Genre : Drame, action
Durée : 134’
Acteurs : Viola Davis, Thuso Mbedu, Lashana Lynch, John Boyega, Hero Fiennes Tiffin...
Synopsis :
"The Woman King" retrace l’histoire extraordinaire des Agojie, une unité de guerrières qui protégèrent le royaume de Dahomey au XIXème siècle en Afrique de l’Ouest. Leurs aptitudes et leur fureur n’ont jamais trouvé d’égal. Inspiré de faits réels, le film suit le destin épique de la Générale Nanisca, qui entraîne une nouvelle génération de recrues et les prépare à la bataille contre un ennemi déterminé à détruire leur mode de vie. Il y a des causes qui méritent d’être défendues...
La critique de Julien
Habituée maintenant aux films musclés, étant donné qu’on lui doit l’adaptation Netflix des comics "The Old Guard" (2020) de Greg Rucka et Leandro Fernández, la réalisatrice américaine Gina Prince-Bythewood remonte cette fois-ci l’histoire jusqu’en 1823, au début du règne de Ghézo, neuvième roi d’Abomey, dans le Royaume du Dahomey (situé dans le sud de l’actuel Bénin et dont on connaît l’histoire entre le XVIIe siècle et la fin du XIXe siècle), alors en conflit avec celui d’Oyo, plus puissant, et auquel il devait verser un tribut annuel, soit des esclaves, lesquels étaient alors vendus aux Européens négriers. "The Woman King" suit alors la révolte des amazones du Dahomey, les Agojies, soit des guerrières formant une élite au service du Roi, défendant leurs terres, et impliquées dans la traite négrière. Mais la Générale Nanisca (Viola Devis) soulèvera une révolte contre celle-ci, et donc contre le Royaume d’Oyo, refusant de verser leur tribut, dans l’optique de mettre fin au trafic d’esclaves, pour se concentrer plutôt sur le commerce d’huile de palme. En parallèle, Nawi (Thuso Mbedu), refusant d’épouser un prétendant bien plus âgé qu’elle, sera offerte par son père au Roi, elle qui découvrira le destin des Agojies, en étant formée comme l’un d’elles. Mais il lui faudra pour cela ravaler son ego et faire taire son arrogance, et ainsi obéir aux ordres, elle dont le rôle dans ladite guerre sera déterminant...
Inspiré de faits historiques, la lutte opposant le Dahomey aux Oyo ne remonte pas à 1823, mais bien à un siècle plus tôt, non pas au sujet de l’esclavagisme, mais bien au sujet du port d’Ouidah, source de rivalités entre royaumes africains. Cependant, Ghézo a bien battu l’Empire d’Oyo en 1823, mettant fin à son statut de tributaire subalterne, mais développant d’autant plus fortement le commerce d’esclaves. D’ailleurs, même si le film montre que les Agojies ont participé au trafic des Noirs sous le commandement de leur Roi, celui-ci minimise fortement leur implication dans cette traite, elles qui étaient directement impliquées dans des raids visant à capturer des prisonniers d’autres tribus afin de les vendre comme esclaves aux marchands européens, tandis que le roi Ghézo n’a nullement aboli cette pratique pendant son règne, mais bien en 1852, sous pression du Royaume-Uni, ayant quant à lui mis fin à cette pratique barbare dans ses colonies en 1833. Des libertés ont donc été prises ici, faisant des Agojies une tribu féminine en quête d’indépendance, refusant de se plier aux ordres d’Oyo, cherchant ainsi à renforcer ses rangs plutôt que de les affaiblir en vendant les leurs... C’est donc avec des pincettes qu’il faut regarder ce film d’un point de vue purement historique, tandis qu’il nous présente également un certain esclavagiste portugais du nom de Santo Ferreira (Hero Fiennes-Tiffin), lequel serait librement inspiré par les scénaristes de Francisco Félix de Souza (1754/1771 -1849), lequel avait joué un rôle-clé dans le commerce des esclaves au Dahomey sous le règne du roi Ghézo, notamment en tant que commandant du fort d’Ouidah.
