Genre : Thriller, espionnage
Durée : 126’
Acteurs : Tawfeek Barhom, Fares Fares, Mehdi Dehbi, Mohammad Bakri, Makram Khoury...
Synopsis :
Adam, simple fils de pêcheur, intègre la prestigieuse université Al-Azhar du Caire, épicentre du pouvoir de l’Islam sunnite. Le jour de la rentrée, le Grand Imam à la tête de l’institution meurt soudainement. Adam se retrouve alors au cœur d’une lutte de pouvoir implacable entre les élites religieuse et politique du pays.
La critique de Julien
Après un détour par Amazon Prime Video plus tôt cette année avec le film d’action hollywoodien "The Contrator" mettant en vedette Chris Pine et Ben Foster (alors que son acteur fétiche Fares Fares y tenait également un rôle), le réalisateur suédois d’origine égyptienne Tarik Saleh revient au Caire avec son nouveau long métrage, lui à qui l’on doit déjà "Le Caire Confidentiel" (2017), autour d’une histoire de corruption au sein de la politique et de la police de la capitale égyptienne, et librement inspirée du meurtre de la chanteuse libanaise Suzanne Tamim. Présenté au Festival de Cannes 2022 d’où il est reparti le prix du scénario, "La Conspiration du Caire" nous immerge alors au sein de l’université al-Azhar au Caire, institution islamique sunnite d’enseignement par excellence, connue internationalement, alors qu’Adam (Tawfeek Barhom), le fils d’un pêcheur, vient d’y obtenir une bourse. Mais le jour de la rentrée, le Grand Imam de la mosquée Al-Azhar, plus haute autorité de l’islam sunnite en Egypte, meurt. Débute alors une guerre sans pitié pour lui trouver son successeur, alors que le pouvoir politique égyptien, pour qui "le plus important est que la religion s’accorde avec l’Etat", veut absolument éviter l’élection d’un imam proche des Frères Musulmans, et orienter, coûte que coûte, un candidat qui lui convienne, et cela à l’aide de la Sûreté de l’Etat, corrompue et crainte de tous, et du Colonel Ibrahim (Fares Fares), lequel recrute des étudiants comme espions dans l’enceinte de l’établissement, qu’il appelle d’ailleurs "ses anges" (d’où le titre en version originale du film). Adam se retrouvera malgré lui très vite embarqué dans une conspiration de haute ampleur, qui va le dépasser...
Intense thriller d’espionnage, "La Conspiration du Caire" lève le voile sur la lutte de pouvoir entre les élites religieuses et les autorités politiques du pays, Saleh n’ayant pu tourner son film en Egypte, mais bien à Istanbul, (en partie) à la mosquée Süleymaniye. Bâtie par les Fatimides au cours du Xème siècle, lesquels sont des musulmans chiites, mais convertie ensuite en institution sunnite lors de la prise de pouvoir de l’Egypte par Saladin au XIIème siècle, Al-Azhar a pourtant toujours réussi à coexister avec le pouvoir politique en place. Cette dernière a alors été visitée par le grand-père du cinéaste, lui qui a ainsi quitté son petit village au cœur du Delta du Nil pour la ville, l’université rassemblant aujourd’hui plus de 300 000 étudiants et 3 000 professeurs. Dirigée par le Grand Imam, soit l’équivalent du Pape pour la religion Catholique, tout dirigeant en Egypte doit alors prendre connaissance de ses recommandations quand il promulgue de nouvelles lois. Tarik Saleh est alors parti de l’idée de la manipulation par le pouvoir, et plus particulièrement ici par les représentants de l’Etat, lesquels ne souhaitent pas que deux "pharaons" d’idéologies différentes gouvernent le pays, eux qui vont alors tout faire pour que celui qui le remplacera partage leurs idées, par cela le biais d’un officier expérimenté (Fares Fares, à la façon d’un personnage de John le Carré, cachant les motifs réels de son action), entraînant des étudiants dans leur quête, afin d’être leurs yeux dans l’établissement religieux, et de faire tomber les cheikhs potentiels au titre de Gram Imam...
Loin d’être une critique de l’islam, Tarik Saleh a voulu, au travers de son film politique et de genre, mettre en scène la quête féroce et sans pitié du pouvoir, au sein d’un pays complexe auquel il n’a plus accès, ce qui ne l’empêche pas de l’aimer, et de vouloir le montrer, un jour peut-être, à ses enfants. Précis dans son écriture, "La Conspiration du Caire" est un film qui nécessite qu’on y reste attentif, étant donné ses innombrables dialogues et intervenants, tandis que Tarik Saleh en révèle petit à petit la teneur, drastique, laquelle se dessine au travers du regard de son jeune interprète inquiété (Tawfeek Barhom), mais bien qu’au sang froid, lequel va voir son personnage se retrouver dans une position très délicate, sans issue de secours préétablie. Inspiré par les conflits religieux qu’il a découverts dans le roman d’Umberto Eco, "Le Nom de la Rose" (1980), le cinéaste migrant réussit alors ici un tour de force qui gagne en puissance par ses révélations et la mécanique sans scrupule qu’il met en scène, laquelle ne nous étonnerait pas si elle était inspirée de faits réels. Mais il n’en est pourtant rien. Ce dont on est par contre certain, c’est que le réalisme confondant et l’immersion qu’il en propose en disent long sur la justesse et la réussite de son film, implacable.