Genre : Drame
Durée : 97’
Acteurs : Julia Garner, Owen Holland, Jon Orsini, Matthew Macfadyen, Patrick Wilson, Dagmara Dominczyk...
Synopsis :
Jane, une jeune diplômée qui rêve de devenir productrice, vient d’être engagée comme assistante d’un puissant dirigeant, nabab du divertissement. Sa journée type ressemble à celle de toutes les autres assistantes : faire du café, remettre du papier dans le photocopieur, commander à déjeuner, organiser des voyages, prendre les messages. Mais au fil de cette journée, Jane se rend progressivement compte des abus insidieux qui découlent de tous les aspects de sa position et qu’elle n’avait pas anticipés...
La critique de Julien
Kitty Green sort les griffes. Après plusieurs documentaires, la réalisatrice australienne s’inspire notamment pour son premier film du cas de Harvey Weinstein, et donc du harcèlement dans l’industrie cinématographique, révélé au monde suite au mouvement #MeToo, et donc grâce au courage de victimes, de près ou de loin, ayant osé libérer la parole, malgré les nombreux obstacles à franchir. Dans "The Assistant", la cinéaste filme Jane (Julia Garner, vue dans la série dramatique policière Netflix "Ozark"), une jeune assistante qui travaille depuis cinq semaines dans une société de production cinématographique à New York, laquelle suspectera des abus sexuels commis par son patron sur de nombreuses jeunes femmes. Heureusement que Jane - d’après son chef de service (joué par Matthew Macfadyen) - "n’a rien à craindre, car elle n’est pas son style". Difficile de faire entendre sa voix dans un environnement toxique, misogyne et complaisant envers ce bourreau, ayant favorisé une culture du harcèlement au sein de son entreprise, où le silence d’autrui sur ses actes est tout aussi coupable que les atrocités commises.
Ayant fait sa première mondiale au Festival du Film de Telluride le 30 août 2019, il y a donc presque deux ans (!), "The Assistant" se fraie enfin une petite place dans nos salles de cinéma, lui qui est à réserver à un public averti, étant donné une mise en scène particulière, faisant abstraction de toute action. On sent Kitty Green dès lors venue du monde du documentaire. Le film se déroule sur une journée-type au travail de la jeune femme, qui commence bien avant l’aube pour se terminer tard le soir, alors que les longues heures de travail, et les tâches aussi subalternes qu’exigeantes la maintiennent occupée et incroyablement stressée, elle qui en oublie même l’anniversaire de son père... Il faut alors quelques longues minutes pour rentrer dans cette intimité journalière, et déceler les interrogations de cette anti-héroïne - très actuelle - psychologiquement malmenée. Le film se regarde et prend alors de la consistance à mesure que la demoiselle se rend compte de l’impensable, elle qui est pourtant fière et reconnaissante de sa place dans cette société, tel un passage obligé, lequel pourrait lui permettre ainsi d’atteindre son rêve, et donc de devenir productrice à son tour. Kitty Green met alors en scène un long malaise d’une froideur extrême, qui reflétait autrefois (?) la mainmise sans peur ni scrupule de ces magnats et prédateurs sexuels sournois, riches et idolâtrés, sur la gente féminine, et cela par un rapport de domination et de manipulation, ici dans le milieu du divertissement, alors que leurs collaborateurs fermaient volontairement leurs yeux sur ces faits, pour autant qu’ils en avaient connaissance... On ne refera pas ici l’histoire de cette horreur et terrible machination humaine, mais "The Assistant", malgré la petitesse de sa production, en dit et insinue beaucoup, au contraire d’en montrer.
Alors que l’on ne verra jamais le visage de celui dont on entendra uniquement la voix par téléphone depuis un bureau adjacent, la caméra de Kitty Green capte toutes les émotions de son actrice, Julia Garner, troublante, elle qui incarne avec une retenue déconcertante l’impuissance depuis sa position, constamment écrasée, et rabaissée pourtant dans sa juste démarche, laquelle, à ce moment-là, n’était pas une option. La suite, on la connaît. "The Assistant" n’est certainement pas le film le plus entraînant et distrayant qu’on ait vu depuis la réouverture des salles de cinéma, mais il est une fenêtre inédite et un des premiers films post-#MeToo a osé se concentrer sur cette affaire dont le cinéma ne s’est toujours pas remis, et dont les principales victimes ne se remettront, quant à elles, sans doute jamais.