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Olivier Ducastel et Jacques Martineau
Haut perchés
En première internationale au cinéma Aventure à Bruxelles
Article mis en ligne le 17 septembre 2019

par Charles De Clercq

Synopsis : Une femme et quatre hommes qui se connaissent à peine se retrouvent dans un appartement en plein ciel au-dessus de Paris. Ils ont tous été la victime du même pervers dominateur qui est enfermé dans une pièce. Ce soir-là, ils ont décidé d’en finir. Tour à tour, ils se racontent des souvenirs qui les lient à cet homme et entrent dans la chambre pour se confronter à lui. Mais ce qui s’y passe entre le monstre et eux reste leur secret.

Acteurs : Manika Auxire, Geoffrey Couët, Simon Frenay, François Nambot et Lawrence Valin.

Haut perchés, le dernier film d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau suscite des interprétations multiples de ceux qui l’ont visionné en France où il est sorti le 21 août, de façon assez confidentielle. Il n’y a pas de sortie prévue en Belgique (du moins pour l’instant) et il faut louer ici le cinéma Aventure à Bruxelles de l’avoir programmé avec Genres d’à Côté et Pink Screens Film Festival, le 16 septembre dernier. Trois projections sont prévues les 18, 22 et 24 septembre à 21h40. Il s’agissait donc d’une première vision internationale... avant Londres !

Si le film est très différent du précédent (Théo et Hugo dans le même bateau), il n’empêche qu’il y a des liens avec celui-ci, et pas seulement parce l’on retrouve les deux acteurs principaux Geoffrey Couët et François Nambot ainsi que Simon Frenay qui en était directeur de casting. En tout cas, les liens que nous y voyons. C’est subjectif donc, toute comme nos clés d’interprétation, comme nous le disions aux réalisateurs et à l’acteur Simon Frenay après la projection. Lorsque l’oeuvre est livrée aux spectateurs, les auteurs n’en possèdent plus la maitrise ; ils reconnaissant d’ailleurs que certains ont vu dans leur film des choses qu’ils ne pensaient pas y avoir mises.

Dans Théo et Hugo dans le même bateau, il y était notamment question de l’obscène donné à voir. Obscène, non pas dans un sens moral, mais littéral, à savoir ce qui est sous la scène et ne doit pas être montré. S’agissant là de l’effusion de corps sexués, sexuels, mis à nu dans une backroom et, ici, de l’obscène des fantasmes exprimés, alors que ceux-ci devraient rester secrets (en distinguant ici : vie publique, vie privée et vie secrète). Et dans l’un et l’autre film, les jeux de lumières colorées y construisent une architecture particulière. Il est donc question de montrer ce qui ne doit pas l’être, l’obscène donc et tout comme dans le film Obscène sexualité il est cependant une chose qui ne l’est jamais, une chambre de l’appartement où se déroule l’intrigue durant une nuit. La caméra n’y entrera jamais et n’y suivra donc pas les protagonistes qui y entrent tour à tour. Et c’est à juste titre. C’est que tout comme le dit Andrés Cifuentes à propos, justement d’Obscène sexualité qu’il ne pouvait pas en faire un documentaire, car la caméra n’aurait pu entrer dans une chambre où se retrouvent prostitué et client, car il s’agit-là du plus intime, du plus sacré qu’il aurait été impossible de filmer.

Nous sommes donc dans un huis clos, un appartement (nous supposons qu’il s’agit de celui d’un membre de l’équipe et qui a dû, probablement, en garder la décoration) de nuit, avec vue sur la Tour Eiffel. S’y retrouvent cinq personnes, quatre hommes (gays) et une femme sans que l’on sache comment ils se sont retrouvés chez l’un d’entre eux (énigme donc, comme dans Cube de Vincenzo Natali, qui ne trouvera aucune réponse).

Unité de temps, de lieu, d’action, selon un schéma très théâtral. Et c’est justement au sixième art que Haut perchés nous a fait penser. Ainsi avec La Tour de la Défense de Copi pour la rencontre improbable et déjantée au 13e étage d’une tour, avec un repas et une valise fermée, ou Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce (adaptée au cinéma par Xavier Dolan) où il sera question de Louis qui vient pour dire quelque chose qui ne pourra jamais l’être. Bien plus, il y sera question d’illéité (à savoir parler de quelqu’un en "il") que l’on retrouve ici. En effet, outre les cinq protagonistes, il en est un sixième dont on ne parle qu’en "il", qui ne sera jamais nommé, qui restera une énigme et dont on peut même douter de l’existence.

On pourrait parler ici non pas de "présence réelle" mais d’absence réelle ! A tel point que, très vite, nous avons songé au Chat de Schrödinger dont on ne sait s’il est mort ou vivant, "expérience" qui veut illustrer le concept d’observateur en physique quantique. Tout comme le chat donne un exemple en physique "classique", le contenu de la chambre nous est inconnu et les seuls observateurs qui y entrent ne disent rien : est-ce qu’il y a bien cet homme sans nom dont on parle et si oui quel est son état : mort, vivant, blessé, torturé, enchainé ; pas plus que ce qu’on lui fait, ce que l’on y fait... Il y a ici une boite noire dont les seuls qui pourraient en dévoiler le contenu ne disent rien. Tout au plus celle-ci et celui qui s’y trouve (ou pas) permettent-ils l’expression de fantasmes et donc, comme écrit plus haut, d’une vie secrète ! Non plus donc l’obscène des corps, mais celui des esprits. Et en ce lieu, se pose une autre question. Est-ce qu’il n’y aurait pas une deuxième boîte noire ? A savoir la chambre dont on ne sort jamais (sauf sur la terrasse). S’agissant de fantasme, il pourrait ainsi/aussi s’agir d’une mise en abîme ! Ces cinq-là, qui sont parfois "cinq moins un" ne sont-ils pas, dans ce cas-là le fantasme d’un autre ? De celui qui les rassemble ? Finalement qui est objet ou sujet des fantasmes exprimés durant la nuit (et pour les mystiques, le lieu radical de l’impuissance).

Il serait question d’un pervers narcissique. De l’image qu’il donne ou veut montrer aux autres et de la façon dont il se servirait d’eux. Du mensonge et de la vérité. Qu’est-ce que la vérité d’un humain ? Comment peut-elle s’exprimer ? Et ces cinq-là, ensemble, ne sont-ils pas les facettes d’une boule à lumière qui renvoient des éclatés de celui qui se trouve (ou pas) dans la chambre close ? Ne sont-il pas l’image de ce qu’ils veulent paraître et ne sont pas ? Leur identité ne serait-elle que celle du fantasme qu’il verbalisent ? Ce sont donc quelques clés de lecture d’un film qui donne à penser et à fantasmer, qui parle d’abord à la tête et qui pourra dérouter plus d’un habitué des films d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau. Si l’ossature du film s’inscrit dans un cadre gay, il n’est cependant pas réservé à un public LGBT. Il demandera un effort au spectateur qui au sortir de la salle pourra se demander s’il est dans une pièce fermée et qui y entrera !



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