Synopsis : Joe, 17 ans, est sur le point de sortir d’un centre fermé pour mineurs délinquants. Si son juge approuve sa libération, il ira vivre en autonomie. Mais l’arrivée d’un nouveau jeune, William, va remettre en question son désir de liberté.
Acteurs : Khalil Ben Gharbia, Julien De Saint-Jean, Eye Haïdara, Jonathan Couzinié, Laurence Oltuski
Rien d’artificiel dans ce "paradis" que propose Zeno Graton, rien de religieux non plus, même s’il sera question d’un serpent... tatoué (mais pas que, parce qu’il entoure la Terre, ce que l’on découvrira durant le film et qui donne sens à l’affiche de celui-ci).
Un premier long métrage de Zeno Graton qui est également scénariste du film aux côtés de Clara Bourreau et de Maarten Loix. Ce jeune réalisateur belge avait déjà marqué les cinéphiles amateurs de courts métrages avec Jay parmi les hommes en 2015 et, en 2013, Mouettes. C’était son film de fin d’études et celui-ci a été primé au Festival de Namur et au Brussels Short Film Festival. Ce film — que l’on peut visionner sur Viméo — racontait l’histoire de deux jeunes acteurs amoureux l’un de l’autre : Judith et Damien. Comment se retrouver, exister à deux, pour de bon, en dehors du plateau et de leur monde de fiction ? Ils devront pour cela sortir du cadre... Cadre dans lequel il faudra rentrer (ou pas ?) pour être au paradis !
Signalons que Jay parmi les hommes, qui aborde le thème de la masculinité (toxique) ou plutôt de l’assignation (de Jay) à la masculinité est disponible sur la plateforme Auvio jusqu’à la fin du mois de mai. Jay, jeune adolescent de 14 ans, voudra plaire à son père et être aimé de lui. Pour devenir un homme, il lui faudra entrer dans le cadre, celui qui l’oblige à avoir une "petite amie". Mais peut-on oublier, ou faut-il oublier, que l’on est un enfant pour entrer dans le territoire des hommes, des mâles, une contrée où la violence est de mise ?
Le paradis a fait l’objet d’une première mondiale au festival de Berlin 2023, dans la section "Generation 14" (une section importante du festival dont les origines remontent à 1978 et dédiée aux publics adolescents), où il a obtenu l’Ours de cristal du meilleur film et le prix GWFF, soit le prix du meilleur premier film de la Berlinale. et a ensuite été projeté dans le cadre du Love International Film Festival. Et, finalement, ce festival convenait particulièrement bien pour cette histoire d’amour interdite ! En fait il faudrait ici jouer sur « inter-dit » pour exprimer qu’il n’est pas possible de vivre au sein d’une IPPJ (institution publique de protection de la jeunesse) une homosexualité, que celle-ci doit être cachée, qu’elle ne peut donc être dite, exprimée et vécue ! Toutefois Le Paradis est bien plus qu’une énième variation LGBT, car c’est avant tout un film d’amour, de prison et ses enfermements, mais également une petite pépite cinéphile. En effet Le Paradis ne manquera pas de faire tilt chez le cinéphile qui aura vu le seul film et court métrage de Jean Genet. Celui-ci avait réalisé et mis en scène en 1950 Un chant d’amour, en noir et blanc et muet d’une durée de 25 min. Certaines scènes et certains plans du long métrage de Zeno Graton y font clairement référence, ce dont ne se cache pas le réalisateur ! L’an dernier Große Freiheit (Great Freedom) de Sebastian Meise nous rappelait l’univers de Jean Genet, tandis que Joe dans celui de Zeno Graton nous renvoyait au "héros" de Meise.
Le Paradis aborde avec beaucoup d’émotion la passion qui surgit entre deux adolescents dans le cadre d’un "centre fermé" pour mineur. A noter que le film a été tourné dans un centre fermé en Belgique néerlandophone et que des jeunes de ce centre ont fait de la figuration. Cette relation entre Joe et William sera abordée sous la contrainte de l’enfermement. C’est celle-ci qui prime cependant, à tel point que l’on ne tombera pas dans un cliché possible, à savoir la condamnation ou brimade des deux "amants" par les jeunes qui les entourent et leur imposeraient les canons de l’hétérosexualité. C’est donc l’amour impossible qui est premier et l’importance de la liberté qui en découle pour ouvrir la possibilité de le vivre. Mais la liberté n’est-elle pas un leurre ou une impasse ? L’on n’en dira pas plus pour inviter à vivre en salle cette relation entre deux jeunes. Une relation triangulaire en réalité, car entre les deux jeunes, il y a Sophie, une des responsables/animatrices du centre, interprétée par l’actrice franco-malienne Eye Haïdara. Elle est la voix adulte du centre, à la fois proche et officielle qui guide les jeunes vers la "sortie" du centre, avec pour objectif, à la fois de ne pas y revenir, mais aussi de s’insérer dans la société.
Mais ce sont surtout les deux jeunes acteurs Khalil Ben Gharbia et Julien De Saint-Jean, qui transcendent l’écran. Le premier, Khalil, avait été "révélé" à l’écran l’an dernier par François Ozon dans Peter von Kant après avoir déjà conquis le jeune public dans l’adaptation française de la série Skam et dans la minisérie Les 7 vies de Léa sur Netflix. Julien de Saint Jean, quant à lui, est probablement moins connu, mais il a été vu à l’écran en télévision en 2021 dans Emma Bovary et dans Mise à nu ainsi que dans un documentaire diffusé sur Arte l’an dernier Le diable au corps sensuel et sans remord où il interprétait Raymond de Radiguet l’auteur de Le diable au corps, face à Catherine de Léan, qui jouait le rôle de Marthe, son amante plus âgée et mariée à un soldat durant la Première Guerre mondiale. Les spectateurs français auront eu l’occasion de voir en début d’année cet acteur (formé aux cours Florent) dans un film qui, hélas, n’a pas été distribué en Belgique Arrête avec tes mensonges, l’adaptation par Olivier Peyon du roman autobiographique de Philippe Besson. Il y interprétait le rôle de Thomas Andrieu en 1984 [1].
Le réalisateur nous fait découvrir avec pudeur la relation de ces jeunes, et même s’il montre le corps à corps passionnel de ceux-ci, plus que la relation sexuelle (rien d’explicite à l’écran) c’est la montée et la découverte des sentiments qu’il nous est donné de voir, la façon de communiquer lorsqu’un mur (de prison) les sépare, et cela, dans la mouvance du célèbre chant d’amour de Genet.