Signe(s) particulier(s) :
– troisième long métrage du cinéaste S. Craig Zahler après "Bone Tamahawk" (2015) et "Section 99" (2017), et premier à obtenir un distributeur en Belgique ;
– Prix "sang neuf" au Festival international du film policier de Beaune 2019, tandis que le film a été présenté à la 75ème Mostra de Venise le 03 septembre 2018 en sélection officielle hors compétition.
Résumé : Deux officiers de police sont suspendus à la suite de la diffusion d’une vidéo sur les réseaux sociaux dans laquelle leur méthode musclée est montrée au grand jour. Sans argent et sans avenir, les deux policiers aigris s’enfoncent dans les bas-fonds du crime et vont devoir affronter plus déterminés qu’eux…
La critique de Julien
On ne remerciera jamais assez ici le ciel de nous permettre, de temps à autres, de découvrir au cinéma de véritables petites claques cinématographiques, sorties par la petite porte. Distribué par Kinepolis Film Distribution, c’est le cas du troisième film du réalisateur et scénariste (de tous ses films) S. Craig Zahler, révélé il y a quatre ans par le western radical et ultra-violent "Bone Tomahawk" (interdit aux moins de seize ans), Grand Prix à l’époque à Gérardmer, et sorti chez nous directement en vidéo.
Thriller policier néo-noir qui éclabousse la bonne conscience du système judiciaire américain, "Dragged Across Concrete" met en scène Mel Gibson (Brett Ridgeman) et Vince Vaughn (Anthony Lurasetti) dans la peau de policiers travaillant dans la ville fictive de Bulwark. Sauf qu’ils viennent d’être suspendus par leur supérieur, et sans rémunération. En effet, lors de leur dernière descente de saisie chez un suspect, les deux coéquipiers, adeptes de méthodes peu conventionnelles, ont été filmé par un voisin, lequel a rendu la vidéo virale, alors que Ridgeman utilisait son pied pour coincer le visage de l’homme en question. Autant dire que les médias se sont affolés... Blessé par cette décision, après tant d’années de bons et loyaux services, et alors que sa femme (et ex-collègue) est malade, et sa fille est victime au quotidien d’insultes, Ridgeman décidera alors d’utiliser les liens criminels qu’il a tissé au cours de sa carrière, et cela afin de gagner de l’argent le temps que sa suspension soit levée. Ridgeman, brillant guetteur maniant les probabilités, obtiendra une avance sur le futur casse d’un certain Lorentz Vogelman, afin de le voler à son tour. Ridgeman proposera alors à son ami réticent de l’accompagner dans cette aventure hors-la-loi en filature, lui qui a autant besoin d’argent, étant donné qu’il souhaite demander sa compagne au mariage... En parallèle, on découvre le portrait d’Henry Johns (Tory Kittles), fraîchement sorti de prison, et prêt à reprendre du service afin de pouvoir à son tour contribuer aux besoins de sa mère prostituée et toxicomane, ainsi que de son brillant petit frère, en chaise roulante. Avec son ami d’enfance surnommé Biscuit (Michael Jai White), ils seront alors quant à eux employés comme conducteurs lors d’un braquage de banque, orchestré par un dangereux expert en la matière, et assassin...
S. Craig Zahler est un metteur en scène absolument passionné, qui parvient à doser subtilement en émotions son long métrage, de sorte à réussir à nous appâter avec, chaque minute qui passe, et au fur et à mesure des révélations, et des sensations ressenties, parfois extrêmes. Longs dialogues entre collègues occupés à observer leur proie, scènes plus intimes et particulièrement authentiques, véritables prises d’otage très efficaces (etc.), le cinéaste est un parfait artisan qui attise notre désir d’en savoir plus, et de connaître le dénouement. Mais il prend tout d’abord le temps d’installer tous les éléments qui joueront ainsi un rôle déterminant ou non dans cette promenade (plutôt mortelle que de santé).
Jubilatoire donc par son exécution, le film éveille durablement la tension, d’autant plus qu’on s’attache aux personnages... On apprend ainsi à les connaître de chaque côté de l’intrigue, ainsi que leurs enjeux, envers lesquels on est à même de se questionner sur la frontière entre le bien et le mal. Car finalement, ces notions ne sont que des manières de penser, avec lesquelles nous comparons deux choses, qui méritent pourtant qu’on s’y intéresse plus en profondeur, avant de se prononcer. Le cinéaste nous laisse en tout cas le bénéfice du doute, bien qu’il ne pointe pas ici son doigt sur une personnalité, mais bien sur l’Amérique.
Mel Gibson et Vince Vaughn sont bluffants d’intégrité et de blessures humaines, lesquels forment un duo très intéressant, attachant, et avec lequel on partage l’action durant près de trois heures, sans jamais tourner du regard, celui-ci étant de plus en plus obnubilé par la tournure des événements, et leur mise en images. On aurait presque qu’envie de dire qu’ils étaient fait pour jouer ensemble, tandis que Vince a déjà tourné pour Mel dans son film "Tu ne Tueras Point" (2016).
En débutant par un montage en parallèle, puis en nous focalisant sur un long plan séquence immersif et majestueux, le film se révèle imprévisible, tandis qu’on accroche crescendo à son histoire, qui lorgne d’ailleurs du côté du polar 90’s, sombre, violent et sec, de la chorégraphie aux décors, en passant par la photographie. Et on aime particulièrement ce genre de film bien emballé, de prime à bord peu accessible, mais qui s’ouvre petit à petit, pour finir par nous éclater au visage, et nous montrer tout ce qu’il a dans le ventre. Et S. Craig Zahler possède indéniablement l’art de nous faire attendre pour mieux nous surprendre.