Signe(s) particulier(s) :
– huitième long métrage du cinéaste québécois Xavier Dolan après des films comme "J’ai Tué ma Mère" (2009), "Mommy" (2014) ou "Juste la Fin du Monde" (2016) ;
– sélectionné en Compétition officielle au 72ème Festival de Cannes 2019.
Résumé : Deux amis d’enfance s’embrassent pour les besoins d’un court métrage amateur. Suite à ce baiser d’apparence anodine, un doute récurrent s’installe, confrontant les deux garçons à leurs préférences, bouleversant l’équilibre de leur cercle social et, bientôt, leurs existences.
La critique de Julien
Xavier Dolan revient de loin. Et pour cause, son précédent film, "Ma Vie avec John F. Donovan" (2018), a été un revers, aussi bien personnel que commercial. Emmené par Natalie Portman, Kit Harington, Kathy Bates, Bella Thorne, Thandie Newton ou encore Susan Sarandon dans les rôles principaux, ce film en anglais (premier de sa filmographie dans son cas) avait déjà connu moult remous dans sa production, avant une sortie en salles très confidentielle. Financements difficiles à trouver, abandon de tournage de certaines acteurs (Nicholas Hoult, Taylor Kitsch), montage chaotique (le rôle tenu par Jessica Chastain a purement été coupé au montage), son film a ensuite essuyé des critiques laborieuses lors de sa présentation au Festival International du Film de Toronto, en septembre 2018, enterrant définitivement sa carrière. D’ailleurs, la maison de production du film (Séville International), chargée de le distribuer à l’international, le film a refusé d’investir davantage dans sa distribution. En résulte notamment que le film est inédit chez nous !
Mais remis de cet épisode, le cinéaste québécois revient cette année-ci avec un cinéma plus modeste, et donc moins ambitieux, mais beaucoup plus pertinent au regard de ses précédentes réalisations. Son nouveau bébé s’intitule ainsi "Matthias & Maxime", lequel lui a notamment permis de concourir une énième fois en sélection officielle en compétition au Festival de Cannes 2019.
Inspiré par un cinéma actuel qui ose aborder les sentiments masculins - tels que dans "Seule la Terre" de Francis Lee ou "Call Me By Your Name" de Luca Guadagnino sortis tous deux en 2018 - mais aussi par une envie de traiter de l’amitié et de sentiments jusque-là insoupçonnés entre personnages qui ne sont pas nécessairement homosexuels, Xavier Dolan pose aujourd’hui sa caméra au sein d’un bande de potes unie, et donc d’une jeunesse en manque de repères. D’ailleurs, Maxime, l’un d’eux, s’apprête (Xavier Dolan) à faire ses bagages pour poser ses valises durant les deux prochaines années en Australie, lui qui est ainsi en train d’arranger ses bidons, notamment avec sa mère, Manon (Anne Dorval), avec lequel il vit une relation très difficile, notamment depuis la disparition de son frère. Heureusement, Maxime peut compter sur Matthias (la révélation Gabriel D’Almeida Freitas), l’un de ses amis d’enfance. Mais voilà qu’un baiser échangé pour les besoins d’un court-métrage à la suite d’un pari perdu va bouleverser leur relation, remettant en question leur vie, lesquels avaient pourtant déjà échangé un baiser furtif lorsqu’ils étaient petits, que Maxime n’avait quelque part jamais oublié, mais sans conséquence, au contraire, semble-t-il, de Matthias...
Xavier Dolan fait état ici de relations amicales rencontrées au cours d’une vie, et qui font de nous ce que nous sommes au plus profond de nous. C’est donc un film avant tout personnel plutôt qu’original pour le réalisateur, qui, comme d’habitude, nous parle de lui au travers de ses films. Mais il le fait ici avec suffisamment de retenue et d’universalité pour que l’on se reconnaisse dans ses personnages, situés à un moment opportun de leur vie. Puis, évidemment, il est question d’une relation amoureuse et enfuie entre deux hommes ayant pourtant fait leur chemin avec des femmes, mais qui éprouvent une attirance incommensurable l’un envers l’autre, un besoin de s’abandonner l’un à l’autre, mais sans se l’accepter. Dans une esthétique qui rappelle celle de "Tom à la Ferme" (2013) et l’énergie et l’esprit fugace de "Mommy" (2014), "Matthias & Maxime" accompagne alors ces deux jeunes hommes dans leur quotidien, soumis à l’angoisse, au questionnement, et au désir sexué.
Sensible et romantique, mais parfois prétentieux dans ses effets visuels et représentations de l’amour passionnant, Xavier Dolan préfère jouer ici des tourments de ce baiser et du long bouillonnement qui naîtra en chacun d’eux, plutôt que de les faire tomber facilement dans les bras l’un de l’autre, et de leur permettre de vivre pleinement leur idylle. Mais force est de constater qu’il ne va pas jusqu’au bout de son idée, ou du moins laisse libre recours à notre imagination pour y donner suite. Au détour d’une scène qui succède à un baiser langoureux et démonstratif dans la buanderie d’une maison la veille du départ de Maxime (autant dire qu’ils se re-lèchent), ce dernier rétorquera à son petit-copain (?) qu’il faudra qu’ils discutent sérieusement de ce qu’il en est de leur histoire. Et en effet, on aurait aimé que Xavier Dolan creuse cette question, et aille un peu plus loin que la simple attraction séductrice qui les attire l’un et l’autre, et cela jusqu’au fameux tour de manège sur le même siège, que l’on n’en pouvait plus d’attendre. Certes, on aime passer du temps en compagnie de cette génération soustraite à des standards, et refoulant au fond d’elle ce dont elle a vraiment besoin pour vivre, c’est-à-dire d’amour, et peu importe avec qui, tant qu’il est vrai, et revigorant, mais on reste sur notre faim en ce qui concerne le dénouement de cette magnifique relation dévorante.