Genre : Drame, fantastique
Durée : 101’
Acteurs : Suliane Brahim, Sofian Khammes, Marie Narbonne...
Synopsis :
Difficile pour Virginie de concilier sa vie d’agricultrice avec celle de mère célibataire. Pour sauver sa ferme de la faillite, elle se lance à corps perdu dans le business des sauterelles comestibles. Mais peu à peu, ses enfants ne la reconnaissent plus : Virginie semble développer un étrange lien obsessionnel avec ses sauterelles...
La critique de Julien
Difficile parfois de résister à l’appel silencieux de films sortis chez nos voisins français, et pas (encore) dans notre pays. C’est le cas notamment de celui que nous a lancé "La Nuée", labélisé Festival de Cannes 2020 pour la sélection de la Semaine de la Critique, premier film du réalisateur parisien Just Philippot, auteur de quatre courts métrages dont "Ses Souffles" (2015) et "Acide" (2018), présélectionnés aux César. À la fois thriller agricole aux accents fantastiques et film d’auteur social, "La Nuée" est un formidable cauchemar éveillé qu’il serait dommage de rater, et dont on ressort la gorge nouée. On vous explique pourquoi on ne regrette pas d’avoir traversé la frontière, et espérant qu’un distributeur belge s’empresse d’acheter ses droits...
Pour sauver sa micro-entreprise de la faillite, et montrer à sa famille monoparentale qu’elle peut s’en sortir, Virginie (Suliane Brahim) décidera de se lancer dans l’entomoculture, c’est-à-dire l’élevage d’insectes, et plus précisément de sauterelles comestibles, considérées comme la nourriture de demain. Mais dans un excès de colère, étant donné le manque à gagner et les mauvaises nouvelles qui s’accumulent, Virginie malmènera alors son exploitation, jusqu’à se blesser, dans la serre où résident ses pensionnaires stridulant. C’est alors au lendemain de cet événement que l’agricultrice va commencer à nouer un lien aussi étrange qu’obsessionnel avec ses insectes, faisant alors face à l’hostilité et à l’incompréhension de ses proches, dont sa fille Laura (Marie Narbonne) et son ami fermier Karim (Sofian Khammes), ainsi qu’à la curiosité du voisinage...
Écrit par Jérôme Genevray et Franck Victor, "La Nuée" rivalise de virtuosité dans la mise en place et le développement de son intrigue, jusqu’à son issue, particulièrement inexorable. En effet, cette maman, dans sa volonté de réussir à nourrir sa famille, à payer les factures, ou encore à se relever d’un drame passé, fera preuve d’abnégation inconsciente de sa personne, de là à se donner, petit à petit, physiologiquement et littéralement, en sacrifice à ses bestioles, devant les yeux d’abord aveuglés, puis horrifiés, de son entourage.
Porté par l’actrice Suliane Brahim, aux airs lointains de Charlotte Gainsbourg et de Loubna Azabal, alors connue du grand public pour son rôle dans la série télévisuelle "Zone blanche" et sociétaire de la Comédie-Française, son personnage principal est doté d’une écriture extrêmement forte et éprouvante, étant donné son incapacité à se mettre des limites, tiraillée entre son dépassement de soi en s’adonnant à sa production afin qu’elle explose, et sa stabilité familiale et sociale, dont envers les besoins de ses enfants, alors que sa fille unique souffre de moqueries, elle qui désire par-dessus tout quitter les lieux afin de redémarrer une autre vie... Et c’est la jeune actrice Marie Narbonne (vue dans "Play" de Anthony Marciano ou encore dans "Le Meilleur Reste à Venir" de Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patelliere) que l’on retrouve derrière les traits de cette adolescente, en mal-être face à l’incompréhension et au manque de dialogue, de conciliation de sa maman à son égard, elle qui est d’autant plus perturbée par le fait que sa maman est consciente de leurs problèmes, elle qui tente alors de les résoudre, à sa manière, avant de s’y résoudre, étant donné le point de non-retour qu’elle va franchir. Et autant dire que Marie Narbonne explose à l’écran, et affiche un regard profond et un jeu d’une grande générosité et sensibilité émotionnelle, elle qui mérite, à coup sûr, de recevoir le prochain César du meilleur espoir féminin pour sa magnifique interprétation. Si jeune, et pourtant déjà autant de talent, c’est fou !
"La Nuée" se regarde alors comme un drame social fantastique où la tension se révèle être un personnage central, elle qui monte à mesure que la folie s’empare de cette maman. Et c’est dans sa réussite à manier le fond et la forme que ce premier film est une réussite absolument saisissante, qui ne devrait ainsi laisser personne sur le carreau. D’ailleurs, le film est doté d’effets spéciaux et de maquillages très réalistes, parfaitement intégrés à l’histoire, sans que ceux-ci ne soient prédominants, et n’offrent ainsi du spectaculaire que pour du spectaculaire, à l’image des nuées, 100% numériques, et semblant pourtant naturelles. Et les effets n’arrivent véritablement ici qu’en dernier ressort, c’est-à-dire lorsque la chute s’annonce. Certaines scènes sont donc particulièrement difficiles, bien qu’elles aient entièrement leur place dans cette histoire.
Même si on est, vous l’avez compris, très emballé par "La Nuée", on regrettera cependant une lumière un peu trop terne par moments, ainsi que quelques péripéties importantes, mais restées pourtant sans conséquences apparentes, ainsi que quelques comportements insensés et questions pratico-pratiques qui posent problème, face notamment à cette exploitation, menée seule, mais qui ne fait alors que cloître... Mais on ne révélera rien ici de ces quelques interrogations, qui n’influencent de toute manière pas notre vision convaincue du film.