Genre : Drame
Durée : 118’
Acteurs : Laure Calamy, Zita Hanrot, India Hair, Yannick Choirat, Damien Chapelle, Louise Labeque...
Synopsis :
Février 1974. Parce qu’elle se retrouve enceinte accidentellement, Annie, ouvrière et mère de deux enfants, rencontre le MLAC – Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception qui pratique les avortements illégaux aux yeux de tous. Accueillie par ce mouvement unique, fondé sur l’aide concrète aux femmes et le partage des savoirs, elle va trouver dans la bataille pour l’adoption de la loi sur l’avortement un nouveau sens à sa vie.
La critique de Julien
Il y a quelques semaines sortait sur nos écrans le film "Call Jane" de Phyllis Nagy, lequel mettait en lumière le combat des Jane, soit un groupe de femmes ayant bravé l’interdit de 1968 à 1973, aux Etats-Unis, et procédé à des avortements illicites pour en protéger et sauver des milliers d’autres, à l’heure où l’arrêt "Roe v. Wade" avait été annulé par la Cour suprême des Etats-Unis, le 24 juin dernier, laissant désormais à ses différents Etats conservateurs le choix de décider de la légalité, ou non, de l’IVG. Après Audrey Diwan dans "L’Evénement" sorti l’année dernière (et que l’on vous conseille fortement), c’est aujourd’hui l’actrice, réalisatrice et scénariste française Blandine Lenoir qui s’empare de ce sujet d’actualité, porté par l’omniprésente Laura Calamy, alors que le droit à l’IVG - en danger dans le monde entier - n’est toujours pas inscrit dans la constitution française, bien qu’il reste un droit toléré, et cela suite au vote de la loi Veil, adoptée par l’Assemblée nationale en 1974, et promulguée en 1975. "Annie Colère" s’intéresse alors au combat quotidien mené illégalement par le MLAC, c’est-à-dire le Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception, ayant opéré (dans tous les sens du terme) durant 18 mois, en 1973, lequel est rejoint ici par Annie, ouvrière dans une usine qui fabrique des matelas, mariée et mère de deux enfants, elle qui désire ne plus en avoir, bien qu’elle tombera involontairement enceinte...
Blandine Lenoir signe ici un film militant et politique, lequel met en scène la colère sourde des femmes face à l’injustice de ne pas disposer librement de leur corps, ni du droit à l’éducation sexuelle, tandis que l’avortement est aujourd’hui toujours aussi stigmatisé et vu comme un événement forcément traumatisant, la prise en charge médico-juridique des femmes étant poussive, loin de la tendresse, de l’apprentissage et de l’écoute avec laquelle le MLAC pratiquait - à répétition - des avortements. De plus, ceux-ci sont aujourd’hui très médicalisés, et prennent du temps, alors que les gynécologues, eux, ne prennent pas le temps de parler aux femmes de leurs corps... C’est par le personnage de Laura Calamy et de ce mouvement "invisibilisé" que Blandine Lenoir - qui espère inscrite dans la mémoire collective - nous parle avec beaucoup d’humilité et d’émotions de ce sujet qui déchaîne les passions, et détruit encore malheureusement des vies...
Résultat d’un travail documenté, elle qui a notamment vu les documentaires "Regarde, elle a les Yeux Grands Ouverts" (1980) du collectif des membres du MLAC d’Aix et "Histoires d’A" (1974) de Charles Belmont et Marielle Issartel, tout en ayant eu la chance de rencontrer la jeune chercheuse Lucile Ruault, laquelle venait de finir une thèse sur le MLAC, la réalisatrice a souhaité quant à elle raconter le fonctionnement du mouvement et de leurs méthodes, mais également l’après vote de la loi Veil, tandis que son film présente des articles de presse véridiques, et même une archive télévisuelle où l’actrice Dephine Seyrig procédait à un débat avec des hommes (et femmes) opposés à l’avortement.
Laura Calamy, très touchante et concernée par son rôle, incarne à la perfection l’éveil d’une femme, que ça soit vis-à-vis de son corps, mais également de sa condition, trouvant en ce combat une autre raison de vivre, autre que celle de s’occuper de sa famille, le MLAC lui ouvrant les yeux, tandis que l’avortement était, certes, pratiqué par des médecins, mais également - et surtout - par des bénévoles (la majorité des femmes), lesquels utilisaient alors la méthode Karman, soit un avortement indolore et très simple à appliquer et à enseigner, par aspiration, venu des Etats-Unis, possible jusqu’à huit semaines de grossesse (au-delà, le MLAC organisait, à ses frais, des voyages en Hollande ou en Angleterre pour permettre d’avorter suivant d’autres méthodes plus strictes, et sans danger).
Blandine Lenoir pose alors la question du droit de la femme, de la solidarité féminine, mais également du bien-fondé des lois, et de la médecine actuelle (étant donné la clause de conscience et des médecins paternalistes), qui limite tant que possible l’accès à l’avortement, lequel n’est - en plus - pas gratuit. Mais alors que la question de l’existence du MLAC s’est posée par ses membres à l’issue du vote de la loi Veil, la réalisatrice offre un magnifique pied de nez à ses détracteurs, le personnage de Laura Calamy poursuivant le combat - de surcroît féministe - entrepris indirectement par ces femmes.
L’entraide, la solidarité, la vocation, la rigueur sont alors tant d’émotions et de valeurs que défend Blandine Lenoir au travers de son film, lequel se révèle inspirant, et empreint d’une profonde sérénité. De plus, la cinéaste ne prétend connaître ici aucune réponse aux questions pertinentes et progressistes qu’elle (se) pose, elle qui invite plutôt à la prise de conscience, à la remise en question, à la raison. Et bien qu’elle laisse de côté la comédie pour le drame, jamais son film n’est pessimiste, malgré les épisodes dramatiques qu’il présente, et la situation qu’il soulève. Inspirant, sincère et utile : tels sont les maîtres-mots qui représentent cet "Annie Colère", aussi doux, urgent et réconfortant que l’anesthésie verbale avec laquelle ces militant.e.s rassuraient les femmes venues auprès d’eux pour avorter, dans une démarche aussi apeurée que courageuse, au nom de la liberté de disposer librement de son corps.