Genre : Drame, biopic
Durée : 120’
Acteurs : Sebastian Stan, Jeremy Strong, Maria Bakalova, Martin Donovan, Charlie Carrick, Mark Rendall...
Synopsis :
"The Apprentice" revient sur la vie de Donald Trump pendant ses jeunes années en tant qu’entrepreneur immobilier. Il s’agit de la période pendant laquelle Trump fait ses premiers pas dans l’entreprenariat, secteur en perpétuelle évolution. Il commence alors à fonder son empire immobilier avec l’aide de son mentor, l’influent et brillant avocat Roy Cohn. Ce portrait de Trump explore les thèmes de la corruption et de la soif de pouvoir dans l’Amérique des années 70 et 80.
La critique de Julien
Alors que la course à la Maison-Blanche bat son plein entre Kamala Harris, vice-présidente démocrate, et l’ancien président républicain Donald Trump, le cinéaste danois d’origine iranienne Ali Abbasi s’attaque aujourd’hui à la figure de ce dernier, ou du moins à l’aube de sa carrière, dans "The Apprentice", empruntant d’ailleurs son nom à l’émission de télé-réalité du réseau NBC, dans laquelle Donald Trump (de 2004 à 2015) faisait passer un entretien d’embauche constitué d’épreuves concrètes à plusieurs postulants, en vue d’offrir au dernier un poste de cadre supérieur au sein de son entreprise. Présenté en Sélection officielle en compétition à Cannes, deux ans après son précédent film "Holy Spider (Les Nuits de Mashhad)", ce biopic a évidemment attiré les foudres du principal intéressé, le porte-parole en chef de sa campagne, Steven Cheung, affirmant en mai dernier dans un communiqué à Variety vouloir porter plainte contre le réalisateur. On vous passera les détails de ses déclarations (que vous pouvez retrouver dans l’article rédigé ici par la journaliste Katcy Stephan le 20 mai 2024), même si l’on pointera tout de même du doigt la soi-disant "ingérence électorale de la part des élites hollywoodiennes, qui savent que le président Trump reprendra la Maison-Blanche et battra leur candidat de choix parce que rien de ce qu’elles ont fait n’a fonctionné". Des propos laissant songeur, et rouvrant le débat de la position politique d’Hollywood, mais dont il n’est pas question ici. Peu flatteur, même si quelque peu complaisant dans la détermination de réussite de Donald Trump, "The Apprentice" nous montre ainsi comment le futur magnat de l’immobilier et milliardaire a lancé sa carrière, et s’est forgé, ce qui l’a amené jusqu’où l’on sait aujourd’hui. Or, sa rencontre avec l’avocat controversé Roy Cohn n’y est sans doute pas pour rien, ce sur quoi se centre ici ce film...
Écrit par le journaliste Gabriel Sherman, "The Apprentice" met en scène Sebastien Stan dans la peau de Trump et Jeremy Strong dans celle de Cohn. Et autant dire que les deux hommes sont stupéfiants dans leur partition, le premier ressemblant fortement à l’impitoyable et maniaque Trump des "jeunes années", jusqu’à ses mimiques et sa manière de bouger sa bouche lorsqu’il s’exprime oralement, bien que le second tire cependant ici son épingle du jeu dans le costume du mentor déchu, trahi, face à un élève ayant perdu de son humanité à mesure de sa réussite, quelque peu ingrate, et finalement tout aussi contestée que celle de Cohn. Et c’est en se basant sur des conversations qu’il a eues avec "des gens" ayant travaillé pour Trump depuis les années 80, mais également sur les dossiers du divorce avec sa première femme Ivana Trump (Maria Bakalova) ou encore sur la biographie "Lost Tycoon : The Many Lives of Donald J. Trump" (d’Harry Hurt, 1993) que Gabriel Sherman a écrit ce scénario, lui qui avait d’ailleurs couvert la campagne présidentielle de Donald Trump en 2016.
À prendre donc avec les pincettes, ce que nous dit et nous montre "The Apprentice" est bel et bien une fiction inspirée de la réalité, laquelle nous donne d’ailleurs à voir des scènes assez caustiques à l’égard de Trump, comme l’une où il avale des pilules d’amphétamines ou subit une liposuccion dans l’idée de perdre du poids, lequel a également recours ici à une intervention chirurgicale afin d’enlever sa calvitie, sans oublier - beaucoup plus offensant et délicat - une scène dans laquelle il jette violemment son ex-femme au sol et procède à des relations sexuelles non consenties avec elle... On comprend finalement que le film ait eu du mal à trouver un distributeur américain, l’équipe juridique de Trump ayant d’ailleurs tenté de bloquer sa sortie, avant que la société de production et de distribution américaine indépendante Briarcliff Entertainment [1] en achètent les droits. Mais le résultat, lui, est sans appel, puisque "The Apprentice" est un fulgurant échec commercial...
Malgré son côté satirique, "The Apprentice" n’y va pas de mainmorte lorsqu’il est question d’appuyer le portrait d’entrepreneur audacieux, intrépide et prospère qu’est Donald Trump, ce qui lui a permis de montrer les échelons et d’atteindre le haut de la Trump Tower, bien qu’il ait, pour cela, obtenu - par magouille - un scandaleux abattement fiscal de 160 millions de dollars (!). L’art et la manière, deux principes qui semblent dès lors échapper au Trump sans scrupule (ou presque) qu’Ali Abassi met ici en scène, et cela entre ses trois conseils de réussite enseignés par Cohn (toujours attaquer, ne jamais admettre ses torts et toujours revendiquer la victoire même en cas de défaite), son instinct de tueur, ou encore son mépris envers tout ce et ceux qui peuvent le ralentir, bâtissant son empire par sa soif de grandeur et sa "supériorité génétique" propre aux gagnants, qu’il surnommera ici les "tueurs" ("Killers"). Vantant - en apothéose - tous les ingrédients de sa réussite au journaliste Tony Schwartz, le futur auteur de ses mémoires et livre de conseils commerciaux "Trump : The Art of the Deal" (1987), c’est pourtant à l’issue de cette intrigue que la carrière de Donald Trump va prendre son envol.
En centrant ainsi sa caméra sur la relation entre Trump et Cohn, Ali Abbasi nous offre ici un intéressant point de vue sur ce(lui) qui "a fait" Trump. Mais le film a beau être piquant et à charge, ce dernier s’avère tout de même plus sage qu’attendu, malgré la volonté du cinéaste d’y soulever la (re)montée croissante du fascisme dans notre société, par son pertinent portrait, aussi sensationnel soit-il. Le cinéaste, par contre, nous y montre comment la cupidité, l’intimidation ont acheté les hommes et les entreprises au travers des années, et cela avec une touche de cynisme qui fait froid dans le dos. On n’en oubliera pas non plus un certain côté nostalgique, en témoigne la photographie tantôt en 16 mm pour les années Nixon ou encore en format VHS pour celles de Reagan, sans oublier la bande originale de Martin Dirkov, où l’on peut notamment y entendre le titre "Yes Sir, I Can Boogie" (1977) de Baccara. "Déchet" pour certains, "publicité en or" pour d’autres, si "The Apprentice" va à l’encontre du célèbre "Make America Great Again !", pas certain qu’il lui fasse peur... Mais était-ce le but ?