Genre : Drame
Durée : 94’
Acteurs : Catherine Clinch, Carrie Crowley, Andrew Bennett, Michael Patric...
Synopsis :
Irlande, 1981. Une jeune fille effacée et négligée par sa famille est envoyée vivre auprès d’une famille d’accueil pendant l’été. Elle s’épanouit avec eux, mais dans cette maison où il ne devrait pas y avoir de secrets, elle en découvre un...
La critique de Julien
Difficile de ne pas être séduit par le premier film du réalisateur irlandais Com Bairéad, intitulé "The Quiet Girl", lequel a permis à son pays de recevoir, pour la première fois de son histoire, une nomination à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, étant donné qu’il est essentiellement parlé en gaélique (ou l’irlandais). Basé sur la nouvelle "Foster" de l’auteure Claire Keegan, publiée pour la première fois dans le New Yorker (qui l’a déclaré "Best of the Year"), et publié en 2010 en France sous le titre "Les Trois Lumières" chez Sabine Wespieser Editeur, ce drame se déroule durant l’été 1981, et suit le parcours de Cáit (Catherine Clinch, pour ses débuts au cinéma), une jeune fillette discrète de neuf ans, qui peine à s’intégrer à l’école, ainsi qu’à trouver sa place à la maison, entre ses frères et ses sœurs méprisants, alors que ses parents, assez pauvres, la négligent, en plus d’être sévères. Mais alors que sa mère (Kate Nic Chonaonaigh) tombe à nouveau enceinte, cette dernière et son mari (Michael Patric) - qui ne parle qu’anglais - vont décider de l’envoyer vivre chez sa cousine éloignée d’âge moyen, Eibhlín (Carrie Crowley) et son mari Seán (Andrew Bennett), le temps d’un été, dans leur ferme, à Rinn Gaeltacht, dans le comté de Waterford. Malgré une certaine froideur initiale de la part de Seán, c’est là que la demoiselle va, peu à peu, trouver, pour la première fois, un foyer aimant...
Marié à la productrice du film Cleona Ní Chrualaoí, avec qui il a deux enfants, Com Bairéad semble avoir été particulièrement inspiré et touché par l’histoire fictionnelle de Claire Keegan, lequel parvient à donner chair et intensité à ses mots. Et malgré l’infime douceur que va trouver ici la jeune Cáit chez ses parents (estivaux) de substitution, ou sa famille d’accueil, "The Quiet Girl" est un film sur lequel pèse d’immenses blessures, en sous-texte, lesquelles vont pourtant se mettre à cicatriser de l’intérieur. Car ce qui peut sembler ici n’être "qu’une petite histoire" en dit beaucoup, avec pourtant si peu de mots, mais beaucoup de sensibilité...
Raconté à la première personne, au travers des yeux de son héroïne, que la caméra ne quitte jamais, ce premier film du metteur en scène irlandais nous parle ici de tendre enfance, fragile, sur laquelle un regard n’est ainsi jamais alors posé, ni un mot d’amour prononcé par ses proches. Le manque de communication, d’affection, de reconnaissance et d’amour entraîne dès lors chez Cáit un manque de confiance en soi, une incapacité à se livrer et à aller vers autrui. Pourtant, c’est dans une autre famille que la demoiselle va - aussi bien littéralement que métaphoriquement - trouver beaucoup plus "à manger" ("Foster" signifie en irlandais "nourriture, nutrition"). L’intrigue se vit alors au côté du personnage principal, pour lequel nous sommes en pleine empathie, laquelle va voir son regard évoluer sur le monde qui l’entoure, et cela au fur et à mesure qu’on lui donnera matière à y interagir, à s’y rendre utile, mais toujours dans une optique bienveillante, d’apprentissage. Ces petits moments où Cáit va, par exemple, apprendre à faire les tâches ménagères ou à nettoyer une salle de traite avec ses hôtes vont dès lors lui permettre de s’extérioriser, à partager des moments avec autrui, à prendre en responsabilité, à ne plus avoir peur de s’affirmer, prenant conscience qu’elle est capable. Seán va ainsi lui lancer le défi de courir tous les jours chercher le courrier, transformant cette corvée en un rituel agréable, louant sa rapidité. Ce sont dès lors tous ces instants, pourtant banals, qui vont, lentement, mais surement, permettre à ces êtres en souffrance de s’ouvrir, de se rouvrir. Car ce qu’ignore encore la fillette, mais qu’elle va apprendre à ses dépens, c’est que Eibhlín et son mari sont toujours en plein deuil. Or, c’est justement par ces relations que l’humain se forge et subsiste, dont pour Cáit, laquelle va (enfin) recevoir l’amour, l’attention que tout enfant devrait pourtant recevoir afin de s’épanouir, et grandir.
Sans jamais être très expressif, le jeu des acteurs s’avère formidable de retenue et d’authenticité, et même de tension, lequel appuie, d’une part, la difficulté de montrer ses sentiments dans l’Irlande rurale du début des années 80 et, d’autre part, la tristesse infinie qui rouge les personnages. Pourtant, le temps de quelques jours ensoleillés va réparer en chacun d’eux ce qui leur manquait afin de pouvoir continuer à vivre sereinement, et de retrouver la force, le courage de poursuivre leur chemin.
Aidé par la photographie lumineuse de Kate McCullough, la douce musique originale de Stephen Rennicks, ou encore du cadre de son image qui s’ouvre à mesure que les possibilités s’ouvrent à ses sujets, Com Bairéad nous offre ici un joyau de lumineuse tendresse, et de réconfort. Ainsi, "The Quiet Girl" est un film qui, malgré la petitesse de son scénario, en l’état, parvient à soulever des montagnes, et à croire en de meilleurs horizons, en l’humain, mais aussi en la parentalité (retrouvée), où sa simple désignation dépasse le cadre biologique, et la filiation les liens du sang...