Signe(s) particulier(s) :
– présenté hors compétition en clôture du 72e festival de Cannes 2019 ;
– Éric Toledano et Olivier Nakache ont notamment réalisé "Intouchables" (2011), "Samba" (2014) ou "Le Sens de la Fête" (2017) ;
– le duo de réalisateurs avaient déjà signé en 2015 le documentaire "On devrait en faire un film" autour du travail de Stéphane Benhamou, fondateur de l’association "Silence des Justes", et du jeune éducateur Daoud Tatou, tous deux responsables d’enfants et d’adolescents autistes sévères, ne trouvant alors aucune place dans les institutions.
Résumé : Bruno et Malik vivent depuis 20 ans dans un monde à part, celui des enfants et adolescents autistes. Au sein de leurs deux associations respectives, ils forment des jeunes issus des quartiers difficiles pour encadrer ces cas qualifiés "d’hyper complexes". Une alliance hors du commun pour des personnalités hors normes.
La critique de Julien
On ne présente plus le duo Eric Toledano et Olivier Nakache. Appréciés du public et de la critique, on leur doit notamment le deuxième plus gros succès français de l’histoire de son box office avec "Intouchables" (2011), autour, souvenez-vous, d’un tétraplégique et de sa relation avec Abdel Yasmin Sellou, son aide à domicile, tenus respectivement par les acteurs François Cluzet et Omar Sy. S’ils avaient réalisé avant cela trois autres longs métrages, la suite de leur parcours fut également couronné de succès, avec comédie sociale "Samba" (2014) dans lequel Omar Sy interprétait un Sénégalais vivant illégalement à Paris depuis de dix années, ou plus récemment avec "Le Sens de la Fête" (2017), une comédie chorale sur les coulisses d’un mariage, emmenée par Jean-Pierre Bacri.
Pour "Hors Normes", leur nouveau film mettant en vedette Vincent Cassel et Reda Kateb dans la peau de responsables d’associations venant en aide à des enfants et adolescents autistes sévères, Toledano et Nakache ont porté un projet et sujet qui leur tenait à cœur, et dont ils ont parfaitement connaissance.
Avant d’arriver dans le monde des plateaux de tournage, les deux compères étaient moniteurs de colonie de vacances, lesquels ont alors passé un diplôme pour devenir directeur (BAFD - Brevet d’Aptitude aux Fonctions de Directeur), afin de pouvoir encadrer, à titre non-professionnel, et de façon occasionnelle, des enfants et des adolescents en accueils collectifs de mineurs. C’est là qu’ils ont rencontré Stéphane Benhamou, juif pratiquant créateur en 1996 de l’association "Le Silence des Justes" de Saint-Denis, spécialisée dans l’accompagnement et le développement d’enfants, adolescents ou d’adultes avec autisme ou atteints de troubles apparentés, lequel travaille alors avec son ami Daoud Tatou, musulman pratiquant, lequel est quant à lui responsable depuis l’année 2000 de l’association "Le Relais Ile-de-France" (ici renommée "L’Escale"), qui accueille également des autistes, mais qui recrute aussi du personnel en situation d’aide à la réinsertion sociale et professionnelle, alors formé au métier d’animateur spécialisé par des éducateurs diplômés. Ces derniers viennent alors en aide à Saint-Denis, comme nous le montre le film.
Ayant déjà alors réalisé le documentaire "On devrait en faire un film" sur le sujet pour Canal + en ayant suivi ces deux acolytes dans leur travail, Eric Toledano et Olivier Nakache passent désormais à l’étape supérieure avec cette fiction réaliste, aux allures de documentaire, résultant de leur immersion au sein des deux associations durant deux années d’observation.
Tourné caméra à l’épaule afin d’appuyer l’urgence et la violence perpétuelles du métier des protagonistes principaux Bruno et Malik, alors toujours en mouvement, "Hors Normes" traduit avant tout une situation de nécessité, soit celle d’éveiller la conscience publique, et surtout politique, de faire bouger les choses, en mettant en lumière ces cas complexes en situation de handicap. Même si les choses changent petit à petit, il n’existe toujours pas assez d’aide et d’argent mis en place pour ces personnes et leurs responsables. Alors que "Le Silence des justes" accueille aujourd’hui 87 enfants et adultes de la région parisienne, dont 55 hébergés "24h/24", cela représente "une goutte d’eau", tels qu’on pu l’attester Stéphane Benhamou et Daoud Tatou, tandis que les lieux d’hébergements manquent encore cruellement d’équipements.
