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Julia Ducournau
A propos de Titane !
Date de sortie : 28/07/2021
Article mis en ligne le 24 juillet 2021

par Charles De Clercq

Synopsis : Après une série de crimes inexpliqués, un père retrouve son fils disparu depuis 10 ans. Titane : Métal hautement résistant à la chaleur et à la corrosion, donnant des alliages très durs.

Acteurs : Agathe Rousselle, Vincent Lindon, Garance Marillier, Myriem Akheddiou, Dominique Frot

Titan, c’est grave !

Dès avant Cannes, l’on parlait de Titane, le nouveau film de Julia Ducournau, après Grave qui avait surpris lors de sa sortie. A l’époque, nous écrivions, dans un chapitre intitulé "Un film de ’genre’ ?", que c’était "un film à ne pas mettre sous tous les yeux, un film de genre qui traite aussi du genre, de la famille, de l’atavisme, du bizutage, de l’animal et du sang." Le film avait été tourné en partie à la Faculté de Médecine vétérinaire de l’Université de Liège, qui avait donné l’autorisation de tourner à Julia Ducournau, parce qu’il s’agissait d’un premier film dont on pouvait supposer que la diffusion serait restreinte ! L’on sait ce qu’il en a été de la réception de ce film. Déjà, son court-métrage Junior traitait de la « la mutation reptilienne d’une ado très garçon manqué en jeune fille ». L’on ne s’étonnera donc pas de ce que la question du genre soit de nouveau au centre de Titane, avec encore une fois une mutation (reptilienne ?) d’une jeune fille "garçon manqué ?" en jeune homme. Est-ce que déjà-là nous n’en disons/écrivons pas trop ? Car il est bien difficile de rendre compte de ce film (voire de régler ses comptes avec lui !) sans divulgâcher. Car ce film, c’est aussi une intrigue qui, pour tordue (tirée par les cheveux ? voire imparfaite), qu’elle soit, est essentielle à la dynamique qu’elle met en œuvre.

Un film violent ?!

N’attendez donc rien de cet article (bien imparfait) pour connaître le déroulement et le dénouement de Titane. De premier abord, il faut reconnaître que le synopsis "officiel" ci-dessus est loin de donner un aperçu de ce film boosté aux stéroides : éliminons d’emblée la définition du métal titane, il reste une phrase sibylline qui est loin de définir le contenu et la ligne rouge du film. Il se disait que le film était hyper-violent, gore, à tel moins que l’on faisait état de malaises, vomissements, évanouissements, sorties de salle de spectateurs et spectatrices. Il est possible qu’il y ait eu une amplification épique. Et de fait, l’ayant vu, peut-être faudra-t-il à certain·e·s se boucher les oreilles et fermer les yeux lors de certaines scènes ! Mais, à dire vrai, il semble bien que les films de la saga Saw (que nous n’avons pas vus) soient bien plus perturbants ! Alors, il ne s’agit pas d’une violence graphique au second degré, quoique certaines scènes, sans être comiques, pourront prêter à rire. Mais, en même temps, le film est si décalé par rapport à la réalité (attention spoiler en note ! [1]) que l’on peut recevoir le film au moins au second degré. Titane est d’abord un film hyperréférencé : ainsi — parmi beaucoup d’autres — Crash de David Cronenberg (1996), Christine de John Carpenter (1983), Tetsuo de Shinya Tsukamoto (1988) ! Ajoutons (peu en ont fait état !) le film belge Jumbo dont nous écrivions : qu’il abordait "le thème d’une femme qui tombe amoureuse d’une attraction foraine" et regrettions que "le film soit enfermé dans le corset d’une histoire vraie de maladie mentale plutôt que de s’ouvrir au cinéma fantastique à la façon de Christine ou de Crash".

Un film typé BIFFF ?

