Synopsis : 1969. Chen Zhen, un jeune étudiant originaire de Pékin, est envoyé en Mongolie-Intérieure afin d’éduquer une tribu de bergers nomades. Mais c’est véritablement Chen qui a beaucoup à apprendre – sur la vie dans cette contrée infinie, hostile et vertigineuse, sur la notion de communauté, de liberté et de responsabilité, et sur la créature la plus crainte et vénérée des steppes – le loup. Séduit par le lien complexe et quasi mystique entre ces créatures sacrées et les bergers, il capture un louveteau afin de l’apprivoiser. Mais la relation naissante entre l’homme et l’animal – ainsi que le mode de vie traditionnel de la tribu, et l’avenir de la terre elle-même – est menacée lorsqu’un officier du gouvernement central décide par tous les moyens d’éliminer les loups de cette région.
Acteurs : Dou Shawn, Feng Shaofeng.
Avertissement : Voici ce que j’ai publié à chaud sur le forum dvdclasssik après la vision presse :
"Le dernier loup (Jean-Jacques Annaud) : 10/10
Une note partiale, philosophique, humaniste, "animale"... que j’assume totalement malgré des imperfections.
Un coup de coeur, une interpellation qui me laisse KO !"
S’il s’était agit d’un autre film, j’aurais probablement coté à 8,5/10... mais ici, j’ai été à un tel point interpellé que je souhaite défendre le film au nom de mon (in)humanité en assumant totalement ma partialité !
Du roman au film
À la base du film, un roman chinois, publié sous un pseudonyme, qui a traversé la censure : Le totem du loup (Láng Túténg). L’oeuvre est autobiographique (du moins en partie) et a eu un succès complètement inattendu en Chine, passant les fourches caudines de la censure pour être publiée à plus de vingt millions d’exemplaires (y compris "piratés" et sans compter que plus de vingt pays ont acquis les droits !). Le roman se passe en 1967 et nous montre la rencontre, voire la confrontation entre un jeune étudiant et le peuple mongol qu’il vient pour "instruire" - à la demande des autorités - fort de son instruction en ville. L’auteur invite à être des "loups" et non pas des "moutons", face au dragon (symbole du pouvoir). On lira avec profit cet article de L’Express dont voici une version en PDF.
Des hommes et des bêtes !
Il a fallu de nombreuses années de préparation pour ce film, en particulier l’élevage des loups et toute la gestion des animaux, dont les loups sauvages et donc difficiles à dresser. le tournage a nécessité "480 techniciens, 200 chevaux, près d’un millier de moutons, 25 loups, et la cinquantaine de dresseurs et soigneurs qui s’en occupaient… dont des gardes armés, certains fermiers du coin ambitionnant de nous « emprunter » quelques-uns des loups pour les accoupler avec leurs chiennes…".
Les rôles principaux nécessitant des dialogues ont été joués par des acteurs professionnels, en particulier les rôles principaux (ceux des deux étudiants). Les autres ont été interprétés par des habitants de Mongolie. Le contrôle de la justesse des langues (mandarin et mongol) a été nécessaire. Le tournage de certaines scènes a nécessité l’utilisation de drones (silencieux, contrairement aux hélicoptères). Il s’agissait en particulier de celles de l’attaque des chevaux par les loups qui a dû demander beaucoup de précautions. Impossible de faire "jouer" ensemble chevaux et loups (on comprend pourquoi) sans un maximum de précautions. Si des "couloirs" étaient réservés à chacun, il a fallu la présence des dresseurs habillés totalement en bleu pour les faire disparaître en postproduction. Le réalisateur a recouru le plus possible à l’utilisation de véritables animaux (en fait dans 99% des cas ; 1% étant le fait de CGI ou d’effets spéciaux). Aucun animal n’a été maltraité ou blessé durant le tournage (ce qui n’empêche - notamment pour le réalisateur - des coups de griffes ou autres de la part de loups !). Pour clore ce point sur les questions relatives à la réalisation du film - on pourrait écrire des dizaines de pages, mais ce n’est pas l’objet de cette critique - il a fallu deux louveteaux (dont l’un sera "dressé" et l’autre pas) pour jouer avec Shaofeng Feng (qui interprète Chen Zhen).