Mis en scène avec puissance par une femme, "The Woman King" s’avère être une réalisation très maîtrisée, et féministe de surcroît. Écris avec Dana Stevens, d’après une idée de l’actrice et productrice Maria Bello, ce drame et film d’action semi-historique repose sur des thèmes classiques liés à l’esclavagisme. Il est donc bien évidemment question de la condition de la femme, ici vendue ou abandonnée, violée, maltraitée, avant qu’elle ne s’insurge pour ne plus jamais être une victime, laquelle prêtera ici dès lors allégeance à sa tribu et à son Roi, défendant corps et âme sa position et les siennes, quitte à ne jamais vivre l’amour, et ne jamais quitter la maison de Roi. D’autre part, le film nous montre une vision peu glorieuse - mais réelle - des arrangements du commerce triangulaire, où le Dahomey s’enrichissait considérablement, certes grâce à ses conquêtes militaires, mais surtout par la vente de prisonniers. Mais cela est bien trop peu souligné ici, au profit de messages afro-féministes menés tambour battant. "The Woman King" nous parle également de filiation, de sacrifice, d’agression sexuelle, de rédemption, d’une romance impossible, tout en faisant également état du colonialisme, alors que le Dahomey est devenu en 1863 une partie du Dahomey français actuel, à la suite de deux guerres. Bref, cela fait beaucoup pour un seul et même film. Pourtant, l’ensemble n’est jamais surchargé.
S’il est efficace et riche de thèmes précurseurs très actuels, "The Woman King" s’avère tout de même un brin longuet, surtout lorsque ses atouts narratifs sous-jacents sont révélés, le spectateur comprenant dès lors comment tout cela va se terminer. Mais l’ensemble se regarde comme un inspirant soulèvement, porté par une mise en scène sans esbroufe et une sublime photographie, résultant d’un tournage ensoleillé en Afrique du Sud, tandis que la musique du trompettiste, compositeur et arrangeur de jazz américain Terence Blanchard, né à La Nouvelle-Orléans, en Louisiane, fait des merveilles, lui qui l’a enregistrée avec l’Orchestre national royal d’Écosse (rien que ça !). On y retrouve également la voix de la chanteuse mezzo-soprano ghanéenne-américaine Tesia Kwarteng, dirigeant l’ensemble Vox Noire, tandis que la chanteuse de jazz Dianne Reeves, victorieuse de cinq Grammy Awards, y prête aussi sa voix. La bande-originale du film et ses chants aux influences africaines rappellent alors indéniablement ceux du "Roi Lion" (1994) et de "Black Panther" (2018), alors que la bande-originale devrait permettre à son compositeur de concourir une troisième fois à l’Oscar du "Best Original Score", après sa nomination pour celle de "Blackkklansman" (2018) et "Da 5 Bloods" (2020), lui qui est ainsi l’auteur de plusieurs bandes-originales de films de Spike Lee. D’un autre point de vue technique, on regrette ici que les scènes de combats ne soient pas plus inspirées que cela, tandis que certains effets spéciaux laissent à désirer, malgré un budget production de 50 millions de dollars, à partir duquel un film devient un "blockbuster"...
Enfin, on se devait bien évidemment d’écrire à propos de l’interprétation sans failles de Viola Davis, dans la peau d’une femme puissante, cachant pour autant un lourd passé, au regard finalement de toutes les femmes Agojies (ou presque). Mention spéciale également au premier rôle au cinéma de l’actrice sud-africaine Thuso Mbedu, dans le rôle charismatique de Nawi, qui se déplace comme "une tortue", tout en n’étant pas qu’une "petite moche", et sur qui le futur du Royaume de Dahomey repose en partie. L’interprétation aux ongles affûtés de Lashana Lynch (la première femme à incarner l’agent 007 dans "Mourir peut attendre") est également à souligner, tandis que John Boyega parvient à exister en roi Ghézo, malgré tous les rôles féminins qui l’entourent, et qui auraient pu le manger tout cru. Car c’est aussi ça la loi de la jungle...