Signe(s) particulier(s) :
– premier film du cinéaste italien Filippo Meneghetti, après notamment trois courts-métrages, dont "La Bête" (2018).
Résumé : Nina et Madeleine sont profondément amoureuses l’une de l’autre. Aux yeux de tous, elles ne sont que de simples voisines vivant au dernier étage de leur immeuble. Au quotidien, elles vont et viennent entre leurs deux appartements et partagent leurs vies ensemble. Personne ne les connaît vraiment, pas même Anne, la fille attentionnée de Madeleine. Jusqu’au jour où un événement tragique fait tout basculer…
La critique de Julien
Pour un premier film, Filippo Meneghetti s’en sort avec les honneurs, et bien plus encore. "Deux", c’est une histoire d’amour cachée, et de très longue date, entre deux femmes. Malheureusement, l’image du carcan familial de l’époque, qui voyait alors un homme épouser une femme, et avoir des enfants ensemble, ainsi que la peur du regard d’autrui, les ont toujours séparées. Mais tandis que Nina n’a jamais cessé de voyager tout en gardant un œil sur sa dulcinée, Madeleine, veuve, a quant à elle eu deux enfants, Anne et Frédéric, aujourd’hui parents. Mère de famille dévouée, mais mystérieuse sur sa vie sentimentale, Madeleine entretient alors une relation tumultueuse avec son fils (liée au décès de son père), au contraire de celle qui la lie à sa fille, elle qui se montre aux petits soins. Voisines de pallier, Nina et Madeleine vivent alors leur idylle à l’abri de tous les regards, elles qui ont pourtant pour projet de retourner à Rome, pour y vivre définitivement, là où tout a commencé pour elles deux. Reste alors à l’annoncer aux enfants de Madeleine, la peur au ventre, face aux conséquences, qui pourraient être tragiques...
Filippo Meneghetti signe avec "Deux" un film profondément incarné, que ce soit à la fois par ce qu’il illustre, à savoir un amour éperdument inaccessible, et par ses actrices. Barbara Sukowa, actrice allemande égérie de la Nouvelle Vague allemande dans les années 1980, et Martine Chevallier, sociétaire (honoraire) de la Comédie-Française, forment un duo principal particulièrement remarquable, dans le rôle de femmes que l’on sent ayant souffert tout le long de leur vie, étant donné qu’elles n’ont jamais pu vivre leur histoire au grand jour. À coups de retours en arrière, et de regards échangés, on croit instantanément en leur histoire.
Mais l’avenir leur semble plus radieux, ou du moins, en transparence, étant donné que Filippo Meneghetti les confrontera à un nouveau défi, de taille, et surtout à la révélation de leurs sentiments, envers autrui, ce qui, évidemment, ne sera pas facile...
S’il joue d’abord sur la romance homosexuelle et le drame, Filippo Meneghetti transforme alors la seconde partie de son film en un thriller maîtrisé, voire glaçant (sans doute un peu trop par moments), lequel ne vient pourtant jamais voiler ce pour quoi il est mis en scène, à savoir la liberté d’aimer, et encore plus quand on a dépassé le troisième âge. "Deux" propose aussi un double regard, étant donné la position des enfants de Nina, joués par Léa Drucker (une fois de plus bouleversante) et Jérôme Varanfrain, qui soulève ainsi des questions interpellantes. Ainsi, connaissons-nous aussi bien nos proches qu’on le prétend ? À quel(s) prix ouvrir les yeux sur une vérité que l’on ne veut pas affronter (et peut-être même accepter), bien qu’elle permettrait pourtant à un être cher d’être heureux ? Et bien d’autres encore...
Certes, Filippo Meneghetti ne parvient pas toujours ici à canaliser l’émotion de son récit étant donné ses envolées purement anxiogènes (on y a même sursauté une fois), mais le poids des enjeux ne laisse pas indifférent, et touche inévitablement. Aussi, le cinéaste utilise à bon escient sa caméra (virtuose de plans) et ses décors (pourtant peu nombreux, car on est principalement dans un huis clos) et détails, desquels résonne ainsi le vécu passé et présent de ces deux femmes. Rien n’est à vrai dire anodin dans "Deux", et chaque élément de l’intrigue vient apporter, à sa manière, sa pierre à l’édifice.
Éloquent d’amour, et pourtant sensible et fin dans ses sentiments, "Deux" est un film hypnotisant, situé à la croisée des genres, mais servant toujours une histoire d’amour transgénérationnelle, qui contre cependant l’image que nous avons d’enfermer nos parents dans des cases. Ainsi, le film ose mettre encore un peu plus à l’épreuve ses sentiments pour les faire encore plus grandir, et surtout vivre, peu importe l’âge, car il n’est jamais trop tard. Oui, Filippo Meneghetti est un cinéaste né, qu’il nous tarde de découvrir davantage.