Signe(s) particulier(s) :
– Lulu Wang s’est inspirée en partie de sa propre vie pour écrire cette histoire, et l’occurrence du mensonge volontaire établi au sujet de la maladie de sa grand-mère et envers leur grand-mère, diagnostiquée en 2013, dont elle avait déjà fait état dans le cadre de son histoire radiophonique américaine ;
– film tourné à Changchun, un site industriel de la province de Jilin, situé au nord-est de la Chine, là où vit toujours la grand-mère de Lulu Wang ;
– meilleure actrice dans un film musical ou une comédie aux Golden Globes 2020 pour Awkwafina.
Résumé : Lorsqu’ils apprennent que Nai Nai, leur grand-mère et mère tant aimée, est atteinte d’une maladie incurable, ses proches, selon la tradition chinoise, décident de lui cacher la vérité. Ils utilisent alors le mariage de son petit-fils comme prétexte à une réunion de famille pour partager tous ensemble ses derniers instants de bonheur. Pour sa petite fille, Billi, née en Chine mais élevée aux Etats-Unis, le mensonge est plus dur à respecter. Mais c’est aussi pour elle une chance de redécouvrir ses origines, et l’intensité des liens qui l’unissent à sa grand-mère.
La critique de Julien
C’est lors du montage de son premier long métrage "Posthumous" en 2014 que la réalisatrice chinoise Lulu Wang a eu l’idée de son prochain film, intitulé "L’Adieu". En effet, c’est pendant cette période-là que la réalisatrice a appris que sa grand-mère était atteinte d’une maladie grave, en phase terminale. Tentant alors d’aller la voir à Changchun (au nord-est de la Chine), elle découvrira en fait que sa famille avait décidé de lui cacher la vérité, étant donné que la tradition chinoise veut que l’on cache un diagnostic fatal à sa victime afin qu’elle ne meure pas de se savoir condamnée... Sans pour autant approuver ce mensonge, qui en soit n’est qu’une preuve d’amour parmi d’autre, la cinéaste a donc décidé d’en partir afin de réaliser une comédie douce-amère pleine de tendresse et de finesse, pour un retour des plus revigorant et nécessaire jusqu’à ses origines cultures, auprès de ses siens.
Porté par Awkwafina, elle-même née d’un père sino-américain de et d’une mère sud-coréenne immigrée, "L’Adieu" nous présente alors une héroïne à contre-courant, Billi, vivant aux Etats-Unis, là où ses parents ont immigré il y a bien des années, bien qu’elle entretient toujours une relation étroite avec sa grand-mère Nai Nai (terme utilisé en mandarin pour qualifier la grand-mère paternelle), elle qui n’a jamais quitté sa Chine natale. Mais voilà que Nai Nai est diagnostiquée d’un cancer des poumons en phase terminale, tandis qu’il ne lui reste plus que quelques mois à vivre. Mais un mensonge sur son état de santé et une excuse plus tard, et la famille de Billi se retrouvera en Chine, auprès de la matriarche, afin de passer du temps avec elle. Sauf pour Billi, dont les parents prendront peur qu’elle ne raconte tout à sa grand-mère (elle qui ne sait pas cacher ses émotions). Cependant, Billi n’écoutera pas ses parents, et se rendra à Changchun, peu de temps après l’arrivée de la famille, d’autant plus qu’elle vient de se voir refuser sa bourse d’étude à New York...
Toute en sensibilité et retenue, Awkwafina reflète tout l’amour que porte un petit-enfant envers ses grands-parents, elle qui, dans ce cas, a grandi toute sa vie à distance d’elle. Déchirée entre son impuissance envers la maladie de sa grand-mère, mais sa possibilité de lui dire la vérité, au risque de se heurter à sa famille, et donc, de faire pire que mieux, l’actrice émeut dans la peau de cette demoiselle à la fois sensible et forte, elle qui souhaite raconter à sa grand-mère la seule chose qu’elle ne peut pas lui raconter...
Au travers de ce personnage et de son retour au pays, Lulu Wang nous confronte au choc des générations et des différences culturelles (notamment en ce qui concerne la mort), sans partis pris, mais dans une Chine où les souvenirs matériels du passé laissent de plus en plus place à de longs amas de bâtiments en construction. Aussi, la cinéaste questionne les conséquences de l’immigration à l’étranger (pour raisons professionnelles et de qualité de vie), loin de ses proches, et de ses origines. Et rien de tel que de savoir la mort proche d’un être aimé pour renforcer le sentiment de culpabilité de ne pas avoir pu passer plus de temps avec lui... Mais c’est la vie, et elle continue. En ce sens, le personnage de Zhao Shuzhen (Nai Nai), ayant quant à elle fait sa vie, n’aura que des mots justes, doux, réconfortants envers sa petite-fille, et la vie qui l’attend...
Dommage que Lulu Wang peine à trouver assez de souffle pour permettre à son film de tenir la distance, lui qui a du mal à surmonter son postulat de base. Aussi, la musique (qui fait place au violon ou aux notes de piano), un brin envahissante, appelle à l’émotion forcée, bien que le film n’en ait pas besoin pour la ressentir à juste dose, notamment lors de moments de partages hors du temps, mais aussi suite à tout ce que le mensonge en question va créer comme quiproquos, parfois absurdes.
"L’Adieu" se regarde comme une mise au point intime et discrète dans la vie de son personnage principal, où les rancœurs et non-dits se transforment en forces. Mais cet adieu n’en est finalement pas un, étant donné que la véritable Nai Nai est toujours en vie, et cela six années après avoir été diagnostiquée, tout en ignorant toujours tout de son état de santé. Preuve que les miracles existent…
➡ Vu au cinéma Caméo des Grignoux