Synopsis : Lucky est un vieux cow-boy solitaire. Il fume, fait des mots croisés et déambule dans une petite ville perdue au milieu du désert. Il passe ses journées à refaire le monde avec les habitants du coin. Il se rebelle contre tout et surtout contre le temps qui passe. Ses 90 ans passés l’entrainent dans une véritable quête spirituelle et poétique.
Acteurs : Harry Dean Stanton, David Lynch, Ron Livingston, Ed Begley Jr., Tom Skerritt, Beth Grant, James Darren.
Pour son premier long-métrage, John Carroll Lynch (qui n’a aucun lien de parenté avec David qui est un des acteurs de Lucky) filme une fin de vie, une sortie de ce monde.
Fin de vie, littéralement, celle de Harry Dean Stanton, décédé le 15 septembre 2017 et dont c’est ici le dernier film (même si nous verrons encore l’acteur cette année dans le rôle du Sheriff Lloyd (Frank and Ava, en postproduction au moment où nous écrivons ces lignes). Littéralement aussi parce qu’il s’agit de la vie de l’acteur lui-même. Si le film n’est pas à proprement parler une autobiographie, Lucky, c’est Harry Dean Stanton, au seuil de la vie, ou de la mort (mais n’est-ce pas la même chose, puisque la vie est une maladie mortelle incurable !) !
Le film se déploie entre deux plans, ceux du départ et du retour d’une tortue, dont on apprendra qu’elle se nomme President Roosevelt, qu’elle pourrait vivre plus de cent ans et que son propriétaire, lui aussi au seuil ou au terme de son existence, voudrait lui léguer ses biens ou du moins, faire en sorte que ceux-ci servent au bien-être de celle-là ! Et cette tortue nous donne probablement une indication sur le tempo du film qui est parfois contemplatif et n’est somme toute qu’une succession de scènes de la vie quotidienne. Non pas scènes de la vie conjugales puisque Lucky (qui a fait la guerre comme cuisinier dans la marine - comme Harry Dean Stanton - et doit probablement son surnom à cette "chance" de n’avoir pas dû combattre) n’a pas d’épouse et pas d’enfant. Sa vie est réglée entre la nuit et le jour, le réveil avec de la gymnastique pour entretenir son corps décharné (et il faut relever ici le courage de l’acteur qui ose montrer à l’écran le corps d’un très vieil homme, le sien), consommer un verre de lait (et les briques de lait sont la seule nourriture dans son frigo), la cigarette ou plutôt les cigarettes puisqu’il fume à tel point que son médecin se demande si ce n’est pas cela qui la laissé en vie si longtemps et qu’arrêter lui serait fatal. Le temps qui passe, c’est aussi celui des rencontres dans un bar avec de vieux habitués.
Jour après jour le temps du film déploie le temps qui reste à vivre à Lucky. C’est un homme qui ne veut pas entrer dans le cadre des lois et des interdits, qui s’en prendra à l’avocat qui flaire la bonne affaire avec le propriétaire de President Roosevelt qu’il se verrait bien arnaquer en douce. Et justement le propriétaire l’est-il vraiment ? Possède-t-on un animal, fut-il ici une tortue ? Tout cela semblera bien monotone, inutile et vain au spectateur avide de sensation et d’histoire forte. En réalité, la seule force qu’il recevra sera celle de Lucky qui se dresse face à ce monde pour en défier les règles (serait-ce celles de courtoisie et de santé qui interdisent de fumer dans des lieux publics) mais aussi pour défier la vie et la mort (n’est-ce pas... au final... la même chose ?).
Lorsque l’homme est là, face à la mort qui vient, inexorablement, cet homme-là, Vétéran de guerre, laisse deviner l’angoisse à défaut de la peur. Il pourra alors chanter (et nous avons pensé alors à Zorba le Grec. Dans ce film, lorsque l’œuvre est détruite et sans avenir, le poème se dresse sur l’échec : Zorba chante et danse). Il n’est pas vaincu par son échec. Lucky chante ici, en espagnol (il a un excellent accent dit-il même s’il ne comprend pas tout) Volver volver de Fernando Maldonado, a capella. Un pur moment d’émotion qui permettra au spectateur d’être en communion avec ce cowboy solitaire qui s’en va vers sa mort.
Ajoutons des acteurs âgés, tous impeccables et au service de l’intrigue (qui n’en est pas une, puisque nous "savons" la fin, même si celle-ci laisse Lucky vivant !) et, notamment David Lynch en défenseur de la cause des tortues (mais pas que).
Lucky, c’est la peinture de certains oubliés de l’Amérique (mais bien différents de ceux de The Florida Project), de Donal Trump et du cinéma. C’est aussi l’histoire des plus que seniors, rarement portés sur la Toile (sauf peut-être dans des films du genre The Expandables). Une histoire ? Ou plutôt le quotidien d’un homme sans histoire, dont le passé se dissout dans la reconduction d’un éternel présent à répéter face aux portes de la mort ! Magistral pour qui acceptera de se laisser bercer par l’incroyable poésie d’un premier film qui est une admirable réussite, film tourné en une quinzaine de jours environ, tout près du lieu de vie de Harry Dean Stanton (à part les plans de la tortue) pour tenir compte de la fragilité inhérente à son âge et sa santé.
EXIT et chapeau bas, Mister Harry Dean Stanton !
Bande-annonce :