Synopsis : Dans un bar, Steve est face à son père. Ils n’ont rien à se dire. Steve décide alors de s’en aller mais son père lui offre un cadeau pour le retenir. Suffira-t-il à renouer les liens entre deux hommes qui ne partagent plus rien depuis longtemps ?
Acteurs : Aurélien Caeyman et Thierry Hellin
Christophe Prédari est ergothérapeute et psychométricien de formation. Il a travaillé avec des aveugles et malvoyants pendant plusieurs années ; s’il aimait beaucoup ce métier, son désir de raconter des histoires en images et en sons l’a poussé à quitter son travail et à reprendre des études de cinéma. Il est ainsi entré à l’INSAS à l’âge de 28 ans, et celui qui se donnait à ceux et celles qui ne peuvent voir se lançait ainsi dans une nouvelle aventure : donner à voir grâce à la magie du septième art.
Un père est son deuxième court métrage, dix ans après Chaleur humaine son travail de fin d’études à l’INSAS. Celui-ci avait été présenté dans le cadre du Pink Screen Festival. Il mettait en scène un couple qui se détache, se sépare, n’a plus rien à se dire (interprété par Thomas Coumans et Adrien Desbons).
C’est un tout autre thème (quoique !) que le réalisateur aborde avec son deuxième film en donnant rendez-vous à un père et son fils. Rendez-vous... également dans plusieurs festivals comme on peut le découvrir (notamment) sur la page Facebook du film. Et l’on ne peut que se réjouir de cette visibilité, car le film se construit et se finance en pleine période "COVID". Car si celui-ci a bénéficié d’une aide de la Sabam c’est surtout grâce au financement participatif que le film a pu être réalisé. Non seulement l’appel de fonds initial, mais la relance du projet ont trouvé le soutien de contributeurs via la plateforme Kisskissbankbank. Le pari, audacieux durant la crise sanitaire, a donc été réussi, montrant ainsi que la culture est d’importance et mérite d’être soutenue. Il est probable que ces éléments (budget réduit, réglementation sanitaire...) ont permis de donner une densité au film et d’en donner toute sa force. Un court-métrage à découvrir sur Auvio si vous n’avez pas la chance de le voir sur grand écran lors d’un festival car le film mérite amplement d’être vu dans des conditions "cinéma".
C’est que nous avons affaire à un huis clos. Nous sommes dans un café populaire bruxellois. Il y a unité de temps, de lieu, d’action. La caméra sera essentiellement focalisée sur deux personnages : un père (Thierry Hellin) et un fils (Aurélien Caeyman que nous avons eu le plaisir de recevoir dans nos studios de RCF à Bruxelles, il y a quelques mois - voir vidéo ci-dessous). Le focus passera de l’un à l’autre grâce au champ - contrechamp employé avec beaucoup d’intelligence. Il n’est pas question ici d’une simple technique, mais de l’utilisation judicieuse de la caméra avec de nombreux plans de détails, en particulier des gros plans, sur les mains, des objets, les visages, surtout les visages parfois en plans très très rapprochés. Mais la caméra qui sait laisser l’arrière-plan dans le flou peut aussi lui donner place quand il le faut : sur un objet, tel un flipper, ou un personnage, notamment un enfant. Toutes digressions dans le récit mais qui concourent à lui donner sens, à exprimer des "non-dits"... car la parole est rare entre ces deux-là qui se rencontrent à l’initiative du père après un an de silence/absence.
Ces deux-là n’ont de fait (plus) rien à (se) dire ! Il leur faut suspendre le temps une dizaine de minutes, le temps d’un rendez-vous (le titre initialement prévu pour le film) ! Ils seront avares de mots pour dire les maux de leurs vies réciproques, durant le temps de leur rencontre qui est celle du film qui se déroule donc "en temps réel". Faute de mots le père pourra offrir un présent au fils pour (tenter de) montrer son amour pour lui. Le temps pourra s’arrêter... le temps d’un présent. Stop ! Arrêtons le temps, le temps de boire... un Coca ! Si ces deux-là parlent peu, ils ne peuvent non plus se toucher (au double sens du verbe : être touché par les sentiments ou l’absence de sentiments de l’autre mais aussi, toucher, simplement, la main de l’autre).
L’on pourra se souvenir alors des vers de Lamartine dans Le Lac : "Ô temps, suspends ton vol ! et vous, heures propices, suspendez votre cours ! Laissez-nous savourer les rapides délices des plus beaux de nos jours ! "
A la fin d’un film – dédicacé "à nos pères manquants" (ce qui permettra au spectateur de comprendre le possible enracinement dans la vie même du réalisateur) – il faudra laisser le présent, là sur une table, parce qu’une étiquette a révélé plus que son prix, offrant ainsi au temps suspendu, la possibilité de reprendre son cours et de savourer ainsi un possible "à venir" à construire avec un père (re)trouvé.
Rencontre avec Aurélien Caeyman (sur RCF Bruxelles)