Synopsis : Sam Ali, jeune syrien sensible et impulsif, fuit son pays pour le Liban afin d’échapper à la guerre. Pour se rendre en Europe et vivre avec l’amour de sa vie, il accepte de se faire tatouer le dos par l’artiste contemporain le plus sulfureux au monde. En transformant son corps en une prestigieuse œuvre d’art, Sam finira toutefois par découvrir que sa décision s’est faite au prix de sa liberté.
Acteurs : Monica Bellucci, Yahya Mahayni, Koen de Bouw
La réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania a déjà réalisé quelques films marquants, ainsi, en 2014 un remarquable pseudo-documentaire, Le challat de Tunis et en 2018 Aala Kaf Ifrit (La belle et la meute) où elle adaptait l’histoire vraie de Meriem Ben Mohamed (un nom d’emprunt). Avec L’homme qui a vendu sa peau, la réalisatrice offre cette fois une oeuvre de fiction mais qui s’appuie sur certains éléments véridiques qui ont trait à un artiste belge. En effet "L’histoire est partiellement inspirée de celle de Tim Steiner portant sur son dos un tatouage réalisé par l’artiste belge Wim Delvoye et pour qui un contrat de vente conclu en 2008 pour 150 000 euros prévoit trois expositions annuelles et le dépeçage après sa mort. Kaouther Ben Hania voit ce tatouage à l’occasion d’une exposition et déclare : « L’image est restée gravée dans ma tête, mais il fallait trouver l’histoire qui va avec ». Dans le film, le héros est un réfugié et le tatouage représente un visa Schengen" (source).
Le film est tout à la fois une réflexion sur l’art, sur la liberté, sur la guerre au Liban, sur l’exil et toutes les voies possibles pour fuir une terre hostile. Sur l’art comme marchandise et, dans la foulée, lorsque la toile, humaine en l’occurrence, devient monnayable. Qu’est-ce que la liberté, quel est son prix ? Et comme support de cette oeuvre diabolique en quelque sorte (dans la mesure de son étymologie : qui divise) Yahya Mahayni excelle ici et transcende l’oeuvre de la réalisatrice (plus encore que Monica Belluci !).
Cet homme qui perd sa peau pour l’avoir vendue, pour être exhibé comme une bête de foire ou un cochon tatoué, va tout d’abord se rendre compte que l’argent gagné lui donne de bien meilleure chances que celles qu’il avait en Syrie. Mais cet exil est-il si profitable ? Qu’a-t-il perdu de plus précieux et qui n’est pas monnayable ? Quel est alors le statut d’une oeuvre vivante exposée dans le célèbre BOZAR à Bruxelles (puisqu’une partie du film se déroule en Belgique). Comment ses compatriotes d’exil vont-ils percevoir cette fortune "diabolique" ? Qu’est-ce qui fera alors "symbole" (littéralement les deux parties d’une pièce de monnaie divisée qui permettent aux tenants de deux contractants de se reconnaître en joignant celles-ci en signe de reconnaissance) ?
Ce n’est que dans l’avant-dernière partie du film que l’on comprendra le sens de son plan inaugural. Et lorsque le mot "FIN" arrivera sur l’écran, il n’y aura qu’une seule chose à faire, revoir le film avec la potentielle clé de relecture qu’il nous a été donné de voir en se demandant si l’on peut perdre la tête pour une illusoire liberté ? Une seule ? Peut-être une deuxième : se ré-interroger sur le statut de l’oeuvre d’art unique à l’heure où de nouvelles technologies numériques permettent d’en assurer l’authenticité, les NFT ou “non-fungible token” (à la manière d’un ADN donc).