Synopsis : Halim est marié depuis longtemps à Mina, avec qui il tient un magasin traditionnel de caftans dans la médina de Salé, au Maroc. Le couple vit depuis toujours avec le secret d’Halim, son homosexualité qu’il a appris à taire. La maladie de Mina et l’arrivée d’un jeune apprenti vont bouleverser cet équilibre. Unis dans leur amour, chacun va aider l’autre à affronter ses peurs.
Acteurs : Lubna Azabal, Saleh Bakri, Ayoub Missioui
Maryam Touzani est actrice, scénariste, et également réalisatrice. Après Adam en 2019, Le bleu du caftan est son deuxième long métrage de fiction. Celui-ci a été présenté au Festival de Cannes en 2022 dans la section Un certain regard où il a obtenu le prix FIPRESCI (fédération internationale de la presse cinématographique), le prix du jury au Festival de Marrakech, en 2022, celui du meilleur film de fiction au Tournai Ramdam Festival en 2023 ; il a également remporté le Prix de la Compétition Coop ! et le prix de la presse de l’UCC au festival d’Ostende... Présenté dans de nombreux festivals le film a suscité un enthousiasme quasi généralisé que nous partageons également.
Le contexte du film est révélé dans le synopsis et il faut éviter d’en dire plus pour pouvoir découvrir le déroulement de l’intrigue même si celle-ci n’apporte pas vraiment de surprise et que la fin sera pour certains assez prévisible. Un des fils conducteurs est l’homosexualité interdite au Maroc. En fait il faudrait ici jouer sur "inter-dit" pour exprimer qu’il existe au Maroc (comme dans d’autres pays) une homosexualité cachée, qui ne peut donc être dite, exprimée et vécue. Quoique ! C’est que le film nous permet de prendre conscience que l’homosexualité d’Halim est connue de son épouse et que cela s’exprime de façon feutrée. Celui-ci va d’ailleurs régulièrement dans un hammam (un bain d’eau chaude en arabe). Mais, outre les fonctions traditionnelles et visibles de celui-ci, il en est une autre cachée, où peuvent s’exercer dans la discrétion (dans des cabines privées) des rencontres sexuelles entre certains hommes qui fréquentent ces bains publics. Ce n’est pas affiché, ce n’est pas exprimé, c’est caché, passé sous le silence de ce qui n’est pas exprimé, n’existe pas mais l’on se doute que certains ne sont pas dupes de ce qui passe dans le secret. Il y aurait donc en ce lieu, en cette culture, un "inter-dit" sur des choses dont on ne parle pas, qui ne sont pas censées exister. Cela n’en fait pas pour autant un film destiné à la communauté homosexuelle car il est avant tout un très beau film, profondément humain qui rend compte de l’existence d’un couple et de l’amour qui les unis. Car en dépit de l’homosexualité d’Halim, celui-ci aime Mina.
Dans cette relation dont on découvre toute la tendresse, exacerbée par la maladie (le cancer) de Mina et qui ne peut que se terminer de manière tragique, il y a un tiers, Youssef, l’ouvrier. Lui aussi est homosexuel et il est amoureux de son patron, son ainé. Celui-ci est un un maalem (un maître tailleur en dialecte arabe marocain). On lui a commandé un caftan, la tenue d’apparat par excellence des femmes marocaines. Il est utilisé lors des cérémonies, telles un mariage. Ce travail est méticuleux et demande beaucoup de temps et de travail et n’est plus le fait que de quelques artisans. Halim est l’un d’entr’eux et refuse de travailler à la machine comme certaines clientes lui demandent pour aller plus vide. Maryam Touzani rend compte également des relations entre Halim, Mina (et même Youssef) et certaines clientes, parfois avec une touche humoristique. Elle s’attache aussi à prendre le temps de montrer le travail d’Halim (secondé par par Youssef) sur le tissu et son film profite ici de son expérience de documentariste, poussant la rigueur jusqu’à faire appel aux mains d’un véritable maleem, Monsieur Lalaami, pour les gros plans des mains au travail sur le caftan et les tissus. C’est lui qui a formé les comédiens et qui a commencé la confection du caftan. Le film permettra de découvrir ce caftan jusqu’à ce qu’il soit porté par son utilisatrice.
La réalisatrice filme avec tendresse et émotion souvent en gros plan ses acteurs et actrices, leurs visages, leurs yeux, leur jeux de regards, l’expression silencieuse de leurs sentiments. L’on s’exprime peu par la parole dans le film (les dialogues bénéficient de la beauté chantante de la langue arabe) mais c’est toute la tendresse qui est révélée par les images et la façon de filmer les protagonistes et leur sentiments : la tendresse, l’amour, la peur, la jalousie parfois et tant d’autres choses que l’on invite à découvrir dans le film qui prend son temps (presque deux heures) pour déployer ces relations amoureuses qui semblent vouées à l’impossible. Et si cela rend si bien à l’écran, c’est grâce à ses interprètes. A commencer par la belge (hispano-marocaine) Lubna Azabal, qui avait déjà joué dans Adam, le premier film de Maryam Touzani. Ensuite Saleh Bakri, un acteur palestinien qui avait joué pour la première fois au cinéma en 2007 dans La Visite de la fanfare d’Eran Kolirin. Enfin, un jeune acteur marocain, originaire de Casablanca, Ayoub Missioui. Agé de 25 ans, c’est son premier rôle au cinéma. Il donne corps avec beaucoup de présence, de tendresse à l’apprenti Youssef dans un rôle qu’il n’est pas facile de jouer dans la culture qui est la sienne.
La religion musulmane n’est pas visible comme telle dans le film, peu de femmes sont voilées et ce n’est pas le thème du film. En revanche, les règles patriarcales y sont présentes, ainsi lors d’un contrôle d’identité dans la Medina et la vérification des liens du mariage pour un couple.
Le bleu du caftan est un film à voir et pas seulement par des membres de la communauté LGBTQIA+ ! Il est bien réalisé, bien interprété et offre un regard tendre et émouvant sur l’humanité des amours impossibles.