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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews sur la radio RCF Bruxelles (celle-ci n’est aucunement responsable du site ou de ses contenus et aucun lien contractuel ne les relie). Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques et en devient le principal rédacteur depuis 2022.

Catherine Corsini
Le Retour
Sortie du film le 12 juillet 2023
Article mis en ligne le 16 juillet 2023

par Julien Brnl

Genre : Drame

Durée : 106’

Acteurs : Aissatou Diallo Sagna, Esther Gohourou, Suzy Bemba, Philippe Appietto, Virginie Ledoyen, Denis Podalydès...

Synopsis :
Khédidja travaille pour une famille parisienne aisée qui lui propose de s’occuper des enfants le temps d’un été en Corse. L’opportunité pour elle de retourner avec ses filles, Jessica et Farah, sur cette île qu’elles ont quittée quinze ans plus tôt dans des circonstances tragiques. Alors que Khédidja se débat avec ses souvenirs, les deux adolescentes se laissent aller à toutes les tentations estivales : rencontres inattendues, 400 coups, premières expériences amoureuses. Ce voyage sera l’occasion pour elles de découvrir une partie cachée de leur histoire.

La critique de Julien

Deux ans après "La Fracture", Catherine Corsini était déjà... de retour sur la Croisette en mai dernier pour y présenter, en Sélection officielle en compétition, son nouveau métrage, sobrement intitulé "Le Retour". Or, ce drame, co-écrit avec Naïla Guiguet (jeune scénariste diplômée de la FEMIS), se nourrit de leurs histoires personnelles, la réalisatrice ayant été élevée dans un conflit de loyauté, entre un père corse, décédé quand elle était très jeune, et une maman qui ne supportait pas "l’Ile de Beauté", et qui s’y sentait enfermée ; étrangère. En retournant sur ses terres natales, qu’elle a refoulées, Catherine Corsini savait que quelque chose d’inconfortable et de bouleversant allait se jouer pour elle, sur ce tournage. Or, son film raconte justement l’histoire d’une mère de famille qui décide de retourner en Corse, le temps d’un été, afin de s’occuper des enfants d’une famille de bourgeois en villégiature. Sauf que Khédidja, devancée par une force qui l’emmène inconsciemment à y retourner, a vécu un drame, il y a quinze ans de cela, sur cette île, avant de la quitter, avec ses filles en bas âge, Jessica et Farah. Mais alors que leur maman a fait vœux de silence quant à cette mystérieuse histoire, les adolescentes, elles, vont se laisser porter au gré du vent, et se découvrir, elles, leurs corps et pulsions, ainsi que leur passé, tout en se frottant au rejet des locaux...

Chronique familiale estivale, "Le Retour" ressemble, à ne pas s’y méprendre, dans la forme, au diptyque "Mektoub, My Love" d’Abdellatif Kechiche, ou du moins au premier des deux films ("Canto Uno"), sorti en 2017, la seconde partie ("Intermezzo") ayant fait énormément polémique suite à sa diffusion au Festival de Cannes 2019, étant donné notamment une longue scène de cunnilingus non simulée dans les toilettes d’une discothèque. De plus, l’actrice de cette scène, Ophélie Bau, avait quitté la salle pendant la projection du film après avoir monté les marches du Palais des festivals, sans avoir été présente le lendemain avec l’équipe du film pour la conférence de presse, laquelle avait alors déclaré plus tard sur un plateau de télévision qu’elle "n’était pas d’accord avec ce qui allait être projeté", du moins dans son intégralité, et qu’il y avait là une "histoire de contrat pas respecté"... Quoi qu’il en soit, le film n’est jamais sorti dans les salles, bien que Kechiche, au Cinemed 2022, a déclaré son souhait de le sortir (après l’avoir remonté), tandis qu’il a confirmé également un "Canto Tre". Affaire à suivre, donc ! Tout cela pour en venir au fait que "Le Retour" a, lui aussi, subi la polémique, à Cannes, étant donné une scène de masturbation (coupée au montage) par une mineure de moins de 16 ans (l’actrice Esther Gohourou, jouant Farah), laquelle n’aurait pas été validée "au préfet et à la commission des Enfants du spectacle". Or, pour une telle scène, un(e) metteur(e) en scène se doit de faire appel à un coordinateur d’intimité. Or, bien que Catherine Corsini en ait proposé à sa jeune actrice, celle-ci aurait refusé. Quoi qu’il en soit, cette histoire a bien entaché la sortie du film, lui a failli ne pas être sélectionné à Cannes...

