Synopsis : A quatre-vingts ans passés, Claude Lherminier n’a rien perdu de sa prestance. Costume de lin blanc, foulard de couleur, nous le retrouvons dans un avion qui décolle pour la Floride : sur un coup de tête, Claude s’est décidé à rendre visite à sa fille cadette, Alice, mariée à un Américain et installée à Miami. Très vite, nous revenons en arrière et décrivons les semaines qui ont précédé le voyage de Claude. L’aînée de ses filles, Carole, est la mère d’un fils de vingt ans. Matériellement, affectivement, les choses ne sont pas faciles pour elle. Et c’est elle qui est dans l’obligation de s’occuper de son père, en proie à des troubles de mémoire. Il est difficile de statuer sur l’état de confusion de Claude. Parfois, il surjoue ses absences, en profitant pour tyranniser son monde. À d’autres moments, au contraire, il est réellement perdu, confondant les visages, les lieux, et même les âges de sa vie. Le décalage parfois drôle ou cocasse des débuts laisse peu à peu place à la détresse de ses proches.
Photo ci-contre : Philippe Le Guay.
Acteurs : Jean Rochefort, Sandrine Kiberlain, Anamaria Marinca, Laurent Lucas, Clément Métayer.
Avant de poursuivre, sachez qu’un certain nombre de confrères n’ont pas apprécié le film. Ce n’est pas mon cas. J’ai entendu et/ou lu leurs avis et je maintiens mon enthousiasme !
C’est un excellent cru ("Lherminier" !) que cette comédie dramatique que nous offre Philippe Le Guay. Réflexion douce-amère sur la mémoire, sur la vieillesse, le rapport des enfants aux ainés et vice-versa, la maladie, le deuil...
Beaucoup d’informations se trouvent dans le synopsis officiel et je n’en dirai pas plus pour ne pas dévoiler outre mesure le développement de l’intrigue. Non que celle-ci soit essentielle, car l’important est d’abord la narration d’expériences et de situations de vie (ou de mort, d’une certaine façon, puisque c’est, in fine, de cela qu’il s’agit !). Mais il y a plusieurs arcs narratifs dans le film : le voyage de Claude en avion vers la Floride semble être le fil conducteur. Mais conducteur de quoi ? vers quoi ? vers qui ? Car le réalisateur va se concentrer sur les événements des mois qui précèdent cet envol. Il y aura même des flashbacks qui nous permettront de découvrir le héros au début de son adolescence. Ou de voir le petit enfant (apeuré ?) au coeur de l’homme qui marche vers la découverte de la mort.
En réalité, ce travail de mémoire se situera plus dans cet itinéraire d’un homme en lien avec sa fille ainée, son compagnon, son petit fils et la copine de celui-ci, entrecoupé de quelques flashbacks sur son enfance et de flashforwards consacrés au voyage vers la Floride et l’arrivée au terme du parcours (ou la solution de l’énigme).
Quel est donc cet homme aigri, mais qui ne manque pas d’humour face à l’inexorable perte de ses facultés dues à l’âge et probablement à l’Alzheimer ou la démence sénile (le pronostic n’est jamais explicitement formulé malgré certains examens médicaux - IRM) ? En effet, notre antihéros se joue parfois de certaines situations : ainsi lorsque l’aide ménagère (il faut ici le pluriel, car le caractère de Claude en fera fuir plus d’une) tarde à revenir des courses, il va simuler une chute dans sa chambre. Mais Claude a beau (se) jouer de sa maladie, de sa mémoire, l’heure est là, inexorable (avec ou sans montre !), et c’est maintenant qu’il faut affronter la réalité.
Et puisque la soeur est loin, absente, de l’autre côté, sur un autre continent, elle devra bien être là, sur le terrain pour gérer le père, sa maison, les aide-soignantes, l’usine de papier, son nouveau compagnon et devant subir contre vents et marées l’aigreur d’un père qui lui fait payer sa dépendance.
Aux côtés d’un Jean Rochefort qui habite avec beaucoup de vérité ce vieil homme qui rêve sur fond de jus d’orange de Floride le retour de sa fille absente, Sandrine Kiberlain joue avec humanité, douceur et tendresse la fille malaimée par un père qui ne peut accepter la dépendance et l’inexorable.
On pardonnera volontiers au film - qui ne sombre pas trop dans le sentimentalisme - quelques défauts : sa longueur et les flashbacks inutiles. En effet, le film aurait gagné en tension s’il avait vingt bonnes minutes de moins, mais c’est secondaire par rapport au propos qui est une "histoire du temps" qui passe et se perd. Par ailleurs, les retours vers l’enfance de Claude ne sont pas vraiment indispensables, mais c’est broutille par rapport à un film que l’on ne peut que recommander chaleureusement (après avoir lu d’autres avis, le cas échéant, par exemple Nicolas Gilson sur Un grand moment de...).