Genre : Drame
Durée : 102’
Acteurs : Mélanie Thierry, Lyes Salem, Félix Moati...
Synopsis :
Anna, 34 ans, vit avec son mari, ses deux petits garçons et Simon, un enfant placé chez eux par l’Assistance Sociale depuis l’âge de 18 mois, qui a désormais 6 ans. Un jour, le père biologique de Simon exprime le désir de récupérer la garde de son fils. C’est un déchirement pour Anna, qui ne peut se résoudre à laisser partir celui qui l’a toujours appelée « Maman ».
La critique de Julien
Chronique d’un déchirement annoncé. Après "Diane a les Épaules" (2017), dans lequel une femme (Clotilde Hesme) accueillait dans son ventre un enfant qui ne sera pas le sien, Fabien Gorgeart nous livre une nouvelle facette de la maternité, en s’intéressant cette fois-ci aux familles d’accueil. Dans "La Vraie Famille", le cinéaste relate une fiction nourrie d’éléments autobiographiques, et cela afin de leur conférer une portée plus universelle. En effet, sa propre famille avait accueilli un enfant, lequel était alors resté chez eux de ses dix-huit mois jusqu’à ses six ans, exactement ici comme le petit Simon (Gabriel Pavie), mais dont le père (Félix Moati) souhaite ici récupérer la garde, au grand dam d’Anna (Mélanie Thierry), et de sa famille. Hanté par ce qu’il a vécu, et même si l’histoire de ce jeune garçon n’est pas ici celle de son frère, Fabien Gorgeart nous livre un récit qui transcende d’authenticité et de justesse, autour d’une équation de lien filial impossible à résoudre.
Pour Anna et son mari Driss (Lyes Salem), accueillir et élever un petit garçon est un travail, bien qu’Anna le considère comme son propre fils, elle qui entretient ainsi une relation fusionnelle avec lui, n’ayant ainsi pas réussi à mesurer l’implication émotionnelle de cette fonction. Le retour du père du petit va alors menacer la relative harmonie de cette famille singulière. D’emblée, le réalisateur, habité par des images du passé, nous plonge dans une cellule familiale dont on comprend petit à petit la structure, artificielle, étant donné la situation, bien que l’amour que porte ici cette maman pour ce garçon dépasse du cadre de sa mission. Fabien Gorgeart filme alors au plus près cette famille, permettant au spectateur d’habiter à son tour cette maison pavillonnaire standardisée issue de la classe moyenne, et donc leur espace de vie, de là à ressentir tout le déchirement à venir, et cela à mesure que Gabriel doit s’en éloigner. Et cette séparation va tout commencer par des mots, par un changement de vocabulaire lourd de sens pour ces parents.
S’il est baigné d’images subliminales, et inspiré en partie par l’enfance ainsi que par le film "E.T." de Steven Spielberg, "La Vraie Famille" est un cri du cœur, au travers duquel son metteur en scène et son chef-opérateur Julien Hirsch font évoluer la mise en scène au regard de l’évolution romanesque du récit, alors que cette mère regarde la situation avec des œillères. Les retours de Simon après avoir passé du temps avec son père permettent alors à la maison de revivre, même si autrement, ce qui se ressent ici fondamentalement, et apporte une tension incontrôlable au récit, rehaussée par des lieux communs de rencontres entre ce père biologique et cette mère de substitution. Aussi, la caméra joue beaucoup de mouvements avant/arrière confrontant des émotions opposées, ainsi qu’avec une idée de transparence, relative à l’utilisation de vitres, de pare-brise et des baies vitrées, témoignant de la vie qui défile, sans qu’on puisse l’arrêter, ni la maîtriser. Le cinéaste capte alors chacun des moments passés en famille comme si c’étaient ici les derniers, sauf qu’ils ne le savent pas encore, ou plutôt qui ne l’imaginent pas.
"La Vraie Famille" offre alors le droit au doute à ses personnages, à cette famille, tout comme il ne catégorise pas, ne juge pas ce père qui souhaite revenir vers son fils, peu importe les raisons qui ont conduit à ce garçon soit placé très tôt. Fabien Gorgeart nous montre alors comment chacun va essayer d’aller de l’avant dans cette situation, où les cœurs souffrent, où les zones sont grises, et où d’ailleurs cette maman va perdre le contrôle de ses émotions, n’agissant plus pour Simon, mais bien pour elle, pour protéger les sentiments, la proximité qu’elle risque de perdre avec le garçon qu’elle a vu grandir, et élever. S’abandonnant à son rôle, Mélanie Thiery est ici bouleversante, jouant avec une troublante vérité de jeu, laquelle reflète aussi la difficulté de tourner avec de jeunes enfants, et donc les nombreuses prises qui vont avec. Qu’à cela ne tienne, c’est en se donnant autant à son rôle, et en aidant le jeune casting à être juste, que l’actrice émeut avec énormément de force dans la peau de cette maman aimante et pragmatique, laquelle va pourtant faire des choses qui ne lui ressemblent pas, étant donné l’acharnement émotionnel cruel qu’elle va subir. Percutée par des émotions qu’elle n’avait pas vu venir, le spectateur n’en est que d’autant plus assommé, étant donné la capacité qu’à cette actrice à s’imprégner de ses personnages, ce dernier puisant sans doute beaucoup en elle. Outre Mélanie Thiery, le reste du casting n’est pas en reste, avec Lyes Salem dans le rôle d’un père de famille se battant avec lui-même pour mesurer ses émotions et garder l’équilibre de sa famille à flot malgré le départ de Simon, tandis que Félix Moati est un père qui se découvre comme tel pour la première fois, tout en composant avec les émotions complexes qui le traversent, comme celle d’avoir l’impression d’arracher Simon à ceux qui l’ont accueillis, celle de ne pas être capable d’arriver à être un bon père, ou encore celle de la peur de ne pas être aimé par son fils. Enfin, le jeune Gabriel Pavie, en plus d’être craquant, évolue devant la caméra de Fabien Gorgeart, lequel se révèle être un formidable directeur d’acteurs.
Découvert au Festival International du film Francophone de Namur 2021, et reparti avec le Valois du Jury et le Valois de l’actrice décerné à Mélanie Thierry lors du dernier Festival du film francophone d’Angoulême, "La Vraie Famille", derrière ses apparences ordinaires, offre un vrai dilemme à ses personnages, questionnant sur les frontières émotionnelles auxquelles peuvent être humainement confrontées des familles d’accueil, en parallèle à leur magnifique travail réalisé pour offrir à des enfants placés les mêmes chances qu’à beaucoup d’autres.