Polémiques !
La plateforme de streaming Netflix ne laisse pas indifférent. Tout d’abord parce qu’elle est mal perçue (à tort à notre avis) par certains cinéphiles qui y voient une concurrence (déloyale ?) au vrai cinéma. Ensuite, et c’est de circonstance pour la présente série, lorsqu’elle aborde des questions religieuses qui suscitent des réactions, souvent à fleur de peau par des adeptes des religions concernées jusqu’à susciter des pétitions ou des demandes de déprogrammation. Et, ajoutons : souvent a priori, par des personnes qui n’ont pas (encore) vu la série, voire ne la regarderont pas, par principe. Ajoutons-y des menaces d’interdiction de tournage d’une éventuelle deuxième saison (dans le cas présent en Jordanie).
Avant Messiah (1) : Jinn
Certains se souviendront de la polémique suscitée en juin dernier par la mini-série Jinn : "Première production de Netflix produite dans un pays arabe, elle est critiquée pour des scènes jugées « immorales » et un langage « grossier » à cause des insultes proférées et le fait que des scènes représentent des baisers, des consommations d’alcools et de drogues. Face aux critiques, la Royal Film Commission a été accusée pour avoir autorisé le tournage de la série, le procureur a demandé sa censure de la série, mais la législation actuelle ne permet pas à la commission audiovisuelle de le faire. (source Wikipedia).
Voici quelques liens externes pour en savoir plus :
- Netflix : on vous explique la polémique avec « Jinn », la série qui dérange la Jordanie
- ou « Jinn », la série Netflix qui offusque le royaume de Jordanie
- ou encore dans La Croix : « Jinn », la série Netflix qui offusque la pieuse Jordanie.
Au delà des qualités (ou plutôt de leur absence !) de la série Jinn, nous relevons ici que ces polémiques viennent essentiellement du monde musulman. Il faut retenir ce point pour aborder un autre programme de la célèbre chaîne de streaming :
Avant Messiah (2) : La première tentation du Christ
Il y a quelques semaines un autre procès était fait à Netflix pour un film brésilien considéré, notamment, comme "anti-catholique" (en Occident) qui a entrainé une pétition signée par de nombreuses personnes au Brésil qui estimaient que Netflix n’ose pas agir ainsi par rapport à l’Islam (ce qui est faux comme signalé ci-dessus pour Jinn !). Sauf que ceux qui décriaient le film en Occident oubliaient que le Brésil est essentiellement évangélique (et même "évangélicaliste"). C’est au Brésil que les condamnations venant de milieux évangélique ont pris une grande ampleur.
Il s’agit d’un moyen métrage intitulé A primeira tentação de Cristo (La première tentation du Christ). Le principal reproche fait au film est d’y avoir présenté Jésus comme "gay". La condamnation portait sur un film probablement pas encore visionné (et donc sans en connaître le genre parodique). Comme nous l’écrivions, "le fait de se sentir attaqué en le présentant comme tel en dit très long sur l’homophobie souvent inconsciente de nos sociétés. Et là, il y a un sérieux travail à faire. Reste aussi que beaucoup de ceux et celles qui on un problème avec cela sont souvent des chrétiens très identitaires, autocentrés et xénophobes qui rêvent d’un entre nous, d’un repli sur soi où il n’y a pas place pour l’autre, pour l’étranger, somme toute pour le Christ que l’on prétend défendre". Quittons cette parenthèse "chrétienne" pour revenir à l’Islam ! Quoique ! C’est que l’on aborde maintenant une catégorie messianique qui semble pouvoir être comprise par les tenant des religions dites du Livre.
Messiah : la série qu’il faut voir !
Il y a un appel à boycotter la série... avant même qu’elle ne soit en ligne, par son intrigue tout simplement. L’apparition d’un messie, voire du Messie, de son retour suscite des controverses tant diégétiques qu’extra-diégétiques. Ou, pour l’écrire de façon simple : d’une part, la série tient son principal fil conducteur dans les réactions (universelles) suscitées par la venue d’un Messie ; d’autre part, ce thème est religieusement sensible et perçu négativement comme une atteinte à la religion de certains.
Nous avons donc attendu la sortie ce 1er janvier pour visionner les dix épisodes de la première saison (et, espérons-le, pas la dernière) en deux jours. Nous avons découvert une série bien construite, très addictive, qui situe son action en Syrie (Damas), à Jérusalem, au Texas, à Washington (mais tournée en Jordanie et aux USA car il aurait impossible de tourner sur place, par exemple le Mont du Temple, le Dôme du Rocher... qu’il a fallu reconstituer).
Que raconte la série sans "spoiler" ? (Elle) se concentre sur la réaction du monde vis-à-vis de l’apparition d’un homme au Moyen-Orient se prétendant comme le retour eschatologique d’ʿĪsā. Son apparition et ses miracles apparents suscitent rapidement un succès au tour de celui mettant en doute qui il est vraiment, cette affaire est la cible d’une enquête d’un officier de la Central Intelligence Agency (CIA). (Wikipedia).
Il est difficile d’en dire plus sans trahir le suspense de cette série que l’on ne peut que conseiller de visionner, que l’on soit Chrétien, Juif ou Musulman (athée ou agnostique aussi bien sûr). C’est que l’expression Messie peut être comprise par les religions du Livre (Judaïsme et Islamisme) et de la Parole (Christianisme), certes en des sens différents mais qui fait partie du "croyable disponible" pour reprendre une expression de Michel de Certeau. Nous reviendrons plus loin sur, justement, cette dimension "messianique" de la série.
