Genre : Drame, thriller
Durée : 108’
Acteurs : Agathe Rousselle, Vincent Lindon, Garance Marillier, Myriem Akheddiou, Dominique Frot, Bertrand Bonello...
Synopsis :
Après une série de crimes inexpliqués, un père retrouve son fils disparu depuis 10 ans. Titane : Métal hautement résistant à la chaleur et à la corrosion, donnant des alliages très durs.
La critique de Julien
"Merci de laisser rentrer les monstres", tels sont les derniers mots que la réalisatrice Julia Ducournau a clamée, fière et émue, au Jury ambitieux du dernier Festival de Cannes, après qu’elle ait remporté la Palme d’Or pour son second film, "Titane", le 17 juillet dernier, laquelle est donc devenue la seconde femme de l’histoire à remporter ce trophée tant convoité, vingt-huit après Jane Campion, avec son film "La Leçon de Piano". Or, on n’est pas certain que "Titane" aurait tant fait parler de lui s’il ne l’avait pas remportée, bien qu’on s’en réjouisse ; le cinéma de genre étant encore trop balisé et enfermé dans des cases. Il est donc temps que le cinéma, francophone et international, laisse la porte ouverte à ce cinéma, et creuse un plus profondément qu’il n’a l’habitude de le faire. En effet, un moteur, ce n’est pas seulement ce que l’on voit en soulevant le capot, et "Titane" fonctionne beaucoup sur cela... Une chose est certaine : grâce à ce prix, les yeux sont aujourd’hui rivés sur "Titane", dont on vous parle ici, étant donné que pour une fois, il ne nous aura pas fallu attendre des semaines, et même des mois afin de découvrir une Palme d’or ! Et là, nous sommes doublement réjouis. Mais le sommes-nous seulement à l’issue de la projection ?
Alors que très peu d’informations avaient filtré sur ce long métrage avant sa sortie, "Titane" poursuit sur la lancée de son premier essai, "Grave", sorti en 2017, dans lequel une étudiante découvrait son corps, sa sexualité et les plaisirs charnels, mais par le biais d’un film de genre, où il était question, en surface, de cannibalisme. Un film autant maîtrisé dans le fond que sur la forme, électrisant dans sa façon de développer un sujet universel et féministe, dans l’horreur. On sent, une fois de plus, et d’autant plus ici que le cinéma de Julia Ducournau est grandement influencé par des œuvres du genre, telles que "Aliens, le Huitième Passager" de Ridley Scott, "Crash" (1996) de David Cronenberg, ou encore "Christine" (1983) de John Carpenter, elles qui ont comme point commun de traiter, d’une manière ou d’une autre, d’une transformation, d’une mutation. Sans ne rien révéler du scénario - par toujours subtil, ni excessivement verbal - afin d’en respecter le silence quasi-absolu autour de son intrigue, l’héro(ïne) que filme ici la cinéaste va subir plusieurs états de transformation, révélés par le physique androgyne de Agathe Rousselle, laquelle obtient ici son premier rôle au cinéma, elle qui marquera largement les esprits par sa prestation, à la fois terrifiante, et terrifiée.
"Titane", c’est un film difficilement aimable, étant donné sa violence première très trash, mais également sa volonté de faire naître une part d’humanité, d’amour envers un monstre, en la personne qu’incarne Agathe Rouselle, face à sa relation ambiguë, fantasmée, malaisante qu’elle partagera avec un sapeur-pompier vieillissant, joué par un Vincent Lindon, au physique de bœuf assez étonnant. Il est vrai qu’on n’a pas souvent l’habitude de croiser cet acteur dans ce registre, et encore moins bodybuildé ! Clef évolutive de cette histoire à la lumière aussi froide que chaude, à l’image du métal et du feu qui se succèdent, leur relation entrevoit une porte à l’acceptation d’une nouvelle humanité, monstrueuse, certes, mais qui tient à approfondir les individus au-delà de leur apparence, en délaissant ainsi le genre auquel ils appartiennent respectivement, sans que celui-ci n’interfère sur leur personne et ce qui la définit. Aussi, leur rencontre met en scène une relation filiale complexe et paradoxale très intéressante, laquelle en dit large sur la famille. Les rares regards que s’échangent ainsi les personnages de Bertrand Bonello et de Agathe Rouselle nous glacent encore le sang...
La métamorphose est donc au centre de ce film, tandis que notre vision du personnage principal bascule, et cela assez rapidement, étant donné un plan-séquence d’ouverture qui nous le présente de manière ultra-sexualisée, clichée, organique, déconnectée de la réalité par rapport à sa vraie vérité, qui est toute autre. Parallèlement à cette dernière, "Titane" n’est pas à mettre devant tous les regards. Difficile ainsi parfois de garder les yeux rivés sur l’écran, tant certaines scènes sont très dures, voire insoutenables. Mais elles ne le sont pas en vain, et servent à cacher son héro(ïne) aux yeux du monde qui, d’une part, la recherche physiquement pour ce qu’il/elle a commis, et d’autre part, tente de percer son identité, pour savoir qui il/elle est. Outre que part cette violence, le changement est aussi forcément marqué par un travail physique assez fou, notamment à l’aide de prothèses, qui servent ainsi à jouer sur la mécanique huileuse dans laquelle baigne Alexia, au fil du récit, elle qui éprouve à la base une attirance quasi-charnelle pour les voitures, et inexpliquée. En ce sens, le film nous rappelle "Jumbo" (2020) de Zoé Wittock. Oui, "Titane" est aussi brut que profond, et présente ainsi des parti-pris assez osés, pour lesquels nous n’obtiendrons ainsi pas de réponse. C’est une liberté que prend ici sa cinéaste, Julia Ducournau, pour alors mieux échapper aux cases préétablies, et servir ainsi ses convictions intimes et viscérales, ses idées expérimentales de cinéma, aussi terre-à-terre, fantastiques que mystique, féministes et sacrées, en témoigne d’ailleurs le travail du son.
"Titane" ne laissera donc pas indifférent, et pourrait dans ce sens en laisser certains sur le carreau. N’en déplaise, il s’agit là d’une expérience, d’une proposition de cinéma singulière, mais qui nécessite que nous passions les vitesses à mesure que son moteur monte dans les tours. Autrement dit, il faut s’accrocher, et boucler sa ceinture...