Genre : Drame
Durée : 98’
Acteurs : Romain Duris, Mei Cirne-Masuki, Judith Chemla, Patrick Descamps...
Synopsis :
Tous les jours, Jay parcourt Tokyo au volant de son taxi à la recherche de sa fille, Lily. Séparé depuis 9 ans, il n’a jamais pu obtenir sa garde. Alors qu’il a cessé d’espérer la revoir et qu’il s’apprête à rentrer en France, Lili entre dans son taxi...
La critique de Julien
Six ans après "Nos Batailles", Guillaume Senez et Romaine Duris refont équipe pour "Une Part Manquante", lesquels continuent, par la même occasion, à donner la parole aux pères de famille, ici dans le cadre d’une séparation, au Japon, où la justice ne reconnaît ni la garde partagée ni le droit de visite. Jérôme (Duris), alias Jay, cherche alors désespérément sa fille Lily (Mei Cirne-Masuki) depuis maintenant neuf ans, soit depuis que sa femme (Yumi Narita) a quitté le foyer avec celle-ci, âgée de trois ans au moment des faits. Arpentant sans relâche les rues de Tokyo avec son taxi, Jay s’apprête pourtant à quitter le pays pour retourner en France. Sauf que sa fille montera dans son taxi...
D’après le code civil japonais, c’est au premier parent qui part lors d’une séparation parentale d’avoir la garde exclusive de l’enfant, le Japon étant un pays très conservateur et attaché à l’autorité exclusive, soi-disant pour une question de stabilité de l’enfant. Le pays ne considérant donc pas "l’enlèvement" d’un enfant par l’un des parents biologiques comme un crime, le conjoint n’ayant plus l’autorité parentale risque ainsi de ne plus voir son enfant jusqu’à sa majorité. De plus, en cas de remariage, le nom du parent biologique n’ayant pas autorité disparaît même de l’état civil du nouveau foyer fondé par celui qui la possède, soit majoritairement la mère. Une situation vue de manière quelque peu injuste de ce côté-ci de l’Occident, surtout dans le cadre d’un mariage interculturel, alors que plus de 150 000 jeunes Japonais sont "enlevés" chaque année par l’un de leurs parents. Et c’est lors de la promotion de leur précédent film que Guillaume Senez et Romain Duris ont pris connaissance de ce sujet, alors que des expatriées leur ont fait part de leur lutte pour revoir leur enfant après une séparation. "Tombé amoureux", non pas du Japon, mais "d’une histoire qui se passe au Japon", Guillaume Senez nous confronte ainsi au combat tout en pudeur d’un père incomplet...
Récit sensible questionnant sans jugement une réalité culturelle qui diffère forcément de la nôtre, "Une Part Manquante" offre un nouveau rôle en or à Romain Duris, lequel s’avère particulièrement touchant dans la peau d’un père en quête de sa paternité, de ce qu’on lui a, quelque part, arraché, sans pour autant que cela ne soit puni. Pire, c’est ce dernier qui le sera ! Car ce qui peut paraître ici comme contre-nature, et illicite, ne l’est pas au Japon. Bien au contraire, cela est inscrit depuis 1868 dans le code civil japonais, même si le Parlement japonais a voté une modification de celui-ci en mai dernier, établissant ainsi la "possibilité" d’une autorité parentale conjointe, mais uniquement dans le cas d’un divorce. Or, quand on sait que des pères sont emprisonnés après avoir tenté d’entrevoir leur enfant, cela reste un petit pas... Face à Duris, le personnage de Judith Chemla (dans la même situation) permet de nous en apprendre plus quant à d’autres parts de ce père, liées à son passé, et à ses responsabilités dans ce qui est arrivé. D’ailleurs, est-ce finalement bien raisonnable de rechercher après un enfant qui n’a aucun souvenir de son père, au risque ainsi de perturber d’autant plus son existence, et cela face au côté irrémédiable de la situation ?
Guillaume Senez témoigne dès lors ici de plusieurs paradoxes déchirants, mais avec nuances et touches d’espoir, lequel le fait d’ailleurs au travers d’une mise en scène moderne et sans cesse en mouvement, et cela de par le métier qu’exerce son personnage principal, et le fait qu’il ne dorme jamais. La technologie, si chère au Japon, est également bien présente dans le récit, tandis que la photographie capture sa vie et ses lumières, pour encore plus nous immerger dans sa culture, sans jamais donc la mépriser, mais au contraire pour s’en nourrir et questionner les contradictions de notre humanité. Guillaume Senez et son scénariste Jean Denizot témoignent dès lors de celles-ci avec un regard des plus authentiques et légitimes, et pas seulement parce qu’ils sont des hommes ou des pères, mais parce qu’il est tout simplement humain et vital pour un parent de pouvoir vivre auprès de son enfant, sans que des lois violent ce qui devrait être un droit, lesquelles l’accusent, à leur tour, de les violer...
Sans artifices ni démonstration, "Une Part Manquante" fait ainsi partie de ces films qui touchent par leur pudicité, son cinéaste continuant en si bon chemin à creuser le thème de la paternité, laquelle n’est pas encore vue comme l’égal de la maternité sur tous les fronts. Mais ça, c’est une autre histoire. De quiétude à inquiétude, et inversément, on plonge alors dans cette histoire à hauteur d’homme, mais d’une grande universalité, bien aidé en point d’orgue par la musique du compositeur Olivier Marguerit, tandis qu’y résonne aussi la voix cristalline de Jeanne Added sur la reprise "I’m Kissing You" de Des’ree (1997).
