Signe(s) particulier(s) :
– premier long métrage du réalisateur et producteur de cinéma et de publicité Galder Gaztelu-Urrutia, après les courts métrages "La Casa del Lago" (2011) et "913" (2004) ;
– prix du public 2019 des séances "Midnight Madness" au Festival International du Film de Toronto ;
– le film devait être présenté au 38ème BIFFF (Brussels International Fantasy Film Festival) avant qu’il ne soit annulé suite à la crise sanitaire que nous vivons actuellement.
Résumé : Dans une prison-tour, une dalle transportant de la nourriture descend d’étage en étage ; un système qui favorise les premiers servis et affame les derniers.
La critique de Julien
Face aux gros studios américains, on aurait tort d’oublier que le cinéma de genre espagnol est un adversaire de taille. Et ce n’est pas ce film de science-fiction horrifique qui nous fera dire le contraire. Distribué par Netflix, "El Hoyo" (titre en version originale, traduit littéralement par "le trou") nous plonge dans une prison aux règles de (sur)vie très particulières, où le comportement des détenus en dit long sur notre propre société capitaliste, dont sur une certaine lutte et inégalité des classes sociales, les poussant alors à agir indirectement comme des cannibales. Âmes sensibles, s’abstenir, au contraire des amateurs du genre !
Après avoir accepté de séjourner dans un endroit spécial appelé "La Fosse" pour en obtenir à l’issue un certificat homologué afin de s’élever socialement dans la vie active, Goreng (Iván Massagué) se réveille dans une cellule en béton marquée du numéro 48, en compagnie de Trimagasi (Zorion Eguileor). Ce dernier lui expliquera alors le fonctionnement de cet étrange endroit, soit une prison. En effet, la nourriture est ici livrée via une plate-forme qui se déplace de haut en bas, à travers un grand trou qui traverse un nombre incalculable d’étages. Le problème, c’est que cette nourriture ne fait qu’un seul trajet pour nourrir tous les détenus, ceux d’en bas ne pouvant dès lors manger que ce que ceux d’en haut leur laissent, c’est-à-dire pas grand-chose. Or, alors qu’ils ne disposent que de quelques secondes pour s’abreuver, il leur est de plus impossible de faire des réserves, étant donné que chaque pièce est fatalement chauffée ou refroidie si les prisonniers tentent de thésauriser la nourriture après que la plate-forme ait quitté leur niveau. Heureusement (ou non), chaque mois, les cartes sont rabattues, et les prisonniers se retrouvent aléatoirement à un autre étage (avec le même compagnon de chambre), leur donnant ainsi la possibilité, en fonction de l’étage, de reprendre des forces ou d’imaginer le pire...
Alors qu’il fait penser au "Cube" (1997) de Vincenzo Natali, au "Transperceneige" (2013) de Bong Joon Ho ou encore au "High Rise" (2016) de Ben Wheatley, ce film traite de manière on ne peut plus explicite de l’égoïsme humain et de notre société de surconsommation, et cela à l’aide d’une idée à la fois absolument intelligente et mortelle (adjectif à prendre ici dans les deux sens). Car en plus de bénéficier d’une mise en scène étouffante, "La Plateforme" ose montrer ce à quoi le principe de répartition non-équitable de la nourriture peut amener, soit ici de pousser l’humain à s’entretuer pour arriver à se remplir le gosier, plutôt qu’à penser à la solidarité. Mais c’est sans compter sur l’arrivée de Goreng, qui tel Don Quichotte (il a d’ailleurs choisi d’emporter ce livre avec lui) va tenter de rétablir la justice dans cette tour d’ivoire, confrontant hommes et femmes à l’horreur d’un monde qui les façonne telles des bêtes. Cependant, et même si c’est volontaire, "La Plateforme" ne va pas au bout de ses idées, et nous laisse sur notre faim, avec de trop nombreuses interrogations, qui rendent ainsi perplexe, notamment vis-à-vis de certains flashbacks et seconds rôles, l’ensemble permettant différents niveaux d’interprétation de son dénouement (pour autant qu’il en soit un...), aussi exigu qu’énigmatique.
Efficace, malsain, virtuose, mais inégal par ses zones d’ombres, "La Plateforme" est un film politique horrifique sans demi-mesure dans son traitement parfois éprouvant des inégalités sociales, lequel excitera autant qu’il déroutera le spectateur.