Soulignons auparavant l’interprétation des comédien·ne·s. En particulier Tomer Sisley (qui s’exprime en hébreu, arabe et anglais), Michelle Monaghan (en anglais et hébreu), John Ortiz et surtout un acteur belgo-tunisien liégeois Mehdi Dehbi (qui maîtrise six langues et s’exprime ici en hébreu, arabe et anglais) dans le rôle principal d’Al-Massih. Un rôle qui lui va comme un gant d’autant qu’il incarne parfaitement son personnage (tant dans l’interprétation que dans le physique qui rejoint nos images fantasmées de ce qu’aurait pu être un (le) Messie !). Il se pourrait que se rôle lui colle trop à la peau et lui amène des critiques pour avoir interprété celui-ci.
Le cahier des charges de la série est respecté, les conséquences de l’apparition d’un (du ?) Messie bien étudiées (tenant compte des contraintes et des limites d’une série télévisée) sans tomber dans certains travers reprochés, par exemple, à Homeland. Bien plus durant toute la première saison l’on sera sans cesse renvoyé d’une hypothèse à l’autre sur l’identité de ce Messie. Il prétend être envoyé par "Dieu". Mais quelle est la religion de Dieu, celle qu’Il accrédite ? Appartient-Il aux sunnites, aux chiites, aux Juifs, aux catholiques ou aux (télé)évangélistes ? Ou bien s’agit-il d’un escroc ? D’un espion ? Toutes choses qu’on vous laisse découvrir (ou pas) en visionnant cette série passionnante. Nous avons pensé à la série The Leftovers (même si l’analogie est très lointaine). Le monde y avait été frappé par la disparition soudaine et mystérieuse de deux pour cent de la population mondiale. Aucune explication et un leitmotiv "ne pas chercher à savoir" car cela ne mènerait nulle part. En revanche certaines conséquences sont montrées et, notamment, l’apparition de mouvements sectaires. Mais la série se concentrait aussi et surtout sur le destin de quelques familles. Ici aussi, dans Messiah, l’essentiel n’est pas l’identité du protagoniste principal mais plutôt la quête de celle-ci, plus importante que la vérité (laissant sauve la question du rapport réalité/vérité). De même, la série se concentre sur les réactions mondiales, tant sur les individus que les groupes et les responsables politiques, policiers ou d’espionnage. Celle-ci se termine par un cliffhanger qui ouvre la voie à une potentielle deuxième saison.
Messie et catégories messianiques
A la fin de Messiah, toutes les pistes restent ouvertes. Nous relevons cependant tout l’intérêt de l’utilisation d’un personnage central qui occupe une fonction "messianique", qu’il soit le ou un "messie".
L’utilisation du terme « messie » (ou Christ, c’est la même chose pour Juifs et Chrétiens) ne tombe pas du ciel, même si le Messie a à voir avec Dieu. Il s’inscrit dans un terreau humain, dans une histoire, humaine, serait-elle « sainte » par surcroît.
Comment définir le messianisme ? Le dictionnaire de la Bible (Brepols, 1985) donne la définition suivante : “ L’attente du salut promise par l’intermédiaire d’un délégué de Dieu. Il y a plusieurs types de Messies dans le messianisme d’Israël : le Messie royal ou davidique, le Messie sacerdotal et le Fils de l’homme (messianisme transcendant). Plusieurs théories largement divergentes tentent d’en retracer l’origine”.
L’attente d’un avenir meilleur, d’un sauveur, d’un vrai roi qui garantirait le respect des petits et des pauvres (et qui représenterait le roi idéal dans l’imaginaire du peuple, à savoir David), d’un libérateur qui ramènerait les captifs du pays de l’exil ou qui bouterait les conquérants hors de la terre retrouvée vont conduire à de nombreux modèles messianiques.
À tel point que si l’on sait bien de quoi on parle, on ne sait pas vraiment de qui il pourrait s’agir. Osons une boutade : il n’y a de Messie qu’attendu, rêvé, posé dans un avenir, un futur meilleur, un eschaton tandis qu’un Messie là, ici et maintenant est inattendu si pas malvenu ! Une chose est de rêver, une autre est de voir le rêve se réaliser et de constater qu’il ne comble pas l’attente.
Si les Évangiles pouvaient donner quelques échos de ce messianisme en lien avec Jésus, ils nous montraient un peuple en question : celui-là peut-il être (est-il) le Messie ? Que la question soit contemporaine du Jésus terrestre ou relève d’une interrogation postpascale, on en est là avec un Messie encombrant. Les messies qui se sont présentés jusque-là – et par après - ne correspondaient pas aux attentes mais pouvaient entrer dans des catégories compréhensibles. En revanche, il paraissait bien que l’application d’une catégorie messianique pour définir Jésus utilise un “croyable disponible ” qui, en même temps, semble le dépasser, le faire éclater.
C’est sur ces thèmes que surfe la série Messiah et en particulier la concrétisation d’un Messie de l’aujourd’hui de notre temps qui fait appel à des catégories compréhensibles par des croyants, même si elles sont inattendues (en jouant sur les divers sens du mot), notamment "le retour du Messie", la fin des temps, ou le règne (de mille ans) qui le précède... Thèmes connus (en principe !) mais dont l’actualisation n’est pas envisagée dans "notre temps" mais postposée au-delà de l’horizon de nos prévisions...
Mise à jour 12/1/20 : Voir aussi cette analyse de Guillaume Richard dans Le Rayon vert.