Titane aurait pu être un film d’ouverture ou de clôture du BIFFF. Il a eu les honneurs de Cannes et à la surprise générale, il en a obtenu la Palme d’or. Quoique "surprise" ne convient pas. Au tout premier degré, la "bourde" du président du jury qui contre toute attente, annonce en ouverture de cérémonie ce qui devait la clôturer. Acte manqué ? Impensé ? Plaisir coupable et involontaire d’annoncer la "nouvelle qui tue" ? Et aussi une nouvelle actrice, Agathe Rousselle (elle a tourné aussi dans Loving, un court-métrage de 3’20 de Thibaut Buccellato qui précise "avec le confinement, je voulais mettre en avant l’amour et le contact amoureux qui, je pense, est primordial en ce moment"), court-métrage qui, lui aussi, traite de l’amour dans ses différents genres ! En fait, l’imperfection s’invitait dès l’entrée de jeu, dans une cérémonie parfaitement huilée (!). Que pouvait-elle accoucher, sinon un fruit hybride, des prix en double (imprévus - il n’y avait pas de statuette en double et les récipiendaires ont dû se partager la récompense, quitte à la laisser à l’autre que l’on pouvait ainsi gratifier d’être la personne qui la méritait plus ?), une attente fébrile... et déjouée d’une annonce sur un sort connu d’avance et qui a frôlé le deuxième incident en fin de parcours !

La surprise du soir !

Le plaisir était donc gâché. Certains pressentaient la Palme d’or pour Titane tout en sachant que c’était un vœu pieu et que jamais un tel film ...ce film... n’accéderait à la palme convoitée ; d’autres, en revanche, avaient déjà condamné et exclu un film indigne de la prestigieuse institution ! L’annonce prématurée changea donc le cours des choses, comme si le fantastique du film s’invitait dans la salle et allumait un feu que l’on ne pourrait éteindre !

Alors, objectivement, ce n’était pas notre/la Palme d’Or rêvée. Mais après chaque festival, la Palme fait souvent débat. N’empêche, qu’ici, le jury, probablement divisé et torturé a fait fort. Il a en tout cas "tiré son épingle du jeu" en récompensant un film imparfait (la réalisatrice l’a d’ailleurs reconnu elle-même - et elle avait eu le temps de cogiter sa réponse depuis le début !) mais un film de "genre" (cinématographique) mais aussi de "genre", celui qui émerge de plus en plus dans les réflexions de société aux plans politiques, religieux, symboliques...

En ce sens, Julia Ducournau a eu les mots justes en recevant sa récompense : "Merci au jury de reconnaitre, avec ce prix, le besoin avide et viscéral qu’on a d’un monde plus inclusif et fluide. Merci d’appeler à plus de diversité dans nos expériences, au cinéma et dans nos vies. Merci au jury de laisser entrer les monstres."

Laissez entrer les monstres

"Laisser entrer les monstres", c’est tout un programme et l’on pourrait revoir ainsi certains films qui ont fait place aux monstres (non pas, ceux de la science-fiction ou des films dits d’horreur - quoique !), ceux qui n’ont pas de places réservées, qui sont hors normes, qui sont des Freaks (ainsi le film homonyme de Tod Browing en 1932). Aujourd’hui, parfois sous la pression, une place est faite à l’autre (au risque, dans certains cas, d’amener un effet pervers : ainsi faut-il condamner le fait qu’une personne transgenre soit interprétée par un acteur ou une actrice cisgenre ? En tout cas, le film En Helt Almindelig Familie — A perfectly Normal Family de Malou Reymann où la réalisatrice traite de la transition de son propre père, montre qu’un acteur cisgenre peut parfaitement incarner un tel rôle !). Entendons ici : il n’est pas question de dire que tels ou tels, transgenre, LGBT..., handicapé·e·s sont des "monstres" mais qu’il s’agit ici de rendre visible ce qui est soit invisibilisé, soit monstrer" pour condamner, rejeter, interdire, etc.

De son court-métrage Morning After, la réalisatrice candienne Patricia Chica dit : qu’elle voulait "parler de la connexion humaine, de l’énergie métaphysique qui nous unit et de l’exploration sexuelle sous un angle autre que celui des étiquettes LGBTQ ou hétérosexuelles. Je voulais faire un film sur le désir qui irait au-delà de la dimension physique conventionnelle... une approche plus profonde et peut-être même plus transcendante de la sexualité, de l’expression personnelle et de l’acceptation de soi.” C’est peut-être cela que Julia Ducournau a voulu transmettre dans son film, comme d’autres l’ont fait déjà (de façon moins provocante peut-être) ainsi Laurent Micheli dans Lola vers la mer ou Even Lovers Get the Blues ou, dans le documentaire Si c’était de l’amour de Patric Chiha ou celui de Sarah Moon Howe, Celui qui sait saura qui je suis... Ce ne sont que quelques exemples parmi beaucoup d’autres.

Aussi, pour poursuivre la réflexion (ici inachevée !), nous invitons à lire « Titane » de Julia Ducourneau : Cadavre exquis, bien plus argumenté et développé que notre contribution.

Affiche et bande-annonce :



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