Signe(s) particulier(s) :
– inspiré de l’affaire Suzanne Viguier, dont la disparition le 27 février 2000 a conduit la police à mettre en cause son mari, Jacques Viguier, suite aux déclarations de l’amant de Suzanne Viguier, lui qui fut acquitté lors d’un premier procès en avril 2009, ce qui a été confirmé en appel en mars 2010 ;
– l’affaire Suzanne Viguier avait déjà fait l’objet d’un téléfilm intitulé "La Disparition", diffusé en 2012 sur France 2, et emmené par Thierry Godard et Géraldine Pailhas ;
– le célèbre avocat de France Eric Dupond-Moretti, réputé pour le nombre d’acquittements qu’il a obtenu, est ici interprété par Olivier Gourmet, bien qu’il ait déjà participé à des films, tels que "Les Salauds" (2013) de Claire Denis (dans lequel il jouait son propre rôle), "Chacun sa Vie" (2017) de Claude Lelouch, ou encore dans "Neuilly Sa Mère, sa Mère !" (2018) de Gabriel Julien-Laferrière ;
– les noms des principaux personnages du film restent inchangés par rapport à ceux des véritables protagonistes du procès de cette affaire, excepté pour le personnage de Marina Foïs, Nora, entièrement inventé, mais inspiré de la compagne de Jacques Viguier après la disparition de son épouse ;
– le réalisateur et scénariste Antoine Raimbault, qui réalise ici son premier long métrage, a longuement échangé avec l’accusé, et construit un rapport de confiance avec lui et sa famille afin de mettre en image cette histoire.
Résumé : Depuis que Nora a assisté au procès de Jacques Viguier, accusé du meurtre de sa femme, elle est persuadée de son innocence. Craignant une erreur judiciaire, elle convainc un ténor du barreau de le défendre pour son second procès, en appel. Ensemble, ils vont mener un combat acharné contre l’injustice. Mais alors que l’étau se resserre autour de celui que tous accusent, la quête de vérité de Nora vire à l’obsession.
La critique de Julien
D’après le ministère de l’Intérieur français, chaque année, en France, près de 40000 personnes disparaissent, et près d’un quart de ces cas restent non-élucidés... Adapté de l’affaire Suzanne Viguier, dont la disparition remonte à février 2000, "Une Intime Conviction" reconstitue les décors d’une cour d’assises pour nous livrer, en condition quasi-documentaire, le procès en appel d’un homme accusé, à tort, du meurtre de sa femme, mais sans aucune preuve de sa culpabilité. Minutieux et documenté, ce premier film d’Antoine Raimbault nous immerge au cœur d’un scandale juridique, qui se joue, avec humanisme et remise en question, des incohérences de la justice française.
Même s’il n’existe pas dans la réalité, le personnage campé par Marina Foïs apporte un point de vue extérieur sur cette histoire. En effet, Nora a l’intime conviction (d’où le titre du film) de l’innocence de ce père de famille, elle qui est persuadée qu’il n’est pas responsable de la disparition de son épouse. Pourtant, elle est bien l’une des seules à croire en lui (en dehors de sa famille). Il faut bien dire que dans le film, Jacques Viguier est fébrile, craintif, et ne dit rien pour se défendre, comme s’il ne souhaitait pas s’exprimer sur une vérité... Grande connaisseuse de son dossier (l’accusé n’est autre que le père de la professeur de cours particuliers en mathématique du fils de Nora), c’est elle qui fera alors appel au célèbre avocat Eric Dupond-Moretti pour défendre cet homme, lequel avait défendu lors du premier procès l’amant de la femme Jacques, lui qui porte des accusations assez violentes à l’égard de ce dernier. L’avocat acceptera, avec l’aide précieuse de Nora en coulisse, de défendre cet homme, tant et si bien qu’à la lecture du dossier du client, Dupond-Moretti comprendra que quelque chose n’est pas cohérent dans cette affaire, même si cela remonte jusqu’à la justice en elle-même...
Marina Foïs et Olivier Gourmet sont tout simplement grandioses dans leur rôle. L’actrice incarne cette mère de famille qui va se donner tous les moyens pour aider cet avocat à démêler le fondé du faux, et notamment à analyser de longues heures d’écoutes téléphoniques passées par l’amant de la disparue (sur lequel leurs soupçons subsistent), et dont ils disposent. Rôle engagé, et qui se donne vaille que vaille dans cette quête de la vérité, quitte à mettre de côté sa vie de famille et professionnelle, on est captivé du début à la fin par cette femme, d’autant plus qu’on se passionne pour cette affaire, et ce jeu de celui qui plaidera au mieux devant les yeux et oreilles du juge et des jurés afin de défendre (ou non) l’accusé. D’ailleurs, dans cet exercice, Olivier Gourmet porte la toge avec une prestance démesurée, laquelle lui va à ravir. C’est que l’acteur belge a suivi Eric Dupond-Moretti dans ses fonctions, en audience, l’a beaucoup écouté, observé, tout en l’interprétant à sa manière, avec cette voix, ce regard et cette humanité qui le caractérisent. Son discours, son phrasé, sa démonstration sont extrêmement convaincants, lequel nous offre un rôle complexe et loyal, profondément ancré dans ce qu’il sait faire, tout en le faisant bien, et en se refusant de se bâtir sur des preuves contestables. Pourtant, il devra faire face ici au cheminement parfois impromptu de Nora, laquelle découvrira des contradictions, et zones de silence dans les propos vocaux enregistrés d’Olivier Durandet, l’amant en question, qui selon eux pourrait bien être le responsable de la disparition de Suzanne Viguier. Dans la peau de l’accusé, on retrouve l’acteur Laurent Lucas. Alors même si les apparences sont trompeuses, son personnage n’a pas une tête d’innocent, ni une démarche réconfortante. Cependant, son écriture permet à faire ressortir toute la dignité de cet homme, injustement pointé du doigt comme l’assassin de sa femme, dix ans auparavant. Affaire très médiatisée à l’époque, ce retour à la cour d’assise sonnera alors comme le glas, pour lui et ses trois enfants, faisant d’eux une famille en sursis...
Le film se base ainsi sur des éléments réels de l’affaire Viguier, tels que des noms, des écoutes, des échanges à l’audience, ou encore les dessins des enfants, pour alors servir au mieux l’intention du réalisateur, soit mettre en images cette affaire, infusée dans son réel, sans rien n’avancer dont il n’a la preuve, alors racontée d’après le doute légitime d’un personnage fictif, obsédé dans sa quête de vérité, et dans la présomption d’innocence de cet individu. Si l’on parle beaucoup dans ce film, force est de constater que l’on ne loupe aucune information, tant Antoine Raimbault rend le récit intriguant, riche de rebondissements, et d’humanité. Et puis, il parvient à contrecarrer nos jugements non pas sur l’un des deux individus pointés du doigt, mais davantage sur l’institution juridique, et ses (nombreuses) aberrations.
Thriller judiciaire haletant et pertinent, "Un Intime Conviction" ne prétend pas offrir de réponses sur cette enquête, mais il lui rend justice, en mettant en lumière, et de façon implacable, les (dys)fonctionnements de la justice française, au cours d’une procédure inquisitoire nerveuse et magistralement interprétée.
Lien vers la critique de Cinécure
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