Synopsis : Un acteur en galère accepte pour boucler ses fins de mois d’animer un atelier théâtre en prison. Surpris par les talents de comédien des détenus, il se met en tête de monter avec eux une pièce sur la scène d’un vrai théâtre. Commence alors une formidable aventure humaine. Inspiré d’une histoire vraie.
Acteurs : Kad Merad, Marina Hands, Laurent Stocker, Pierre Lottin, David Ayala, Lamine Cissokho
Le film a été présenté en clôture du Festival International du Film Francophone de Namur 2020 et ne sort que cette année sur les écrans, crise sanitaire oblige. Du coup il n’y a pas eu de vision presse pour les journalistes, mais uniquement un lien de vision. Honnêtement, sur le nom "Kad Merad", et sur la foi de la critique d’un ami du Suricate Magazine, l’on a failli zapper ce film ! Et, fort heureusement, ce fut une belle surprise. Comme quoi il ne faut pas toujours se fier aux critiques (et donc pas à nous, et pas nécessairement donc à celle-ci - et raison pour laquelle il nous arrive de placer des liens vers des avis différents du nôtre !). C’est inspiré d’une histoire vraie, comme l’on dit, et qui s’est passée du temps des dernières années de Beckett ! Pourquoi faire mention de celui-ci ? Parce qu’il est au centre de l’intrigue, au centre de toutes les attentes des protagonistes (et des spectateurs ?!). Un Triomphe pourrait être trop facilement classé dans la catégorie feel good movie ! Et si parler de Beckett ici spoile, le film, nous le faisons sans réserve. D’ailleurs il suffit de lire la fiche Wikipedia pour découvrir le développement complet de l’intrigue jusqu’à sa conclusion. En réalité, celle-ci est seconde, voire secondaire, par rapport au dynamisme du film. Celui-ci doit beaucoup à ses acteurs, et notamment, voire aussi, grâce à Kad Merad, qui comme d’autres, ne joue d’autant mieux que lorsqu’il sort des sentiers balisés du comique ou de la comédie française.
Le film est (très) librement adapté d’une histoire "vraie", survenue en Suède, lorsque l’acteur et metteur en scène suédois Jan Jönson [sv] au milieu des années 80. Pour en savoir plus, vous pouvez lire ce document qui donne quelques brèves informations sur le film ou consulter ce site qui donne des informations sur un documentaire réalisé en 2005 Michka Saäl, intitulé en français Prisonniers de Beckett.
Emmanuel Courcol a trouvé le ton juste pour adapter ce "fait-divers" à un contexte français et contemporain. Alors que le metteur en scène suédois a eu l’occasion de rencontrer Samuel Beckett lui-même à l’époque (Beckett qui lui a cédé les droits sur la totalité de sa pièce), quelques années avant sa mort, Courcol arrive à faire vivre (ou revivre pour ceux qui connaissent cette pièce emblématique de l’absurde !) une pièce fabuleuse : "En attendant Godot". Une pièce qui n’est certainement pas "facile" pour le public non initié et, probablement encore moins, pour ceux qui se trouvent derrière les barreaux. Et pourtant, l’intuition initiale et ici intégrée dans le film est que Godot, ou plutôt son attente jamais assouvie, traduit bien l’expérience carcérale et le temps qui s’y déroule de façon absurde et où l’avenir, le temps, le moment "à venir" se décline sur la modalité de l’attente !
Le film est tourné en partie en prison, dans le centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin-Neufmontiers, en particulier pour les extérieurs et certaines scènes intérieures pour le cadre. En revanche, celles de répétition sont tournées en studio. Un triomphe joue en réalité sur plusieurs tableaux. A la fois le travail d’apprivoisement réciproque d’Etienne et des prisonniers futurs acteurs, la découverte du théâtre de Beckett et essentiellement de En attendant Godot, de sa structure, de son (absence de) sens, les représentations publiques avec les divers aléas (et quelques péripéties qu’on vous laisse découvrir à l’écran), voire de comment mettre à nu, d’une certaine façon, les protagonistes face à un conflit entre leur rôle, leur personnage, la réalité de la prison (et des retours vers celle-ci) . Mais c’est aussi, dans un dernier retournement de situation, la transcription au théâtre de l’Odéon à Paris, de ce qui est arrivé au théâtre municipal de Göteborg en 1985 lorsque Jan Jönson a découvert que la majorité de ces (ses) prisonniers -acteurs s’est enfuie et qu’il a fait de cela la construction d’un récit en mode "seul en scène". Ce récit est devenu ensuite une oeuvre à part entière qui pour l’auteur permettait de (re)créer ce qui n’a pu être réalisé et qu’il a "joué" maintes fois au théâtre (avec la bénédiction de Beckett qui voyait en cet événement la meilleure actualisation de sa pièce !).
A l’arrivée, l’on découvre un film qui "qui porte haut le respect de la culture, du théâtre et des comédiens jusqu’au retournement final !" (selon la conclusion d’Eric Van Cutsem, un confère et ami critique sur son site cinopsis.be). Bien plus donc qu’un feel good movie, c’est un film profondément humain, qui ose intégrer la culture (et ce que la culture a de beau et de vivant) au sein de son intrigue en particulier avec une des pièces majeures, mais difficiles du théâtre contemporain ! Et enfin, un film dont les interprètes talentueux insufflent une dynamique profonde et puissante en jonglant entre les sixième et septième arts !