Synopsis : Trente ans après la guerre civile au Guatemala, l’ex-général Enrique Monteverde, entre-temps un vieil homme atteint de la maladie d’Alzheimer, est inculpé pour sa participation au génocide. Mais, pendant le procès, il fait une attaque et est emmené d’urgence à l’hôpital. Il en ressort acquitté. Échappant à une foule de manifestants en colère, il se retire dans sa luxueuse villa, avec son loyal garde du corps, son épouse, sa fille adulte, leur gouvernante indigène et Alma, sa mystérieuse nouvelle employée. A l’extérieur retentissent continuellement des cris de protestation, mais, à l’aube, Monteverde commence à voir et entendre d’étranges bruits dans sa maison.
Acteurs : María Mercedes Coroy, Maria Telon, Juan Pablo Olyslager, Sabrina de La Hoz
Le spectateur qui irait dans les salles pour découvrir La Llorona, présenté comme un drame horrifique, risquerait d’être déçu. Car s’il y a bien un drame, l’horreur est peu présente. Du moins, elle ne l’est pas dans l’intrigue, à savoir la fiction qui nous est présentée, mais dans la réalité historique de la réalité politique de la dictature militaire guatémaltèque, soit l’horreur sur laquelle la fiction oblige à découvrir l’horreur du réel sous-jacent.
Pour qui a vu Ixcanul et Temblores, La Llorona semble plus proche du premier. A première vue, car l’on découvre aussi que le huis clos familial de Temblores se trouve présent dans la très luxueuse demeure de la famille de l’ancien général Monteverde. En réalité, ces trois films ont des points communs, à savoir les tabous guatémaltèques qui se déclinent en autant d’insultes : Indiens, pédés, communistes. Et cela avec la bénédiction du pouvoir, des autorités religieuses et militaires et un terreau qui permet cela dans l’idéologie et les impensés des "nantis" ! La Llorona serait ainsi le troisième volet d’une trilogie des tabous, d’une trilogie de l’insulte !
Si l’histoire racontée est une fiction, elle s’ancre cependant dans le réel. Si le réalisateur crée, modifie, adapte des personnages et des événements, c’est tout d’abord un travail de (re)construction d’un récit, à la fois pour correspondre à un genre cinématographique (ici le drame mêlé à l’horreur ou plutôt au surnaturel) et pour exprimer une « vérité » qui n’est pas à confondre avec la « réalité ». Car fictif/fiction ne veut pas dire faux. Il en est de même avec les récits bibliques, dont les évangiles ! Ce n’est pas parce que des personnages comme Adam, Eve, Caïn, Noé, Abraham, Moïse, David... sont d’abord « littéraires » et « théologiques », ce n’est pas parce que tous les événements racontés dans les Ecritures n’ont pas une « réalité matérielle » qu’il ne s’agit pas de la « Vérité » pour ceux qui y adhèrent. Car derrière le général Enrique Monteverde, il y a au moins certainement la figure de Efraín Ríos Montt qui "mène un coup d’État en 1982, dirigeant le pays d’une main de fer (état d’urgence) jusqu’à son renversement en 1983. Cette brève période fut l’une des plus meurtrières de la guerre civile guatémaltèque, qui fit entre 150 000 et 200 000 morts." (Wikipedia).
La Lhorona n’est donc pas un film de divertissement, mais un miroir qui offre un regard sur une réalité tragique du Guatémala. Après Ixcanul qui traitait, à travers le thème des frontières, du mariage précoce dans la tradition maya et Temblores qui abordait le thème du rejet de l’homosexualité par la société face au poids des églises évangélistes (voire évangélicalistes) qui imposent des thérapies de conversion (thérapies dont les médias se font l’écho depuis quelque temps ici en Europe, notamment), le réalisateur aborde de front le génocide Maya. Il mêle donc la réalité de ce génocide, la figure d’un général (président) dont le procès a été annulé et la légende avec la figure de la pleureuse.
Alma est donc hébergée avec une ancienne domestique dans la luxueuse demeure. Tous en seront affectés dans leur corps pour l’un, dans leurs cauchemars, pour l’autre tandis qu’une enfant, presque adolescente, innocente pourra entrer en relation avec elle sans tabou, rejet ou a priori. Les pleurs inonderont les rêves et les corps alors qu’à l’extérieur un peuple se fait entendre, nuit et jour. Ces cris que l’on ne peut faire taire, malgré les murs, la police, le garde du corps. Il faut que justice soit rendue et qui mieux que vos proches, peut, finalement, la rendre, fût-ce pour qu’elle soit cachée, finalement, sous les apparats et les oripeaux du pouvoir qui fermera les yeux. Car les ouvrir et dénoncer, c’est courir le risque d’être dénoncé à son tour. Il restera, alors que l’eau vient signifier que tout n’est pas fini, à écouter le chant qui clôture le film et qui redit, relit et relie la douleur d’un peuple de façon lancinante et qui vient hanter les vivants.
Lire aussi :
- l’interview de Jayro Bustamante : « Le Guatemala rejette son identité indigène » dans Le Temps.
A écouter :
- les interviews du réalisateur sur ce site : Rencontre avec Jayro Bustamante et
- Temblores et la situation politique au Guatemala réalisées lors de la sortie de Temblores.