Autant dire tout de suite que "Le Retour" est le meilleur moyen de se dépayser au cinéma durant ses vacances d’été, du moins pour ceux qui n’auront pas la chance de voyager à l’étranger. Car Catherine Corsini filme ici - qu’elle le veuille ou non - la Corse comme une carte postale. Plages de sable fin, couchers de soleil, chants des cigales, Méditerranée à perte de vue d’un côté, la montagne de l’autre : la luminosité de l’été embrasse pratiquement chaque plan de son film, d’autant plus qu’elle y filme, en partie, une jeunesse en pleins émois. Cependant, on a ici bien le temps d’admirer les paysages, étant donné que cette histoire tourne un peu en rond avant de s’intéresser enfin à ses véritables questions, à savoir le mal du déracinement et la difficulté d’intégration à un milieu qui n’est pas le nôtre, le deuil et la manière dont on se (re)construit, mais également le mensonge par sentiment de culpabilité, et la manière dont il va confronter ses trois personnages féminins, dont deux sœurs, elles qui vont réagir contradictoirement à ces révélations. Et, enfin, la réconciliation. En tête d’affiche, on retrouve l’aide-soignante Aïssatou Diallo Sagna, laquelle avait tenu son premier rôle dans le précédent film de Corsini, lequel lui a permis de remporter, l’année dernière, le César de la meilleure actrice dans un second rôle. Tandis qu’elle exerce toujours son métier, la désormais actrice, bien que convaincante dans la retenue vis-à-vis de ce que porte, en lui, son personnage, est éclipsée par les jeunes interprètes, Esther Gohourou et Suzy Bemba (elle ne figure d’ailleurs même sur l’affiche officielle). La première, soit la cadette des sœurs, est un demoiselle frondeuse, intelligente et maligne qui, si elle a peur de se jeter littéralement à l’eau, n’a pas peur de s’y jeter sur terre, bien qu’elle vive avec un complexe d’infériorité par rapport à sa sœur aînée, Jessica, avec son prénom "français", elle qui réussit tout, dont ses études en Sciences Po, elle qui voit en son amitié très rapprochée avec Gaïa (Lomane de Dietrich) - la fille du couple de Parisiens pour qui sa mère travaille - une opportunité d’être transfuge de classe, ce à quoi pourrait lui ses études, elle qui, sans réponse quant à son passé, essaie, tant bien que mal, de combler un vide, tout en ayant grandi, sans le savoir encore, dans le mensonge...

En plus d’être, ainsi, un brin longuet dans sa mise en scène, cette histoire se révèle également assez prévisible dans la manière dont la cinéaste et sa co-scénariste développent leurs personnages, car on sent que Catherine Corsini aime bousculer nos représentations, les archétypes, déjouer les clichés, les idées préconçues. Ainsi, même si, de prime abord, le caractère d’une des deux sœurs prend ici beaucoup plus de place que celui d’une autre, et tend à l’opposition, c’est bien celui de l’autre qui sera la source ici de la majorité des attentions. Aussi, on regrette une sorte d’insouciance qui repose sur l’ensemble du métrage, dans le sens où chaque personnage semble mener sa vie de son côté, sans se soucier finalement de l’autre, dont cette maman, qui peine, il est vrai, à affronter le passé, et, dès lors, ses filles. Ainsi, pendant que l’une s’occupe à sa tâche, et retrouve l’ancien ami (Cédric Appietto) de son défunt époux, l’autre volera du haschisch à un Corse pour le revendre, tandis que la dernière délogera librement, sans que sa mère, suite à une dispute, cherche à la ramener. Aussi, on s’étonne que personne ne réagisse (il est vrai au cours d’une soirée bien arrosée, où la drogue sème le chaos) au fait qu’un lavabo suspendu ait été arraché d’un mur, laissant jaillir dans une salle de bain des trombes d’eau, ou ne s’inquiète des dégâts occasionnés volontairement sur la voiture d’autrui. Certaines actions n’ont ainsi ni queue ni tête, lesquelles nous interrogent sur leur pertinence, allant dès lors à l’encontre de la volonté de la cinéaste de faire avancer son récit "comme une pierre qui roule sans être stoppée". Il n’en demeure pas déplaisant à suivre, étant donné la chaleur qui s’en dégage, et son soleil, enivrant, mais également par ses zones d’ombres et secrets, dont les voiles sont levés par l’intensité de ce triple portrait, dans sa quête de pardon, et de réponses.



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