Signe(s) particulier(s) :
– Prix d’interprétation masculine pour Antonio Banderas au Festival de Cannes, où Almodóvar a présenté son sixième film en compétition officielle cette année après "Tout sur ma Mère" (1999), "Volver" (2006), "Étreintes Brisées" (2009), "La Piel que Habito" (2011) et "Julieta" (2016) ;
– l’appartement de Salvador Mallo, le personnage d’Antonio Banderas et alter-ego de Pedro Almodóvar, est une reproduction de celui du cinéaste ;
– dernier volet d’une trilogie composée de "La Loi du Désir" (1988) et "La Mauvaise Education" (2004), eux qui ont comme personnage principal un homme réalisateur, et traitent du désir et de la fiction cinématographique.
Résumé : Une série de retrouvailles après plusieurs décennies, certaines en chair et en os, d’autres par le souvenir, dans la vie d’un réalisateur en souffrance. Premières amours, les suivantes, la mère, la mort, des acteurs avec qui il a travaillé, les années 60, les années 80 et le présent. L’impossibilité de séparer création et vie privée. Et le vide, l’insondable vide face à l’incapacité de continuer à tourner.
La critique de Julien
Ne cherchez plus. On a retrouvé Pedro Almodóvar au sommet de son art. A près de septante ans, le cinéaste espagnol nous livre ici une auto-fiction saisissante sur sa vie traumatique d’un artiste de cinéma, en la personne de Salvador Mallo, un réalisateur physiquement mal en point, artistiquement terni, et recroquevillé dans son majestueux appartement, mais sur le point d’être fêté à la Cinémathèque de Madrid pour le trentième anniversaire de son film "Sabor". Sauf que ce film, il l’a rejeté et mal aimé suite à l’interprétation de son acteur principal, Alberto Crespo, avec lequel il va pourtant reprendre contact, afin de l’accompagner à l’événement, et ainsi faire la paix. Mais ce qu’il ne sait pas encore, c’est que ce choix va démêler pas mal de nœuds dans sa vie, passée et actuelle...
Dès les premières images du générique, "Douleur et Gloire" ne trahit en rien le cinéma d’Almodóvar. On y reconnaît ainsi ses couleurs rougeâtres éclatantes, sa caméra épurée et minimaliste, ses dialogues mesurés, un son qui capte instantanément les mots avec résonance, ainsi que des acteurs habités, en fusion certaine avec la direction d’acteurs inspirante qu’offre le cinéaste, d’ailleurs toujours aussi bien entouré ici de ses comédiens fétiches, dont Antonia Banderas, Penéloppe Cruz, ou encore Julieta Serrano, elle qui incarne ici pour la sixième fois un double de sa propre mère. Dans ses thèmes, récurrents, "Douleur et gloire" touche à ce dont parle le mieux Almodóvar, tels que la relation maternelle, les métiers du spectacle, l’identité sexuelle, ainsi et surtout que de la mise en abyme.
Si le film traite de l’alter-ego du cinéaste, il ne le fait pas selon un cahier des charges véridique, étant donné une part scénaristique à la fois autobiographique et fictive. Disons que l’ensemble de l’histoire baigne dans une vérité artistique et émotionnelle, laquelle transmet une authenticité foudroyante. Quoi qu’il en soit, le cinéaste se livre, d’une manière ou d’une autre, sans en oublier son amour inconditionnel pour le cinéma, et ce qu’il représente à ses yeux. Au travers du travail intérieur de son personnage principal, Almodóvar parvient également à déjouer nos attentes pour nous livrer alors ce phénomène de "film dans un film", inspiré par son "premier désir" sexuel. Car oui, il n’a jamais caché son homosexualité, lui qui traite souvent du sujet, et de manière toujours positive au sein de ses films. Ainsi, ce mécanisme mis en place à la façon de flash-back, possède une double interprétation dans l’histoire de Salvador Mallo, mais on n’en dira pas plus. Réalisé avec une classe tellement absolue, et une mise en scène parfaitement fluide, ce processus cinématographique transpire la maturité de son créateur envers son art.
Récompensé du Prix d’interprétation masculine au dernier Festival de Cannes, Antonio Banderas est confondant de mimétisme avec son modèle et mentor, lequel l’a révélé en 1982 dans son film "Le Labyrinthe des Passions". Le regard, fixé, l’esprit tiraillé, la démarche artistique enfuie mais jamais éteinte, Banderas est particulièrement grandiose dans la peau de celui qui le dirige. De sa coiffure à ses mimiques, en passant par ses costumes et sa posture, l’acteur est tout simplement fascinant. Penéloppe Cruz touche également, mais dans un rôle maternel plutôt sobre, ce qui fait également un bien fou. Mais c’est sans doute le duo formé par Antonio Banderas et Leonardo Sbaraglia (interprétant Federico Delgado, dont on ne révélera en rien le lien avec le premier) qui retient ici notre attention, lors d’un moment en suspens dans le temps, qui va d’ailleurs amorcer pas mal de choses pour Salvador...
Si on reconnaît dans "Douleur et Gloire" certains parallèles avec la vie de l’artiste, tel que son passage douloureux chez les Pères Salésiens, il se dégage du film une sorte testament personnel et cinématographique de la part du cinéaste, tant il aborde ici sa vie et celle de son personnage avec une sérénité apaisante, et une luminosité flamboyante. Pedro Almodóvar atteint ici un tel niveau de maîtrise de son œuvre qu’elle déborde de sa personnalité et de ses obsessions, à la fois infiniment intimes et universelles.