Signe(s) particulier(s) :
– nouvelle adaptation du roman "Emma" (1815) de Jane Austen ;
– premier film de la photographe Autumn de Wilde, connue pour ses portraits et ses photographies commerciales de musiciens, ainsi que pour ses vidéoclips.
Résumé : Belle, intelligente et riche, Emma Woodhouse est sans rival au milieu de sa petite ville endormie. Dans cette satire étincelante de la classe sociale, Emma doit s’aventurer à travers de rendez-vous galants ratés et de faux pas romantiques pour trouver l’amour, le vrai.
La critique de Julien
« Emma Woodhouse, belle, intelligente, et riche, avec une demeure confortable et une heureuse nature... ». Parmi les œuvres littéraires les plus adaptées de Jane Austen, il y a bien entendu « Raison et Sentiments » (1811) et « Orgueil et Préjugés » (1813), mais également « Emma ». Publié en 1815, et considéré par certains « austeniens » comme son œuvre la plus aboutie, ce roman de mœurs raconte alors les tentatives narquoises d’une héroïne très aisée pour faire rencontrer aux célibataires de son entourage le conjoint idéal. Tandis qu’il peint avec humour la vie et les problèmes de la classe provinciale aisée sous la Régence (1811 à 1820 ; période d’excès pour l’aristocratie), ce roman est surtout un bon prétexte pour Janes Austen de parler d’apprentissage par son personnage principal lui-même. En effet, malgré la vivacité de son esprit à manœuvrer autrui, Emma peine à comprendre les sentiments des autres, ainsi que les siens. Issue principalement de la photographie, Autumn de Wilde réadapte aujourd’hui cette histoire sur grand écran.
Très fidèle au matériel de départ, Autumn de Wilde dresse, au fil des quatre saisons (en commençant par l’automne), le portrait de cette jeune demoiselle de 21 ans, vivant alors avec son père veuf et hypocondriaque, dans leur beau domaine de Hartfield, dans le Surrey, elle qui est décrite comme innocemment égocentrique et prétentieuse, condescendante avec les gens d’un rang moins élevé que le sien, mais surtout généreuse et droite.
On ne va pas refaire ici tout le roman et simplement dire que la réalisatrice dépoussière à sa manière cette histoire et ses personnages (décolletés et brève nudité masculine), tandis qu’il porte, via Emma, un regard toujours aussi actuel (et contradictoire) sur la condition féminine, l’amour et surtout le mariage.
Anya Taylor-Joy, révélée dans « The Witch » (2015) de Robert Eggers, et découverte du grand public dans le « Split » (2017) de M. Night Shyamalan, campe une demoiselle à laquelle les jeunes femmes actuelles ne voudraient sans doute ressembler dans un premier temps pour rien au monde. Et pourtant, sous ses airs hautains, vaniteux, et sa soif de liberté sentimentale dominante et presque arrogante (elle veut rester célibataire et n’a que faire du mariage, mais se charge tel un divertissement de celui des autres), il s’agit là d’un être en quête de lui-même et d’une réalité qui lui échappe personnellement, par aveuglement, lui qui tente alors de la contrôler par autrui, conduit indirectement par sa position sociale. Telle sa créatrice, Autumn de Wilde permet alors au spectateur de nuancer cette femme « parfaite en dépit de tous ses défauts », et de la faire évoluer devant sa caméra, de sorte à la rendre moins intouchable, plus ouverte, elle qui est, on le rappelle, une fille respectée et une amie fidèle. Dès lors, l’homme se montre ici plus vulnérable que la femme dans ses attitudes et sentiments, ce qui contrebalance avec l’image de la femme qui n’avait pas grand chose à dire, à l’époque.
Sans moderniser l’histoire, mais bien en l’humanisant, la cinéaste et son équipe lui apportent aussi des touches de couleurs pastelles inédites, tandis qu’ils mettent aussi le grappin sur les coiffures, les habillements et la musique, rappelant qu’on est bien ici dans un film d’époque, mais non pas pour le traiter d’un point de vue historique, mais humain, en la personne fictive d’Emma Woodhouse. On regrettera cependant une première heure difficilement accessible, étant donné un trop grand nombre d’intervenants cités auxquels on a bien du mal à mettre un visage (certains n’apparaîtront d’ailleurs jamais), tandis que la mise en scène, très belle et lumineuse, peine à insuffler un quelconque entrain par son classicisme.
Adaptation fidèle, enjolivée et humanisée d’un roman d’une auteur dont la postérité de l’œuvre n’a jamais cessé de parler au cinéma (pour ne citer que lui), « Emma. » rentre dans les clous du spectacle, pour un agréable moment en costumes, mais auquel il manque cependant de mordant pour ne pas s’avérer mollasson sur la longueur.