Synopsis : Guatemala, Pablo, 40 ans, est un "homme comme il faut", religieux pratiquant, marié, père de deux enfants merveilleux. Quand Il tombe amoureux de Francisco, sa famille et son Église décident de l’aider à se "soigner". Dieu aime peut-être les pécheurs, mais il déteste le péché.
Acteurs : Juan Pablo Olyslager, Diane Bathen, Mauricio Armas Zebadúa, Maria Telon, Sabrina de La Hoz
Temblores est le deuxième long métrage de Jayro Bustamante qui avait réalisé Ixcanul en 2015. Il y était question de frontières, de langues, de cultures, de religions, d’irrationnel, des USA, du Mexique et, bien sûr du Guatemala ou se situe le volcan qui donnait son nom au film. Si Ixcanul pouvait susciter un certain ennui ou une monotonie malgré de beaux plans-séquences tout en s’ouvrant et se clôturant par un mariage, il en sera autrement dans Temblores. Certes, il y sera question de mariage et de religion et, d’une certaine façon de frontières religieuses qui définissent l’humain ou, plutôt, l’homme (entendu comme masculin, car on n’osera pas ici écrire "mâle"). Le film est très sombre et permet de découvrir que les questions relatives à la sexualité et à l’identité sexuelle ne sont pas que posées dans le catholicisme.
Le film pose "la question homosexuelle" au sein d’une culture où le christianisme, essentiellement évangélique, utilise les codes du "péché" pour rejeter ce qui lui paraît indicible. Cette question là est présente dans le catholicisme et Frédéric Martel en a traité d’abondance dans le récent ouvrage SODOMA. Celui-ci dévoile l’homosexualité cachée de nombreux clercs, mais aussi une autre question, celle du double langage, psychorigide, qui condamne à l’extérieur ce qui est vécu par certains, nombreux, à l’intérieur (tant de l’institution que de leur personne). Ici, une digression qui n’en est finalement pas vraiment une, à savoir comment Pablo pourra réagir face l’hypocrisie [1] alors même que son insertion dans une culture machiste (en l’occurrence, guatémaltèque pour Pablo dans la fiction ou argentine pour le pape) ne le prédispose pas à un accueil favorable de l’autre dans une différence radicale !
Il ne s’agit donc pas vraiment d’une digression par rapport à Temblores (un film qui sera ponctué de deux séismes - la symbolique est ici un peu trop lourde !). En effet, même s’il s’agit ici de la culture guatémaltèque, les impensés empêchent d’appréhender ou d’accepter une sexualité perçue comme "hors norme" car non reproductive. C’est cela même qui est au coeur du film de Jayro Bustamante qui y montre que la surcouche religieuse n’arrange rien, bien au contraire. Le réalisateur apportera ici au coeur du débat ce que l’on appelle les thérapies de conversion censées ramener les homosexuels dans le droit chemin de l’hétérosexualité. Ceux-ci sont donc sommés de se conformer au genre qui leur est assigné par Dieu et de ne pas déranger (dé-genrer !) cet ordre divin (NB : il y a quelques mois, le film Boy Erased, tiré d’une histoire vraie, traitait déjà de ces thérapies).
Pour réordonner "cela" à la "nature", la cellule familiale s’associera à un pasteur (ou plutôt son épouse) pour restaurer la virilité de celui qui l’a perdue (selon eux) et qui plus est refuse de nier (ce qui aurait arrangé tout le monde plutôt que de jeter le déshonneur). Une famille qui confondra (une fois encore hélas) homosexualité et pédophilie et qui priera pour ramener le pécheur dans le droit chemin, à force d’incantations dignes d’un exorcisme. Car, en l’absence de mots pour rendre compte de cette expérience-là, il ne reste plus que ceux du mal, du malin, de Satan (en sommes, les mêmes que ceux utilisés par le pape François après le synode consacré à la pédophilie de certains clercs) pour rejeter celui qui apparait comme pervers, mais aussi qui permettront de le réintégrer s’il peut guérir de cette maladie provoquée par Satan qui attend "ces gens-là" aux portes de l’enfer.
Au centre, bien sûr, Pablo, un homme, père de famille, respecté, aimant ses enfants, tiraillé entre ceux-ci, sa famille et celui qu’il aime, Francisco qui lui vit librement sa sexualité. Ils ne sont pas du même milieu. Pablo n’a que sa famille - bourgeoise - et son amant, qui lui, vit son homosexualité de façon décomplexée. Le parcours de Pablo sera douloureux et il faut laisser la surprise au spectateur de la fin de l’intrigue. Il lui sera donné de prendre connaissance des nombreux fantasmes d’un monde hétéronormé par rapport à l’homosexualité (ainsi des conseils donnés à l’épouse par rapport à la fellation), parfois avec beaucoup d’humour (lorsque la mère de Pablo se fait masser par l’amant de son fils et qu’ils échangent autour de la part féminine à trouver). L’on sourira (jaune) en découvrant les méthodes, parfois très physiques, parfois médicales utilisées pour mener à la guérison. Et si celle-ci arrive à terme, s’accomplit, si le Malin est chassé, quelle identité restera-t-il à l’homme blessé si celui-ci est assigné à résidence dans une norme qui n’a pas de place pour l’autre. La conclusion du film sera amère, bien sûr. Les choses seront claires pour certains, l’ordre rétabli alors qu’elles auraient pu être bien plus fluides (nous songeons ici au concept de fluidité abordé par la documentariste canadienne Patricia Chica dans son remarquable court-métrage - de fiction - Morning After).