Genre : Comédie dramatique
Durée : 98’
Acteurs : Valeria Bruni Tedeschi, Marina Foïs, Aissatou Diallo Sagna, Pio Marmaï, Jean-Louis Coulloc’h...
Synopsis : :
Raf et Julie, un couple au bord de la rupture, se retrouvent dans un service d’Urgences proche de l’asphyxie le soir d’une manifestation parisienne des Gilets Jaunes. Leur rencontre avec Yann, un manifestant blessé et en colère, va faire voler en éclats les certitudes et les préjugés de chacun. À l’extérieur, la tension monte. L’hôpital, sous pression, doit fermer ses portes. Le personnel est débordé. La nuit va être longue...
La critique de Julien
Après "La Belle Saison" (2015) et "Un Amour Impossible" (2018), tous deux des drames sentimentaux et historiques, Catherine Corsini revient à quelque chose de résolument plus contemporain, et passe à l’offensive avec "La Fracture", reparti du dernier de Festival de Cannes avec la Queer Palm, lui qui y était présenté en Sélection officielle en compétition. C’est après être tombée et s’être retrouvée la nuit du 1er décembre 2018 aux Urgences d’un hôpital avec Elisabeth Perez, sa compagne (et productrice du film), que la cinéaste a trouvé le point de départ de "La Fracture", au travers duquel résonne un climat social très ambiant, entre contrastes et.... fractures de la société.
Le film s’ouvre alors par une mise en parallèle de Yann (Pio Marmaï), un routier prêt à se rendre à la manifestation des Gilet jaunes, et du couple formé par Raf (Valeria Bruni Tedeschi) et Julie (Marina Foïs), alors au bord de la rupture, dans son décor bourgeois bohème. Le soir-même, au cours de la manifestation qui dérape, tous se retrouveront alors à l’hôpital, saturé par la venue incessante de blessés, liée aux événements qui se jouent en rue, donnant alors lieu à des échanges musclés, des confrontations, des règlements de comptes, ainsi que des rencontres, des retrouvailles, entre pairs ou classes sociales, où chacun des personnages va faire état de sa situation, du monde qui l’entoure, et cela au sein d’une atmosphère troublée dans un service d’urgence dépassé.
Ponctué par des touches romanesques, et d’improvisations (au contraire de ses derniers films où il était difficile de s’éloigner du texte étant donné le cadre temporel), "La Fracture" est un quasi-huit clos aux Urgences, où rien ne s’arrête jamais, et où tout peut basculer d’un moment à l’autre. Catherine Corsini amène alors ici l’urgence d’une situation sociale dans celle d’un hôpital. En résulte un film qui filme l’attente sans pour autant ennuyer, cherchant toujours le mouvement, même lorsque ses personnages sont fixes. Tel que l’a souhaité sa cinéaste, son film bât "au même rythme que le pouls de l’hôpital". En modifiant ses habitudes de tournage, Catherine Corsini filme ici de très longs plans séquences à l’épaule, permettant ainsi de mettre en scène différents personnages se donnant la réplique sans pour autant qu’ils se trouvent en face-à-face, mais bien d’une pièce à l’autre. Or, les décors permettaient justement ici à la caméra de passer d’un endroit à l’autre, étant donné qu’une partie d’hôpital a été construite dans un bâtiment d’une entreprise désaffectée (il était impossible de tourner dans un vrai hôpital étant donné la situation sanitaire). Sans y être donc, on s’y croirait vraiment, et cela notamment grâce à un subtil travail du son, réalisé en à la fois en amont du tournage, où des sons d’hôpitaux enregistrés étaient diffusés sur le plateau de tournage, ainsi que lors du montage sonore, en post-production, ce qui confère à l’ensemble la véracité de l’hôpital, entre les va-et-vient, les cris, les sirènes, etc.
Bien que le film met en scène trois personnages principaux, "La Fracture" centre pourtant ses idées autour de la personne de Kim, jouée par Aïssatou Diallo Sagna, qui est, en réalité, aide-soignante. Dans le rôle d’une infirmière, cette dernière a donc dû composer avec une dimension doublement professionnelle. Le spectateur la découvre alors ici par le biais de sa fonction, avant d’avoir accès crescendo à quelques pans de son intimité, et de ses propres problèmes, elle qui finira par prendre de plus en plus de place, et être ainsi sur tous les fronts, menant également son combat. Véritable catalyseur de toute la tension qui sommeille en elle et autour de lui, ce personnage est sans aucun doute le plus intéressant et empathique du film.
Sans sombrer dans le misérabilisme, ni dans les violences policières et leurs absurdités, Catherine Corsini met en scène un film mêlant à la fois le documentaire à la fiction, parsemé de touches d’humour venant d’une part apporter une humanité à ces situations qui dépassent l’entendement, et d’autre part contrebalancer avec la dureté de ce que certains y vivent. Sa mise en scène, située dans l’immédiat, dans l’action, est alors porteuse de sens, même si elle ne permet en aucun cas à ses sous-propos d’être entendus, approfondis à leur juste valeur sociale, politique. Mais "La Fracture" est on ne peut plus porté par ses acteurs, dont Valeria Bruni Tedeschi, assez remontée, voire hystérique (et un brin détestable), ainsi que par Pio Marmaï, dans une partition plus dramatique de par sa position. Le casting sert alors cette photographie, énervée, et pourtant pleine d’autodérision, bien que difficilement émouvante, au contraire d’être prenante. En résulte alors un drôle de film (dans tous les sens du terme), quelque peu hybride, parfois bordélique, qui ne sait finalement à quel saint se vouer, entre la comédie sentimentale et la tragédie humaine, sociale, lui qui tente de dire à demi-mot quelque chose de notre société, dans son empressement, ainsi que sur l’état vétuste de l’hôpital public français...