Synopsis : Dans le Londres glamour des années 50, le célèbre couturier Reynolds Woodcock et sa sœur Cyril sont au cœur de la mode britannique, habillant la famille royale, les stars de cinéma, les héritières, les mondains et les dames dans le style reconnaissable de la Maison Woodcock. Les femmes défilent dans la vie de Woodcock, apportant à ce célibataire endurci inspiration et compagnie, jusqu’au jour où il rencontre Alma, une jeune femme au caractère fort qui deviendra rapidement sa muse et son amante. Lui qui contrôlait et planifiait sa vie au millimètre près, le voici bouleversé par l’amour.
Acteurs : Vicky Krieps, Daniel Day-Lewis, Lesley Manville
Il y aura bientôt trois ans que les salles belges projetaient le film précédent de Paul Thomas Anderson, un réalisateur que nous apprécions (généralement !).Inherent Vice nous avait en effet déconcerté, plus encore que The Master ! A un point tel que nous recommandions le film sans pouvoir autant lui donner une cote, une appréciation chiffrée ou en étoiles ! Ici, nous découvrons un film remarquable avec un interprète impérial en la personne de Daniel Day-Lewis dans le rôle d’un grand couturier, Reynolds Woodcock. Selon le dossier presse, ce patronyme a été suggéré par Daniel Day-Lewis à Paul Thomas Anderson sous forme de ’joke’. Ce nom aurait tellement amusé le réalisateur qu’il a décidé de l’utiliser pour son film consacré à un couturier inspiré de l’Espagnol Cristóbal Balenciaga (1895-1972).
Si Daniel Day-Lewis sait donner vie à un grand couturier et de façon remarquable (et avec son véritable accent britannique), c’est surtout grâce à une grande préparation en amont : "Comme à son habitude, Daniel Day-Lewis s’est complètement investi dans son rôle, regardant notamment de nombreuses archives de défilés de mode des années 40 et 50, étudiant également les plus grands couturiers, effectuant un conséquent travail de recherches au Victoria and Albert Museum de Londres. Il a aussi appris comment confectionner des vêtements sous la houlette de Marc Happel, directeur du département costumes du New York City Ballet. Il a poussé la préparation jusqu’à créer lui-même une robe pour sa femme, Rebecca Miller (source : Allociné)". Il est aidé par des comédiens professionnels même si quelques personnes issues du monde de la couture jouent quelques rôles. Toutefois, si le monde de la mode est important, il est ici second (pas secondaire) car l’essentiel tourne autour des relations d’un homme à femmes... sans femme. Nous jouons ici sur les mots...
Reynolds Woodcock n’est pas marié, mais il est entouré, voire hanté par deux femmes, sa soeur tout d’abord, bien vivante autour de lui, passionnante et passionnée, et sa mère ensuite, qui l’obsède, du moins son souvenir puisqu’elle est décédée. Il vit de et surtout pour son travail, jusqu’à l’obsession. Il crée pour les grands ce ce monde, joue dans la cour des grands, les fréquente et personnalise chacune de ses créations qui n’a de valeur pour lui que pour autant que celles qui les portent le fassent dans le respect de l’oeuvre créée. Le couturier est obsédé par le sous-texte que peut cacher un vêtement, via une doublure notamment, chacune de ses robes peut celer un secret, voire le sceller, un fil caché (Phantom Thread), une écriture secrète, connue seulement du couturier !
L’important est donc la femme, ou plutôt une femme, fruit d’une rencontre due au hasard et qui viendra bouleverser l’existence du Créateur. C’est que celle-ci sans être l’épouse, sera installée dans la maison du Maître, au grand dam de la soeur, mais aussi de Reynolds pour qui le silence, la quiétude, le respect des habitudes et de certaines règles sont essentiels et vitaux. Or Alma (Vicky Krieps que l’on avait déjà appréciée dans Le jeune Karl Marx) est tout à l’opposé de son compagnon et ne peut se couler dans le moule qui lui est proposé par défaut. Par défaut puisqu’il n’y a même pas de moule, la place qu’elle tient ou voudrait tenir n’est pas prévue et Alma en vient à être imprévisible, incontrôlable et agaçante pour Reynolds... jusqu’à ce que, comme une robe que l’on remet sur le métier, Alma devienne, du moins en apparence, celle qui est condamnée à n’être là que comme une pièce rapportée. Jusqu’à ce qu’ils finissent par se marier et où elle acquiert tous les droits d’occupation de l’auguste demeure.
Toutefois si tout cela permet de tisser un personnage dans un cadre fabuleux, dans un univers britannique que l’on n’attendait pas pour ce réalisateur américain, si le tout est tiré au cordeau, l’intrigue fini par sortir de son cadre pour s’approcher de celle de The Duke of Burgundy, colorée par une autre, celle de Lady Macbeth (The Young Lady). C’est qu’Alma va prendre peu à peu son autonomie et instaurer un autre type de relation avec son époux. Relation quasiment sadomasochiste, d’amour-haine (c’est là que nous songeons au film réalisé par Peter Strickland en 2014 qui envisageait une relation servante/maîtresse avec une inversion des rôles), mais aussi la construction d’une identité féminine au préjudice du pouvoir masculin (voir la jeune lady de William Oldroyd, en 2017). Dans cette dernière partie Phantom Thread où les champignons auront (presque) autant d’importance que dans The Beguiled (Les proies), les échanges entre mari et femme, tout en domination/soumission, en connaissance cachée de ce qui se cache et se trame feront découvrir au spectateur un déplacement magistral de l’intrigue qui tournera au thriller psychologique sans cependant s’y enfermer. Le réalisateur tisse ainsi une autre toile, celle qui prendra le couturier au piège d’une relation consentie de dépendance.
Bande-annonce :