D’ailleurs, dans ce film, l’association tenue par Bruno (Vincent Cassel) est dans la visée de l’IGAS (l’Inspection Générale des Affaires Sociales), lequel n’arrive jamais à dire "non" lorsqu’on lui propose de nouveaux jeunes à prendre en charge. Sauf qu’il manque de place, et dès lors de moyens d’aide, et dès lors de sécurité... Qu’importe, aucun d’eux ne mérite d’être placé dans une file d’attente tel un client chez le boucher.
Alors que de nombreuses scènes auraient été vécues par les cinéastes eux-mêmes, Eric Toledano et Olivier Nakache réussissent amplement leur pari, étant donné que leur film transcende son sujet, pour en faire alors une ode à la vie, telle qu’elle devrait l’être pour tout le monde, et susciter des changements urgents à mettre en œuvre. Mais ils ne se veulent pas ici que moralisateur, lesquels nous montrent avant tout que ces patients atteint d’autisme sévère auraient autant de chances de s’en sortir que d’autres, mais si seulement ils étaient soutenus par la société et "ses règles" strictes, tout en étant encadrés. C’est d’ailleurs peut-être ce qui finit ici par créer en nous une émotion intense, au fur et à mesure que le film nous permet de côtoyer ces enfants, adolescents et adultes, laissés-pour-compte, malgré leurs sensibilités, et droits de vivre. Sauf que leur insertion actuelle ne permet pas encore à chacun d’eux de pouvoir en profiter pleinement, vis-à-vis de leur autisme. D’où toute l’importance de ces associations, et de ce film, lequel, on l’espère, fera réfléchir, et accéléra les choses.
Si la vision montrée ici de l’autisme sévère ne fait pas l’unanimité chez tout monde, dont notamment pour la présidente de l’association SOS autisme France, estimant que le film véhicule une "image passéiste de l’autisme", il serait regrettable de se renfermer sur cette seule interprétation. S’il est vrai que certaines images et passages appuient l’exclusion, "Hors Normes" est justement là pour ouvrir les portes, et montrer que les parents, les référents mais aussi les médecins, ou les responsables de la santé attendent des moyens pour permettre une évolution de leur cas, dans une optique donc de "normalité" de leur prise en charge, sans qu’il n’existe de barrière l’empêchant pleinement.
En parallèle à la rencontre entre ces autistes (incarnés aussi bien par des comédiens que de véritables personnes atteintes de ce trouble du développement) et le public, Eric Toledano et Olivier Nakach parviennent aussi à insuffler à leur histoire des morceaux de vie quant à ses personnages principaux campés par Cassel et Kateb, extrêmement humains et déterminés par la cause qu’ils défendent et soutiennent corps et âme, face à l’immensité d’un monde pourtant si refermé sur lui-même. Leur portrait personnel s’incruste ainsi à merveille dans cette construction très réaliste de leur quotidien, mêlé aussi bien à d’énormes difficultés rencontrées que de véritables moments de complicité et de comédie, partagés avec leurs patients. L’écriture réussit ainsi aussi bien à nous raconter une histoire fictive à forte chaleur humaine, alors imprégnée d’une touche de réalité sur terrain, laquelle prend littéralement aux tripes.
Une fois de plus, la réalisation d’Eric Toledano et d’Olivier Nakach fait des merveilles, lesquels réussissent à filmer des instants hors du temps pourtant bien inscrits à l’heure actuelle, desquels ils parviennent aussi à extraire toute touche de tendresse ou d’humour, et cela malgré un sous-texte difficile et d’urgence. Et puis, le tout est servi par un montage qui coule de source (Dorian Rigal-Ansous, toujours au rendez-vous) et une bande-son sensationnelle signée Grandbrothers, mélangeant piano et electronica, aussi aérienne que puissante, notamment lors d’une scène finale particulièrement explicite de vie.
Loin d’être pessimiste, "Hors Normes" est une combinaison cinématographique parfaite, et nous permet un regard pertinent sur l’autisme. Aussi drôle qu’émouvant, et surtout d’utilité publique, voilà à film à voir, à montrer, et dont il faut prendre exemple... Bref, gros coup de cœur pour ce film vibrant, et bienveillant à l’égard de tous ses sujets, aussi différents et uniques soient-ils !