Genre : Drame
Durée : 83’
Acteurs : Louise Mauroy-Panzani, Ilça Moreno Zego, Abnara Gomes Varela, Fredy Gomes Tavares, Arnaud Rebotini...
Synopsis :
Cléo a tout juste six ans. Elle aime follement Gloria, sa nounou qui l’élève depuis sa naissance. Mais Gloria doit retourner d’urgence au Cap-Vert, auprès de ses enfants. Avant son départ, Cléo lui demande de tenir une promesse : la revoir au plus vite. Gloria l’invite à venir dans sa famille et sur son île, passer un dernier été ensemble.
La critique de Julien
"Àma Gloria", c’est le premier film solo de la metteure en scène Marie Amachoukeli, laquelle avait partagé avec Claire Burger et Samuel Theis la Caméra d’Or du Festival de Cannes en 2014 pour leur film "Party Girl". Justement présenté en mai dernier en ouverture de la Semaine de la Critique à Cannes ainsi qu’au Brussels International Film Festival (BRIFF) où il a remporté le Prix RTBF, ce mélo est dédié à une certaine Laurinda Correia, laquelle s’est beaucoup occupée de la réalisatrice lorsqu’elle était très petite. Issue de l’immigration portugaise, cette dame, qui était concierge dans l’immeuble où Marie vivait avec sa famille, la considérait alors comme l’une de ses filles, parmi ses filles. Mais c’est à ses six ans que la future réalisatrice apprenait que Laurinda retournait au pays avec sa famille pour ouvrir un établissement, et refaire ainsi sa vie auprès des siens. Bien qu’elles soient toujours en contact, et que son ancienne nounou l’appelle toujours "ma fille", cette séparation fut, à l’époque, vécue comme une "déflagration" pour Marie Amachoukeli. Pourtant, en plus de lui rendre ici hommage, cette dernière offre ici un doux écrin d’amour "clandestin" à celles (et ceux) qui offrent justement une place aussi importante aux enfants des autres qu’aux leurs, pour de l’argent ou non, tandis que la cinéaste, très humaine dans son approche, questionne l’injustice des enfants biologiques restés aux pays, lesquels grandissent en permanence sans leur mère, pour la simple et bonne raison qu’elle est obligée de se déplacer pour subvenir à leurs besoins...
Cléo (Louise Mauroy-Panzani) a dès lors six ans, des lunettes et un papa ; sa maman étant décédée des suites d’une maladie. Sa mère de substitution, c’est Gloria (Ilça Moreno Zego), elle qui passe la majorité de son temps avec la petite quand elle n’est pas à l’école. Migrante économique, cette dernière se doit pourtant de rentrer au pays, sur son île de Santiago, au Cap-Vert, pour retrouver ses propres enfants, dont son jeune ado César, ainsi que sa fille Fernanda, sur le point d’accoucher. Mais Gloria souhaite aussi terminer le chantier de l’hôtel qu’elle espère ouvrir pour la saison touristique prochaine. Or, cela va laisser Cléo ravagée par la tristesse, elle qui ne souhaitait jamais se séparer d’elle... Mais la promesse d’un été passé chez Gloria va leur donner du baume au cœur, à toutes les deux, lequel sera parsemé de merveilleux et déchirants moments, face notamment au regard des locaux, et des propres enfants de Gloria, voyant du mauvais œil l’importance qu’elle offre à la fillette, qui caresse quant à elle l’espoir de ramener Gloria avec elle, en France...
Vécu du point de vue de l’enfant, "Àma Gloria" est un film terriblement attachant, porté le jeu très impressionnant de la petite Louise Mauroy-Panzani, très mature dans son attitude pour son jeune âge, laquelle verse ici aussi bien des larmes de joie que de tristesse. On est nous-mêmes ravagé par l’authenticité du jeu de la gamine, face caméra, laquelle joue avec un naturel désarçonnant, très bien dirigée et entourée ici. Pourtant, le film de Marie Amachoukeli reste très pudique en émotions, notamment vis-à-vis des adultes, Ilça Moreno Zego jouant avec beaucoup de nuances une mère de famille qui aime cet enfant qui n’est pas le sien, mais qu’elle doit, quelque part, abandonner. Il est alors question ici d’une double émancipation, d’indépendance, au prix fort de l’amour physique qui les lie. D’une part, Gloria ne sera plus "l’employée de", tandis que Cloé, elle, ressortira grandie de cette séparation, laquelle évoluera sans doute plus vite qu’une enfant de son âge.
Même si l’intrigue se déroule ici en grande partie au Cap-Vert, c’est bien le hors-champ qui prime dans ce film aussi beau que mélancolique, ainsi que le regard de sa jeune interprète. On ressent dès lors tout ce que Cloé vit, interprète, pense, ou imagine, de ses sensations à ses sentiments les plus forts. Le montage du film laisse d’ailleurs libre recours ici à l’imagination de la petite fille par d’irrésistibles séquences animées, et vrais moments de pure respiration et de voyage. Alors qu’elle avait déjà co-réalisé avec Vladimir Mavounia-Kouka le court métrage d’animation "I want Pluto to be a Planet Again" (2016), Marie Amachoukeli, s’est ainsi associé ici avec son ami illustrateur et auteur jeunesse Pierre-Emmanuel Lyet pour des séquences animées à l’aide de peintures à la main et au pinceau, juxtaposées image par image, tandis que le mixage sonore (bruits, voix), lui, est bien réel, sans parler de la sublime musique de Fanny Martin. Le résultat est dès lors d’une délicatesse absolue, et représente ici tout ce que Cloé ressent, mais qu’elle n’arrive pas encore à exprimer avec des mots, soit le monde adulte vu par celui de l’enfance. Enfin, pour Cloé, il est bien évidemment question de la découverte d’une culture qui n’est pas la sienne, et surtout d’apprentissages de la vie, à accepter malgré la douleur de certains, sans oublier de magnifiques moments d’échanges (chuchotés) pleins d’attentions entre cette petite fille et sa nounou.
C’est particulièrement touché qu’on quitte la séance "d’Àma Gloria", ainsi que la vie de cette petite fille, si attentive et attendrissante. Car même si son histoire n’est pas la nôtre, celle-ci nous parle, ne fut-ce que par ce qu’elle illustre et représente de l’enfance, qu’on a tous vécue, en plus de mettre en lumière la vie parfois dévouée de femmes (et hommes) pour le bien (tarifié ou non) d’autrui, mais malheureusement toujours au détriment des siens. Bref, vous ne ressortirez pas indemne de cette histoire, à hauteur d’enfant, que nous sommes tous (restés)...