Tel est pris qui croyait apprendre !
Il y a cinquante ans, ces jeunes étudiants sûrs de leur mandarin face à des Mongols qu’il faudra éduquer à la culture citadine sous l’impulsion des autorités ont dû être surpris de la confrontation entre tradition et "modernité". Eux qui doivent apprendre aux paysans une culture qu’ils n’ont pas découvriront une autre culture et une sagesse qu’ils n’appréhendaient pas. C’est que ces Mongols vivent en communion ou plutôt en interaction contrôlée avec le monde qui les entoure, ou plutôt la nature. Face aux loups (splendides au demeurant) de Mongolie, et confrontés à la nécessité de garder leurs troupeaux (de moutons, notamment) en vie - car il y a va de leur survie - ils devront intervenir dans les processus "naturels" afin de contrôler les naissances. Mais il ne s’agit pas de faire n’importe quoi. En effet, les loups sont nécessaires dans la chaîne vitale et toute modification a des interactions en aval. C’est donc avec beaucoup de prudence et de discernement qu’ils agissent pour une régulation des naissances animales alors même que l’explosion de celles chez les humains impose de conquérir de nouveaux territoires et de les soustraire aux hommes et aux animaux qui les habitent. Le film nous invite donc à voir ces processus naissants il y a cinquante ans et qui se sont amplifiés depuis (en Chine ou ailleurs).
La violence et le sacré
Il ne s’agira pas non plus d’idéaliser une communion avec la "nature". De penser l’homme mauvais face à une "Nature" bonne et pacifique. C’est que sans l’homme, il y a une violence présente, intrinsèque à la chaîne alimentaire dont tous les maillons sont intimement liés. Mais confrontés à cette violence, les humains du terroir vont le vivre sous le mode du sacré. C’est à un divin qu’il faut rendre compte de la violence, qu’il faut offrir ces louveteaux que l’on envoie vers le ciel avant qu’ils ne retombent sur le sol pour s’y fracasser et mourir. Et au terme de la vie du mongol, citoyen de la Terre, on ne va pas enterrer son corps mais le laisser disponible, en offrande et compensation pour les vies ôtées avec violence. Et toute action violente aura d’ailleurs été précédée d’une adresse au "divin", aux dieux pour y être autorisée en quelque sorte et pour reconnaître d’une certaine manière que cette action vient inférer dans le cours naturel des événements.
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Ils sont livrés entre nos mains !
Le film d’Annaud nous fait donc découvrir la violence de ces éleveurs pour protéger leurs moutons et chevaux. Elle pourra horrifier certains alors même que le "divin" vient la pondérer. Il ne s’agit pas ici d’opposer des "sauvages" à des "civilisés". Je me souviens d’un reportage en juin 2004, sur les conditions de transport des animaux. On les poussait avec des pistolets électriques à sauter de plusieurs mètres dans des wagons, on les levait à l’aide de treuils, par les pattes, ceux dont celles-ci étaient cassées, les laissant tomber-là et agoniser huit ou dix heures durant ! jusqu’à ce que la mort survienne.Quelques mois plus tard, la télévision montrait l’image de transport d’animaux en Europe, pour notre nourriture : quarante heures sans boire, sans manger... No comment : ils sont livrés entre nos mains !
Dix ans plus tôt, en 1994, un théologien écrivait une parabole dans “Quand le ciel touche la terre” : “Quelqu’un a aperçu un ver de terre sur la route. Le soleil rendait l’asphalte brûlant. Si les biologistes ne savent pas mesurer l’intensité de la douleur produite par le système nerveux primitif d’un ver de terre, en tout cas, sur cet asphalte, un ver de terre de cinq centimètres de long représente cinq centimètres de souffrance. Et donc, l’homme transporta le ver de terre hors de la voie routière.”(p. 80).
Et encore, un peu plus loin : “Il y a quinze ans, on était un songe-creux quand on disait : “Il faut donner à une salamandre ou un triton presque autant d’importance qu’à un petit d’homme”. Aujourd’hui, on sait que c’est vraiment ainsi que cela se pose. Il y a trente ans, on était un rêveur quand on disait qu’on devait, à Pâques, faire une marche non seulement pour la résurrection, mais au moins autant pour le désarmement et les objecteurs de conscience. Entre-temps, on sait que nous n’avons plus d’autre solution si nous voulons continuer demain à habiter notre planète. Et sur tous ces chapitres, la compassion serait loin d’être gratuite. Si nous voyons le monde avec les yeux de ceux qui souffrent, il n’est pas impossible que cette vision devienne quasiment insoutenable. (...) La possibilité existe, il suffirait peut-être de commencer, et de tenir bon”. (p. 81).
