Synopsis : Liliane part en Chine pour la première fois de sa vie afin de rapatrier le corps de son fils, mort dans un accident. Plongée dans cette culture si lointaine, elle vit ce voyage marqué par le deuil comme un véritable voyage initiatique.
Acteurs : Yolande Moreau, Jingjing Qu.
Ils ont des yeux et ne voient pas !
Il s’agit du premier long métrage de Zoltán Mayer. Celui-ci nous propose un étrange voyage - initiatique - vers la Chine. Hélas, tout comme l’héroïne dépaysée, il m’a manqué quelque chose pour voyager avec Yolande Moreau. Le problème n’est pas, probablement, du côté du film, mais du mien, même si d’autres critiques cinéma ont partagé une sensation identique, celle d’un profond ennui. L’expression est faible et d’autres mots furent employés par certains. D’autres, en revanche, ont exprimé leur enthousiasme à la sortie de la vision presse. Des critiques cinéma dont les avis divergent, c’est fréquent ; nous y sommes habitués. Mais ici, les arguments amenés à la barre par ces journalistes - qui sont aussi mes amis - rejoignaient des choses que je pressentais à peine. je vais tenter d’exprimer ce que j’ai pu comprendre et engranger de ce film tout en ne donnant pas une cotation comme à l’accoutumée [1].
Liliane est "touchante" !
Le film traite du deuil. Liliane parle peu, mais elle touche, au double sens du verbe. Dans son travail avec des personnes âgés, le toucher est important, mais touchant ces personnes malades et/ou au seuil de leur existence, Liliane est touchante, elle émeut. Mais elle-même sera touchée de plein fouet par l’émotion lorsqu’un coup de téléphone lui apprendra la mort de son fils. En réalité, il y a peu de "mots dits" ! L’information arrive lentement, dans le non-dit, dans les gestes, les attitudes, les actions ou plutôt les "ré-actions", notamment celle qui mettra cette femme, presque mutique, en mouvement pour faire un exode vers "l’empire du Milieu", en (dé)laissant son mari. Nous comprenons alors qu’entre ces deux-là (et probablement entre les trois, donc avec le fils si lointain) il y avait de la tension. L’éloignement du fils - dont ne saurons presque rien des motivations - tient peut-être à cela. Quoi qu’il en soit, c’est une mort qui donne l’en-vie à cette femme de tout laisser, de faire le deuil d’un mode de vie pour aller à la quête du corps de son fils. C’est au bout d’une longue et difficile en-quête qu’elle le découvrira. C’est que Liliane, la dame au manteau rouge, arrive en terre inconnue, une Chine bien lointaine pour elle - et pour nous - de ce que l’on a coutume de voir et d’entendre dans les médias.
Liliane ne comprends pas...
Liliane débarque avec pour tout bagage son français et le très peu d’anglais qu’elle baragouine. Comment se faire comprendre de ceux et celles qu’elle trouve sur sa route, mais aussi de tout ce qu’elle voit dessiné sous ces yeux et qui ne lui est pas destiné ! Ces idéogrammes sont riches d’un sens qu’il lui est impossible de saisir. Un simple distributeur de billets de chemin de fer devient une machine infernale pour cette Occidentale qui surprend lorsqu’elle arrive dans la région de Sichuan. Il y aura bien l’une ou l’autre personne, dont un enfant (et l’enfant, in-fans, est littéralement celui qui est sans paroles) qui va tenter de lui apprendre quelques mots, même pas des rudiments, de cette langue monosyllabique, si lointaine de celle que nous pratiquons/comprenons/entendons. Derrière le mandarin, il y a une écriture, une littérature, une culture multimillénaire qu’il faut du temps pour comprendre et appréhender.
Liliane, la dame en rouge
Liliane, la dame en rouge, est probablement athée et elle vient en tout cas d’un monde occidental à la rationalité conquérante. Ici, et faisant même abstraction des nombreuses impasses due à l’incompréhension de la langue (des passerelles seront offertes par le réalisateur, j’y reviendrai) rien de rationnel, même pour simplement savoir où se trouve le corps d’un fils, presque corps du délit [2]. C’est que ce chemin, local, est aussi rude que celui qu’elle a pris du Continent pour arriver ici, dans une Chine profonde. Il y aura bien des épreuves quasi initiatiques pour voir son fils, pour obtenir sa dépouille et en disposer. Elle n’est pas pour autant au bout de ses peines. C’est que le décès de son fils est "accidentel", accident de parcours, dû au choix d’accompagner un ami que le risque n’effrayait pas. Mourir dans de telles circonstances condamne l’âme du défunt à errer sur terre. Seuls un rituel, des gestes, et surtout des mots à dire - toujours ces "mots dits" -permettront une libération salvatrice. Il faudra donc à cette femme en rouge (j’insiste, tant c’est prégnant tout au long du film) un temps d’attente avant de pouvoir faire son deuil.
Liliane et la découverte de la spiritualité
Liliane va être confrontée à de multiples formes d’expression religieuse. Nous sommes dans une région où le taoïsme prédomine. N’empêche, c’est dans un temple bouddhiste que la cérémonie funéraire va avoir lieu. Mais un temple chargé de symboles du Tao. Le regard de Liliane doit changer ; elle va d’ailleurs opter pour une crémation plutôt que de rapatrier le corps de son fils. Certes, dans un premier temps, il s’agit simplement de ne pas être encombrée, d’avoir moins de "poids à porter" ! Mais plus elle avance, plus l’ambiance "spirituelle" va l’amener à regarder autrement. Zoltán Mayer nous y invite également par sa façon de filmer. Certains lieux, paysages, cadres nous obligent à changer de point de vue, à avoir un autre "objectif", à se focaliser ailleurs. A tel point que le focus de la caméra, la "mise au point", ne se fera pas sur le lieu de l’action (pour nous Occidentaux) qui sera donc flou, mais sur autre chose : des paysages, des animaux à l’avant ou l’arrière-plan.
Passerelles...
L’incompréhension est une des clés ou plutôt une des serrures du film. Pour faire le deuil, pour "vivre" la mort du fils, pour l’accepter, il se trouvera des hommes et des femmes sur la route de Liliane, notamment, une jeune Chinoise qui parle très bien le français et qui aidera la mère (et nous) à comprendre le pourquoi de l’accident, mais aussi son amour pour la Chine, pour une femme aussi, et enfin la non-existence de son fils. A cause d’une fausse couche, il n’a pu accéder à la vie. Petit-fils que Liliane ne connaître jamais. Le deuil devra aller à son terme. Pas de perspective d’une sur-vie grâce à la filiation. Mayer offre ici une passerelle à son héroïne, presque toujours mutique qui pour "parler" à son fils ne peut que lui écrire. Elle le fera, à l’occidentale, pour "dire" à mots couverts (nous ne les voyons pas, mais entendons le texte en "voix off"), ce qui lui a manqué, ce qu’elle découvre de son fils et de ce pays qui le fascinait. Curieusement, il semble que Liliane écrive en monosyllabe (Je ne peux que le supposer lorsque je vois s’écrire - à l’envers - ce qui se dit en off) comme cette langue qu’elle commence à découvrir à l’aide d’autochtones dont elle s’est fait proche, jusqu’à les ’toucher". Le voyage de retour - et l’on peut jouer sur ce mot - offre aux spectateurs une fin ouverte et à Liliane un à-venir à construire sur les cendres d’un passé révolu.