Synopsis : Sarajevo, de nos jours. Asja, 45 ans, célibataire, s’est inscrite à une journée de speed dating pour faire de nouvelles rencontres. On lui présente Zoran, un banquier de son âge. Mais Zoran ne cherche pas l’amour, il cherche le pardon.
Casting : Jelena Kordic Kuret (Asja), Adnan Omerovic (Zoran), Labina Mitevska (Marta), Ana Kostovska (Mersiha), Ksenija Marinkovic (Azemina), Izudin Bajrovic (Asim), Irma Alimanovic (Ema), Vedrana Bozinovic (Aida), Mona Muratovic (Sabina), Nikolina Kujaca (Elvira), Sinisa Vidovic (Karim)
Points particuliers :
- La cinéaste macédonienne, basée à Bruxelles, Teona Strugar Mitevska est née et a grandi en Yougoslavie, à Skopje. La réalisatrice avait 17 ans lorsque la guerre en Bosnie a commencé, quasiment le même âge qu’Asja, la protagoniste de L’Homme le plus heureux du monde.
- Basée sur une histoire vraie, celle de la co-scénariste du film Elma Tataragić, blessée pendant le siège de Sarajevo.
- Sur la quarantaine d’acteurs, 17 seulement sont professionnels. Le casting a eu lieu en Bosnie-Herzégovine et en République serbe de Bosnie.
Le premier plan s’ouvre sur un chantier, un immeuble en construction. Une jeune femme en robe printanière verte en suit l’évolution. On la suit de dos, marchant dans dans la ville, on ne voit pas encore son visage, seulement sa silhouette. Elle s’appelle Asja, elle a 45 ans et se rend, sur les encouragements de sa mère, à un speed dating - elle aussi tente de reconstruire sa vie - organisé par “Touch of happiness” se déroulant dans un grand hôtel.
A partir de là, tout se déroule en huis clos. Mêmes codes - unité de temps, de lieu, d’action puisque tout se déroule sur une journée - qu’au théâtre, où le 3ème acte sera l’acmé de ce drame psychologique.
L’hôtel est même filmé comme un personnage à part entière. Froid, autoritaire, labyrinthique, malgré ses salles qui évoquent l’évasion paisible (des villes en Suisse) La décoration semble dater de la fin des années 80 début des années 90, juste avant que n’éclate la guerre en ex-Yougoslavie en 1992.
Et c’est justement le siège de Sarajevo - et la déchirure de la population civile - qu’évoque la réalisatrice en filmant ces hommes et ces femmes aux parcours, aux nationalités, aux religions différentes, réunis dans cet hôtel.
Ce n’est pas pour rien que le film se déroule dans un hôtel, quand on se souvient de l’importance qu’a eu, pendant la guerre, l’hôtel Holiday Inn : situé en plein centre ville, sur l’avenue surnommée Sniper Alley, cet hôtel était devenu le quartier général des médias du monde entier pendant le siège de la ville par les Serbes.
Un film qui n’est pas sans rappeler le film “Quo vadis, Aïda” de
Jasmila Zbanic il y a 3 ans, non pas pour l’événement en lui-même (elle racontait le massacre de Srebenica par le regard d’une interprète de l’ONU) mais pour le traitement à la fois “extime” et intime (comme le disait joliment Charles Declercq sans sa critique de l’époque).
Rencontrer un·e inconnu·e, oser tenter l’aventure de la rencontre, tout en gardant bien enfouies ses blessures.
Asja est une femme qui pourrait vivre à Londres, Paris, ou Bruxelles : elle a un job qui la satisfait, lui permet de voyager, et elle cherche la rencontre, le partage, l’amour, le bonheur.
Zoran, banquier, père d’une petite fille, est plus torturé. Il joue le jeu mais son regard intense posé sur Asja semble davantage vouloir la cerner, l’apprivoiser, que la séduire.
La rencontre romantique va prendre un tour inattendu quand Zoran rappelle à Asja une adresse, et la date du 1er janvier 1993.
Les règles - tous doivent porter des blouses roses - et les questions posées aux candidat.e.s - couleur préférée - semblent de prime abord légères, insouciantes. Les questions sur la conception de sa propre mort, sur le fait d’accepter un.e partenaire d’une religion différente, rappellent par petites touches discrètes le drame qui a bouleversé la ville 30 ans avant.
Les stigmates de la guerre n’ont pas disparu, et tous n’ont pas la même manière de les arborer.
C’est ce que souligne ce film choral qui rassemble les pièces d’un même puzzle et pose cette simple question : y a t’il une vie après la guerre ?
Quelle est la place du pardon ? Celle du bonheur dans la vie des victimes ? Et tout aussi importante, les bourreaux ont-ils droit à une vie “normale”, côtoyant dans le même quartier celles et ceux sur qui ils ont tiré ?
La justesse et la maîtrise de la mise en scène de Teona Strugar Mitevska, sans esbroufe, permet d’explorer ces questions sans manichéisme.
Les comédiens principaux sont d’une justesse et d’une émotion de tous les plans.
Un film à voir absolument.