L’homme dans la Nature
Il ne s’agit donc pas uniquement de la question des abattoirs, des animaux, de salamandres ou de vers de terre mais de notre place au sein de la "nature". On pouvait croire jusqu’ici que nous payons la monnaie de la pièce de l’instruction biblique de croître, multiplier et dominer (qui inspire encore l’éthique chrétienne, notamment en matière de régulation des naissances). Le film de Jean-Jacques Annaud nous plonge dans une culture où cet impératif biblique n’est pas de mise. Les Chinois cultivés de la révolution culturelle sont eux-mêmes en quête d’expansion de leur peuple et pour cela il faut subordonner la nature. On peut supposer que le fait que les Chinois d’aujourd’hui ont accepté ce film sans finalement le censurer témoigne d’une prise de conscience que cette subordination n’est pas sans conséquence. Il nous faut peut-être nous regarder, nous humains, comme faisant partie du règne animal et de la nature sans prétendre à une extériorité qui nous dispenserait d’en respecter les règles. Car, nous qui cataloguons si facilement les espèces envahissantes sommes peut-être la plus envahissante de toutes, ce qui pourrait donner raison à des pamphlétaires comme Yves Paccalet dans L’humanité disparaitra, bon débarras !
Mondialisation
Avant de conclure, je souhaite aborder le point de la mondialisation. Nous vivons dans un monde global. Il ne nous appartient pas. Et pourtant tous voient aujourd’hui la richesse et la pauvreté des uns et des autres. Est-ce que nos modes de vie ne sont pas en cause ? Ne sont-ce pas ceux-ci et les frontières que nous mettons à nos pays, nos villes, nos pays, nos modes de penser et de vivre qui entrainent ces déferlantes de violence religieuse particulièrement depuis le début de cette année mais qui en fait ont toujours existé ?
Nous sommes les gérants d’un monde pour les générations futures… pourtant si peu sûres d’exister encore devant l’impératif de croître et de multiplier ! Et même si quelqu’un nous a dit récemment de ne pas le faire « comme des lapins », il n’empêche que nous ne pouvons continuer à croître de cette façon… si du moins nous voulons vivre à l’occidentale.
Eugen Drewermann déjà cité - écrivait que si nous voulions vivre dans le monde entier selon l’idéal de la technologie occidentale de la fin du XXe siècle nous ne pouvions le faire que si nous n’étions pas plus de trois cents millions d’humains sur la terre !
La seule alternative si nous voulons être aussi nombreux est de partager équitablement le monde pour tous. Cela imposerait alors de tels changements de vie et d’existence au monde, un abandon de nos technologies, de nos modes de transport, d’acquisition de notre nourriture, l’abandon de l’exploitation outrancière de la nature et des animaux…
Du particulier à l’universel
Voilà donc un film que je recommande chaleureusement. Le ciel y tutoie les horizons de ces montagnes et plaines mongoles. Le réalisateur, partant de cette histoire singulière d’un jeune étudiant venu apprendre la culture à des incultes, en arrive à faire passer un message universel. Car si le jeune étudiant est finalement celui qui a été éduqué à un autre rapport au monde (avec un tribut très lourd à payer, la mise à mort des loups parce qu’ils occupent les territoires que les humains s’arrogent) c’est nous qui cinquante ans plus tard devons apprendre et tirer des leçons.
Pourrons-nous le faire ? Certes, les émotions pourront nous submerger devant les images grandioses, les loups si fascinants et leur mise à mort, devant la cruauté des humains (notre cruauté !), notre rapport obvie au monde dont nous ne sommes pas propriétaires mais usufruitaires au bénéfice de la "nature" (et donc aussi de nos enfants) qu’il n’y a cependant pas lieu de déifier. Et après ? Peut-être un film à réaliser - par qui - dans quelques centaines d’années : Le dernier homme ?