Signe(s) particulier(s) :
– présenté en sélection officielle au Festival de Cannes 2019, où le Jury lui a décerné, à l’unanimité, la première Palme d’Or sud-coréenne.
Résumé : Toute la famille de Ki-taek est au chômage, et s’intéresse fortement au train de vie de la richissime famille Park. Un jour, leur fils réussit à se faire recommander pour donner des cours particuliers d’anglais chez les Park. C’est le début d’un engrenage incontrôlable, dont personne ne sortira véritablement indemne...
La critique de Julien
Attendu de pied ferme par des milliers de cinéphiles belges depuis sa présentation en compétition officielle lors du dernier Festival de Cannes, d’où il est reparti avec la prestigieuse Palme d’Or, "Parasite" offre au cinéma sud-coréen le triomphe qu’il méritait depuis bien longtemps, et surtout une ouverture vers les marchés internationaux. Et avec plus d’un million et demi de spectateurs en France, on est prêt à parier que cela ne fait que commencer, même si le chemin est encore long pour que tous ces films trouvent une place dans nos salles... Qu’importe, puisque de "Burning" de Lee Chang-dong, à "The Strangers" de Na Hong-jin, en passant par "Mademoiselle" de Park Can-wook, au "Dernier train pour Busan" de Yeon Sang-ho (et pour ne citer qu’eux ces derniers mois), l’industrie cinématographique sud-coréenne est en plein essor, et profite de sa nouvelle vague de réalisateurs et scénaristes qui, par le biais du film de genre, libèrent le peuple coréen de ses traumatismes d’après-guerre, et de fin de dictature. Mais ils ne le font certainement pas dans une démarche vaine, étant donné que toutes ces œuvres critiquent, d’une manière ou d’une autre, une société en pleine transformation, et en quête d’identité. Et "Parasite", de Bong Joon-ho, est de ceux-là.
Alors qu’on lui doit une superbe filmographie, avec de titres tels que "Memories of Murder" (2003), "The Host" (2006), "Snowpiercer, le Transperceneige" (2013) ou "Okja" (2017), Bong Joon-ho nous dévoile en quelque sorte un film-somme. Revenu au pays dix ans après "Mother", "Parasite", pour lequel il a écrit une lettre à l’attention des journalistes cannois leur demandant de ne rien dévoiler de l’intrigue à l’issue de leur projection, nous présente une famille au chômage, composée de Ki-taek, de sa femme Chung-sook, de leur fils Ki-woo, et de leur fille Ki-jung, elle qui survit en pliant de boîtes à pizza cartonnées, bien que ses membres soient loin d’être dénués de compétences. Mais il n’y a malheureusement pas de place pour tout monde dans le monde du travail... Et en l’occurrence, dès la scène d’ouverture, Bong Joon-ho se révèle très explicite dans sa démarche. En effet, il filme la rue depuis le plafond de l’appartement miteux de la famille, alors situé au niveau de la rue, et effectue ensuite un travelling vertical à l’issue duquel on découvre enfin dans quel calvaire vit cette famille, elle qui tente de pirater le réseau wi-fi des voisins du dessus. Il sera donc bien question d’inégalités sociales. Et dans l’idée, il faut bien avouer qu’on n’était pas préparé à ce qu’on allait voir !
Tout débute lorsque Ki-woo, fils aîné de la famille, reçoit un cadeau de son ami, lequel lui propose, suite à son départ pour l’étranger, de le remplacer en tant que professeur de cours privés d’anglais à une jeune fille issue d’une famille richissime, et dont il est amoureux (il ne fait pas confiance aux autres prétendants). Avec l’aide de sa sœur Ki-jung, douée pour les arts, il s’y présentera alors muni d’un faux diplôme de l’université Yonsei, et obtiendra le poste, séduisant à la fois la fille, et sa mère, Mme Park, une femme au foyer très naïve. . Elle se confiera alors à lui sur son fils Da-song, de plus en plus instable depuis le jour où il a vu un fantôme sortir de la cave de la maison. Le petit gribouille depuis des dessins au travers desquels sa maman est persuadée de voir des chefs-d’œuvres. Ki-woo la persuadera alors de rencontrer une certaine Mme Jessica, une art-thérapeute très recherchée et formée aux États-Unis, mais qui n’est autre, en fait, que sa sœur. En tant que maîtres de la duperie, les membres de la famille de Ki-taek seront amenés à vivre sous le même toit que celle dont elle est l’employée, lesquels profiteront en secret de leurs salaires. Mais c’est sans compter sur un revirement de situation venant contrebalancer leur plan, qu’ils pensaient jusque-là infaillible...
Critique absolue de notre société de capitalisme, où les classes sociales sont bien dessinées, mais les frontières volontairement déguisées, "Parasite" construit son plaidoyer au travers d’une intrigue aux moult rebondissements, plus impitoyables et pertinents que jamais, et parsemée à la fois d’humour et de violence. On ne pourra pas en faire une liste exhaustive, mais Bong Joon-ho réussit à poser un regard vif et fictif contextualisé entre deux mondes différents, forcés ici de cohabiter. Du regard méprisant des gens aisés envers les autres (l’odeur déplaisante de leurs serviteurs), de l’humiliation que doit parfois supporter tout humain au quotidien s’il veut conserver son statut, au long combat social et professionnel à gravir pour tout individu souhaitant atteindre son but dans une société où seuls les plus munis (autrement dit les plus riches) s’en sortiront, ce film affiche des propos et des dialogues qui ne tombent pas dans l’oreille d’un sourd, et qui raisonnent plus haut encore que le spectacle rocambolesque et insoupçonné que le film nous offre. Car une fois la machine et l’engrenage lancé, le cinéaste ne s’arrête plus ! L’intrus n’est donc clairement pas ici celui auquel on pense, mais bien celui créer par une société rongée par l’argent, la cupidité, et les remparts du passé.
En tant que bon artisan du contenu et du contenant, Bong Joon-ho soigne sa mise en scène, pour l’occasion au cordeau et d’une fluidité sanguine, où chaque plan, chaque mouvement de caméra, chaque geste n’est laissé au hasard, et dissimule des indices très fins. De la photographie à la musique (virtuose), le huit-clos que nous vivons révèle alors ses secrets au compte-goutte, tout en réussissant, à chaque fois, à nous surprendre. Et c’est sans aussi là la plus belle réussite de ce film, soit à combiner le divertissement et l’intelligent. On se laisse alors emporter par la puissance de cette œuvre virtuose et, à priori, domestique, mais qui va bien plus loin que les cas de conscience ici transgressés.
Sophistiqué, populaire, mordant, envahissant, pernicieux, épuré... Les adjectifs manquent pour représenter "Parasite". Jusqu’à son final, Bong Joon-ho créé en nous des émotions diverses, et finit même par nous assommer par un épilogue flamboyant, et tellement fort.
Bref, qu’on se le dise : alors que la Corée du Nord essaie de s’exposer par sa force militaire et nucléaire, la Corée du sud, elle, se démarque notamment par la qualité de son septième art, dont la prouesse de ce film, tout aussi médiatisé, mais véhiculant des idées fortes et progressistes, à la fois par le genre et dans une réalité qu’elle ne cherche pas à divulguer.