Cinquième titre de la Collection Cinéastes d’aujourd’hui I don’t belong anywhere - le cinéma de Chantal Akerman, réalisé par Marianne Lambert, évoque quelques-uns des 40 films de cette cinéaste majeure dont le très emblématique Jeanne Dielman, 23, Quai du Commerce, 1080 Bruxelles.
De Bruxelles à Tel-Aviv, de Paris à New York, le documentaire nous emmène sur les lieux de ses pérégrinations.
Cinéaste expérimentale, nomade, elle nous fait partager son parcours cinématographique qui ne cesse de questionner le sens de son existence au risque de chercher son public ou de s’y confronter.
Avec sa monteuse, Claire Atherton, elle précise les origines de son langage et de ses partis pris esthétiques. Un cinéma vivant, novateur et qui continue à influencer nombre d’artistes, comme en témoigne le réalisateur américain Gus van Sant.
Que voilà un excellent documentaire - qui n’aurait pas vu le jour sans Sylvie Van Ruymbeke d’Artemis Productions - que l’on croirait presque réalisé par Chantal Akerman elle-même. On sent en tout cas une proximité voire une complicité entre Marianne Lambert et la surprenante Chantal Akerman.
Je dois avouer que je connais mal son cinéma et que ce documentaire donne à la fois le goût de le découvrir et en même temps une certaine appréhension de le faire. C’est que les extraits de certains de ses films nous en font découvrir une certaine rigueur (voire une rigueur certaine), une âpreté qui en rendent l’approche difficile. Chantal Akerman dit elle même que si, à la sortie d’un film, le spectateur (se) dit qu’il n’a pas vu le temps passer, c’est qu’on lui a "volé" son temps. Gageons que cela va à l’encontre de nos façons de penser habituelles puisqu’elle estime - probablement à juste titre - qu’il faut laisser au plan, à la séquence, à la scène le temps qu’il lui faut.
Le spectateur comprendra l’importance du cadrage, de la construction d’un plan et Gus Van Sant lui-même dira combien il s’est inspiré d’Akerman pour son Last Days ! Nous aurons même l’occasion de découvrir la mise en place d’un cadre par Chantal elle-même grâce à certains rushes de ses films.
Pour la petite histoire (que plusieurs journalistes semblaient connaître), Chantal a financé son premier film en travaillant comme caissière dans un cinéma porno homo à New York. Elle vendait les places par demi-tickets et avait les poches remplies de monnaie. Le documentaire, très bien voire trop bien construit nous permettra de découvrir d’autres anecdotes, mais aussi Chantal Akerman dans l’intime de son existence (plus que l’intimité), ses relations, ses rencontres, son regard, mais aussi les villes traversées et son amour pour Bruxelles.
Synopsis (très) détaillé
(extrait du dossier presse)
New York, septembre 2014, Chantal a choisi de nous raconter l’histoire des sa vie, l’histoire de ses films.
New York, ville d’inspiration et de libération pour la toute jeune belge qui a quitté sa famille et Bruxelles pour tourner News From Home, dans une forme minimaliste, mélangeant la lecture des lettres de sa mère avec les images du quotidien new-yorkais. Bruxelles–New-York, New-York-Bruxelles, aller-retour incessant.
A 25 ans, elle tourne Jeanne Dielman, 23, Quai du commerce, 1080 Bruxelles, qui deviendra son oeuvre centrale. Elle y décrit minutieusement le quotidien d’une femme, la répétition aliénante des gestes ménagers, mais aussi l’enfermement en référence à sa mère qui a connu les camps de concentration. Sa mère, qui tiendra une place prépondérante dans toute sa filmographie.
Le récit de Chantal s’ouvre alors à d’autres protagonistes : Gus van Sant, ému par l’esthétique cinématographique de ce film, s’en est inspiré pour son propre cinéma. Claire Atherton, à Paris, la monteuse attitrée de Chantal, se livre avec celle-ci à une sorte de leçon de cinéma, images à l’appui : où placer la caméra, comment diriger les acteurs, comment structurer et évaluer la durée des plans etc.
A l’hôtel Métropole, à Bruxelles, dans une chambre qui rappelle les années 80, Aurore Clément, la comédienne qui interpréta le rôle principal dans Les rendez-vous d’Anna. Toujours fascinée par la précision et l’exigence du travail de Chantal, elle frisonne encore, comme si c’était hier, de cette aventure cinématographique, mais aussi des déconvenues lors de la projection. « Le film était trop dérangeant, trop expérimental, le public, les journalistes nous huaient ». « Cette relation complexe avec le public, je l’avais déjà vécue avec ‘Je, tu, il, elle’, renchérit Chantal (…) On a dit que c’était du cinéma en faveur du courant lesbien, alors que je ne me sentais militante d’aucune cause ».
Dans un autre registre, elle se lance dans les comédies, dont le célèbre Un divan à New-York avec Juliette Binoche et William Hurt. Elle raconte avec humour l’histoire du tournage, mais aussi les difficultés de rencontrer le grand public. On lui reproche alors de faire du cinéma commercial.
Mais rien ne l’arrête. Elle foisonne de projets, et va se tourner notamment vers le documentaire. Nous voici à Tel-Aviv, retour aux origines, déambulations de Chantal dans la ville, en repérage pour de futures productions et réminiscences de son documentaire Là-bas qui explore à partir d’un appartement son imaginaire sur Israël.
A Varsovie, elle tourne D’Est, une allégorie tout en travellings sur la question de la mort, qui déclenchera son second métier d’artiste plasticienne, ou encore Sud, aux Etats-Unis, évocation du meurtre d’un jeune noir.
Désert de Judée, elle marche dans ce lieu, hors du temps, qu’elle affectionne, se hisse sur un promontoire, dresse comme un bilan de son travail.
« Qu’est-ce qu’on peut ou ne peut pas montrer par le cinéma ? Moi, j’ai toujours choisi de suggérer, de faire appel à l’imagination du spectateur… »
Elle s’éloigne, on la voit de dos, partir vers nulle part et pourtant, elle filme encore, son portable à la main.