Synopsis : Alain est un homme d’affaires respecté et un orateur brillant. Il court après le temps. Dans sa vie, il n’y a aucune place pour les loisirs ou la famille. Un jour, il est victime d’un accident cérébral qui le stoppe dans sa course et entraîne chez lui de profonds troubles de la parole et de la mémoire. Sa rééducation est prise en charge par Jeanne, une jeune orthophoniste. À force de travail et de patience, Jeanne et Alain vont apprendre à se connaître et chacun, à sa manière, va enfin tenter de se reconstruire et prendre le temps de vivre.
Acteurs : Fabrice Luchini, Leila Bekhti, Rebecca Marder, Igor Gotesman, Fatima Adoum.
Lors des visions presse, il se trouve régulièrement l’un·e ou l’autre intrus·e, aîné·e qui n’a plus d’activité critique et/ou éditoriale et qui fréquente les salles par désœuvrement ou d’autres raisons fort éloignées d’un travail journalistique. Peu importe, mais il se fait que l’une d’entre elles, au sortir de la vision d’Un homme blessé s’est exclamée d’émerveillement par rapport à l’un des plus beaux films qu’elle avait vu. Sans être négatif et parce que cet enthousiasme n’était pas partagé, nous nous sommes dit que ladite personne devait être concernée par le thème du film, à savoir - ce n’est pas un spoiler, c’est dans le synopsis et se révèle dès les premières images - un accident vasculaire cérébral (AVC).
Un préalable : contrairement à ce que le titre et les premières scènes pourraient laisser penser, il ne s’agit pas d’un remake du film de fiction réalisé en 1977 par Édouard Molinaro avec Alain Delon et Mireille Darc dans les rôles principaux. Ce film adaptait un roman de Paul Morand publié en 1941. Si Hervé Mimran adapte lui aussi un livre, J’étais un homme pressé de Christian Streiff, publié en 2014, il ne s’agit pas ici d’une fiction. Nous ne pensons pas que la classification en "comédie dramatique" soit ce qui convient le mieux pour décrire le film. Celui-ci est plutôt un biopic librement romancé (même si certain propose "comédie mélancolique") !
Il s’agit donc de l’adaptation à l’écran d’un épisode à la fois noir et lumineux de la vie d’un ancien PDG de Peugeot-Citroen qui (nous) donne déjà l’envie de relire le livre (qui, pour l’occasion, sera réédité en fin octobre !). Cependant nous ne sommes pas revenu au livre et ne voulons pas faire le jeu des comparaisons avant d’écrire cette critique. Nous gardons cependant le souvenir d’une écriture dont le fil conducteur était l’AVC et la façon dont celui qui en fut atteint à pu s’en sortir, dans une sorte de rédemption, grâce à la randonnée et la communion avec la nature (ainsi l’épisode avec le faon dans la rivière est "véridique"). Bien sûr, cela est repris dans le film et en fait toute l’ossature à un point tel que si l’on ignore qu’il s’agit d’une histoire "vraie" l’on pourra(it) se dire que "c’est du cinéma !".
Et de fait, le réalisateur utilise la grammaire et le langage du cinéma pour mettre en scène un homme de parole (on pourrait jouer ici sur le mot, mais prenons-le au sens premier, notamment quand il veut présider un jury d’éloquence à Science Po, au grand dam de sa fille) qui perd celle-ci. Plus exactement si les mots se forment bien dans sa tête lorsqu’il a repris conscience, ceux-ci de disent dans une forme incompréhensible où les syllabes s’inversent, se bousculent, se modifient. A tel point que la seule façon de s’en sortir pour faire sortir les mots qui se bousculent dans sa tête est de se faire aider par Jeanne, une orthophoniste (Leila Bekhti). Toutefois, si dans le roman, celle-ci (Il y a même deux orthophonistes !) apporte son aide essentiellement pour un travail sur la mémoire et l’association avec les mots (jusque ceux de la vie quotidienne) Hervé Mimran va accentuer ce qui ne que quelques jours et quelques pages dans le livre, à savoir les troubles de la parole : mots incompréhensibles, inversion de syllabes, etc. jusqu’à en faire des jeux de langage, des jeux de mots au risque (pas vraiment évité) d’en faire trop pour en faire une simple performance d’acteur, et d’un acteur en particulier !
Et s’il est bien un acteur qui peut jouer avec les mots, les faire se bousculer, s’entrechoquer sans se jouer de la tête de ses interlocuteurs, c’est bien Fabrice Luchini ! Hélas faudra(it)-il écrire ici. Car si c’était lui qu’il fallait, si le rôle est quasiment écrit pour lui et correspond si bien à ses gênes d’acteur... il y a un effet secondaire, quasiment pervers, qui entraîne une gène pour le spectateur ! C’est que le personnage d’Alain est "surchargé" par Luchini. L’on voit Luchini, l’on entend Luchini, l’on attend Luchini au tournant, pour faire du "Luchini", probablement à son corps défendant ; à tel point que l’essentiel, à savoir l’AVC et le pèlerinage rédempteur vers Compostelle s’en trouvent comme effacés, altérés. S’ajoute à cela une surcharge dans cette intrigue, à savoir la quête par Jeanne de sa mère qui l’a abandonnée à sa naissance, et, pour en ajouter une couche, une tentative d’idylle amoureuse par Vincent, un infirmier (Igor Gotesman) qui joue sur le cocasse d’un couple improbable par les tempéraments et physiques fort différents.
Il nous semble que le film aurait gagné à garder son axe fort, la chute d’un homme puissant réduit à l’impuissance du langage, à l’éjection de sa société et au retour à la vie ou une autre vie où il pourra (re)trouver sa fille, son chien et une communion avec la nature. Quoiqu’il en soit de cette réserve relative, le film gagne à être vu et tout particulièrement par ceux qui apprécient Luchini !
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