entre le désir ou l’horreur ? Qu’est-ce qui vaut la peine d’être raconté ? Au terme, confronté au succès, mais aussi à l’échec, peut-on envisager une fin (ou une sortie) royale ? Ou faut-il accepter de chuter de son piédestal en ouvrant une fenêtre sur un avenir sans porte de sortie ?
Les mots ne peuvent traduire ici l’émotion, les sentiments et la joie d’avoir assisté à quelque chose de beau, une véritable symphonie d’images et de sons. Mais cette partition sera aussi dé-concertante. Au sens certes de déconcertant, car la construction du récit est inhabituelle, mais aussi parce que nous n’avons pas affaire à un concerto ou s’il existe, qu’il se déconstruit : là où l’on pouvait construire une oeuvre musicale à l’aide d’instruments dissemblables, à la fin, au terme, chacun des protagonistes n’est-il pas confronté à sa solitude, à la mort, à la finitude ? Sublime, magistral, époustouflant, fascinant et triste ! Un très grand film. Et comme promis, pour ceux qui étouffent devant ces louanges, je veux aérer en ouvrant une fenêtre avec ce lien vers la critique de Nicolas Gilson qui lui a été déçu par ce film qu’il a vu à Cannes en mai dernier !
Mise à jour le 13/12:15 : "Le film Youth, de Paolo Sorrentino, a été désigné samedi 12 décembre à Berlin « meilleur film » lors de la 28e cérémonie de l’Académie européenne du cinéma. L’Italien a aussi décroché le prix du « meilleur réalisateur » pour ce film, fable onirique et optimiste sur le temps qui passe, servie par trois gloires du cinéma, Michael Caine, Harvey Keitel et Jane Fonda. Le premier a d’ailleurs été désigné « meilleur acteur » pour son interprétation dans ce film d’un chef d’orchestre à la retraite." Source.