Synopsis : Juin 1945. Grièvement défigurée, la chanteuse Nelly Lenz, seule survivante d’une famille déportée à Auschwitz, retourne dans un Berlin sous les décombres. Elle est accompagnée de sa fidèle amie, Lene, employée de l’Agence Juive. Tout juste remise d’une opération de reconstruction faciale, Nelly part à la recherche de son mari, Johnny, malgré les mises en garde suspicieuses de Lene. Johnny est convaincu que sa femme est portée disparue. Quand Nelly retrouve sa trace, il ne voit qu’une troublante ressemblance et ne peut croire qu’il s’agit bien d’elle. Dans le but de récupérer son patrimoine familial, Johnny lui propose de prendre l’identité de sa défunte épouse. Nelly accepte et devient son propre double. Elle veut savoir si Johnny l’a réellement aimée ou s’il l’a trahie…
Acteurs : Nina Hoss, Uwe Preuss, Ronald Zehrfeld ,Nina Kunzendorf, Valerie Koch, Eva Bay, Imogen Kogge.
Le film s’appuie sur la littérature. Tout d’abord sur un roman policier Le retour des cendres publié en 1961 par Hubert Monteilhet. C’est plus l’ossature de l’intrigue qui est reprise plutôt qu’une adaptation cinématographique du roman. Le réalisateur s’inspire également d’une nouvelle d’Alexander Kluge, Ein Liebesversuch (DE) publiée en 1962. Celle-ci décrit des expériences nazies où on réunit un couple de juifs qui ont été stérilisés par rayons X afin de vérifier que la procréation échoue. Mais, contre l’attente des "expérimentateurs" le couple ne se rapprochera pas et n’aura pas de relations intimes. Ils seront alors exécutés. L’on est donc là très loin de Phoenix. Je suppose que Christian Petzold a voulu aborder la question d’un couple dont l’amour est impossible à réaliser. N’ayant pas lu la nouvelle je ne puis cependant m’avancer sur ce point.
Après l’excellent Barbara (2012), l’on retrouve les deux acteurs principaux Nina Hoss et Ronald Zehrfeld, à nouveau en couple à l’écran. C’était alors en 1980, en Allemagne de l’Est. On ne quitte pas l’Allemagne, mais l’on remonte dans le passé pour passer de l’autre côté, au début de l’été 1945, juste après l’horreur des camps.
Le hasard a fait que j’ai vu auparavant Im Labyrinth des Schweigens qui se déroule en Allemagne aussi, mais en 1958. Si le thème le genre et la thématique de ce dernier sont totalement différents j’en retiens une constante : le silence. Il est des choses dont on ne parle pas, que l’on tait. Ici, le silence, après la guerre, sur l’horreur des camps et l’implication d’Allemands. S’il était difficile et délicat en 1958 de faire advenir à la parole un passé que l’on voulait oublier, combien plus voulait-on tourner la page en 1945, dans les décombres d’une guerre perdue ?
Je ne souhaite pas dévoiler plus que le synopsis officiel n’en dit, mais faire part de mon ressenti, de mes émotions lors de la vision du film. Tout d’abord, je ne suis pas indemne de mes itinéraires cinématographiques (ce que j’appelle ailleurs mes "cinitinéraires" - selon Google je semble être le seul à le faire) et donc des films que j’ai vus. Ainsi, en salle m’arrive-t-il de faire des liens, non plus des mots crochets, mais des films-crochets que je relie, que j’enchaîne l’un à l’autre par évocation d’idées, de thèmes, de sentiments, d’émotions.
Ainsi, je savais que certains disaient le film influencé par Les yeux sans visage de Georges Franju, mais ce n’est pas ce qui m’est venu à l’esprit, mais plus La piel que habito de Pedro Almodóvar. Je conviens que les liens éventuels sont ténus, certainement pas voulus par le réalisateur et qu’il s’agit d’une tout autre histoire. Certes ! Mais le visage détruit et reconstruit de Nelly, sa quête d’identité et le regard de l’autre ont amené ces liens à ma mémoire.
Pendant près de la moitié du film, le réalisateur prend le temps de faire découvrir son "héroïne" et sa quête, double : retrouver son mari et découvrir la vérité. Et lorsqu’elle retrouvera l’un et pas l’autre, qu’en sera-t-il de la/sa "reconnaissance" par le premier ? Il a des yeux, mais il ne reconnait pas le visage si semblable et pourtant si différent : marqué par la blessure et l’opération esthétique, marqué aussi par l’épreuve des camps. Épreuve qu’il faudra taire d’autant plus que personne ne veut savoir ni même poser de questions.
Devra se faire alors un travail de déconstruction l’autre pour reconstruire la même. Il y aura là un double jeu entre les protagonistes du film : l’épouse qui fantasme sur l’époux perdu et retrouvé et veut paraître à ses yeux celle qu’il ne voit pas. Lui, de fait, ne voit rien et façonnera à l’image de son souvenir celle qui ne ressemble plus trait pour trait à celle qu’il a connu avant son envoi dans les camps et qu’il croit morte.
Ce sera ce travail de la deuxième partie du film. Faire advenir au monde, aux proches, aux amis - qui ont eux aussi connu l’ambiguïté de la guerre et des prises de position des uns et des autres - une autre femme comme étant la même. C’est grâce à un extraordinaire numéro final qu’une identité sera retrouvée pour être mieux perdue !
Outre cet itinéraire de deux êtres vers une impossible rencontre - réconciliation - reconnaissance, je relève aussi toute la question évoquée par le film, relative au silence, à la chape de plomb autour de "ce" qui s’est passé, en quelque sorte, l’innommable. Ces mots ne peuvent advenir à la parole, au langage. Ils sont donc, d’une certaine manière maudits de ne pouvoir être dits. L’on découvrira qu’au moment où celle que l’on sait être Nelly dit à Johnny ses propres mots sur sa déportation, qu’elle se réapproprie "cela" elle ne pourra pas affirmer "je dis", mais "on m’a dit...".
In fine, à défaut de paroles, ce sera au chant à donner voix, à la façon d’un poème. Un peu à l’image de Zorba le grec : lorsque l’oeuvre est démolie le poème se dresse sur l’échec : Zorba chante et danse. Il n’est pas vaincu par son échec. Il en est de même pour Phoenix (le titre est le nom de la boîte de nuit dans laquelle Nelly retrouve Johnny). À défaut de renaître (de ses cendres ?), c’est du lieu même d’un départ, d’un retrait, d’une absence qu’une identité pourra se dévoiler ou naître.