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CINECURE
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Il y a six ans : The Tree of Life ! (I)
Article mis en ligne le 20 avril 2017

par Charles De Clercq

Le mardi 17 mai 2011, j’assistais à une avant-première de L’arbre de vie de Terrence Malick. C’était mon premier Malick (et oui, j’assume !). Dès le lendemain, voici ce que j’écrivais à chaud. Je ressors ces notes parce que j’ai vu son tout dernier film et que celui-ci m’a déçu. A l’époque, je suis passé de la condamnation/questionnement à la glorification. C’est dire que je suis pas "contre" ou "pour" Malick mais que j’aime ou j’aimais son cinéma et que c’est nécessaire pour comprendre ou du moins entendre ma déception.

Hier donc (17/5/11), une avant-première. On n’entre dans la salle que lorsque les gardiens du Temple vous y autorisent, vous laissant largement le temps d’acheter les boissons, pop-corn et autres aliments (qui paraissent parfois être la marchandise principale de salles de cinéma où finalement la projection du film ne serait que le support pour vous faire consommer de la mal-bouffe). Voici donc cette lecture, naïve d’alors, antécédente à toute information sur le cinéma de ce réalisateur.

La séance est prévue à 19h00, sans publicité préalable. La projection tarde. La salle est assez remplie mais pas pleinement. Des gens arrivent encore. La consommation de chips, de pop-corn commence : bruits de paquets, de mâchoires, de manducation m’exaspèrent déjà et je crains pour la vision du film.

19h20. Noir. Lumière. faux départ. 19h25, c’est parti. Comme toujours, les bruits et chuchotements persistent... Mais, miracle, après quelques secondes, plus un bruit, plus de pop-corn, de paquets froissés : silence, hormis la bande-son du film !

Que dire bien du film sans ’spoiler’ pour en rendre compte sinon faire écho à des impressions, du ressenti, des questions, des fureurs ?

Il était dit que c’était comme 2001. Probablement, peut-être, du moins en partie pour certaines images même si je songeais plus à celle du télescope Hubble. Hormis ces images, j’ai surtout songé - un peu - à Tarkovski et beaucoup aux deux films d’Andreï Zviaguintsev, Le bannissement ( Izgnanie, 2008) et Le retour (Vozvrashcheniye, 2003). Certain s’étonneront de ce rapprochement ; je m’explique. Le traitement des paysages, le rapport à la nature (entendu ici, trivialement, comme l’eau, les plantes, les arbres ; en effet, le concept de nature apparaît dès l’entame du film et j’y reviendrai), le jeu et le rôle des enfants, mais aussi de l’homme et de la femme dans le couple ainsi que les relations enfants/parents - parents/enfants ; le non-dit, les énigmes laissées sans réponses... tout cela m’a amené à la mémoire les films d’Andreï Zviaguintsev. s’ajoute aussi à cela la bande son, l’utilisation de la musique, tant en accompagnement que dans la trame du film lui-même (le père et deux, au moins, des enfants).

Qu’ai-je vu ? Des images sublimes, spendides, un éclairage et une lumière extraordinaires au service d’un poème élégiaque qui convoque tour à tour le quotidien et le cosmos pour transmettre un cri fondamental : "pourquoi" lorsqu’une mort inattendue frappe à l’heure qui ne convient pas. Il ne s’agit pas ici de convoquer au récit le tiers assassin malgré lui comme dans Rabbit Hole de John Cameron Mitchell (2011) mais bien "Dieu" soi-même par la médiation d’une voix off (mais probablement porte-parole de plusieurs personnes) et par le biais du récit poétique du livre de Job (j’y reviendrai).

Le film m’a semblé long, très long, trop long sur la durée de sa vision. Mais après cette nuit, je me suis souvenir m’être fait la même réflexion à propos du film Le bannissement où je disais aux quelques rares personnes que j’ai invitées à voir le film avec moi : ce film dure deux heures trente et elles sont indispensables !

A côté de liens que j’établis (à titre personnel ; aucune compétence cinématographique de ma part pour dire autre chose) avec Tarkovski mais surtout avec Andreï Zviaguintsev, j’ai pensé aussi à des images du Jardin extraordinaire (télévision belge) mais surtout d’Ushuaïa et parfois de Yann Arthus-Bertrand avec aussi certaines analogies avec des clips publicitaires pour des assurances, des boissons ou des huiles alimentaires... Mais cela fait-il tirer le film vers le bas ou ne dit-il pas quelque chose de l’amélioration de certaines publicités qui tirent vers le haut aujourd’hui et emprunte à certains moments à de grandes traditions du cinéma ?

C’est donc un maelström d’images, de musiques, de sons et d’émotion qui m’a emporté durant le film. Une beauté formelle aussi...
Mais, si j’ai parfois failli m’endormir durant le film (admettons que c’était dû au fait que j’avais soupé à 17h45, avant le film et que c’était la digestion qui faisait son office) à plusieurs reprises, je me suis posé la question "mais où veut-il en venir ?" et "est-ce que Malick n’est pas en train de se f**tre de ma gueule ?".

En sortant de la salle, après avoir regardé le générique tant bien que mal (parce que beaucoup n’en avaient rien à cirer) j’étais empli de jugements/émotions contradictoires : une jubilation et une détestation aussi intenses l’une que l’autre. Impossible de coter, noter ce film (une petite dizaine de spectateurs ont quitté le film au cours de la séance, les deux premiers après une heure).

En y réfléchissant dans le métro en rentrant à la maison, ensuite une partie de la nuit et ce matin encore, je me rends compte que ce qui m’a exaspéré était l’aspect "religieux". Si j’avais balancé à mes paroissiens un tel discours lors de mes prédications, je pense bien que j’aurai vidé une bonne partie de mon église (entendons de ceux et celles qui se sont acclimatés/habitués et ont apprécié la façon dont je tente de rendre compte du fait religieux aujourd’hui dans un indispensable respect du pluralisme et du coup la prise de conscience de la contingence du discours de ma religion et de sa non opposabilité aux tiers). Il est donc possible que Malick transmette ce qu’il a "reçu" de son éducation (que cette transmission soit volontaire ou se fasse malgré lui parce que cela l’habite est ici second, voire secondaire) mais ce message est inhérent à une bonne part de ses concitoyens/coreligionnaires et donc, pourquoi pas ?

Au-delà de cet aspect qui m’a sensiblement irrité et qui me semblait parfois plus proche de propagande new-Age ou scientologue (non sur le contenu mais sur la forme) il reste deux éléments importants à mes yeux.

Le premier s’exprime dès l’ouverture du film, opposant la grâce et la nature. La grâce étant du côté de "Dieu" (mes guillemets expriment ici une distance critique de ma part) et étant un possible pour l’homme ; la "nature" égoïste, travaillant pour elle-même à sa propre "survie", reproduction étant ici en tension avec la grâce. On comprendra éventuellement qu’il ne s’agit pas de (se) reproduire mais de transmettre, que s’agissant de transmission cela dépasse la simple reproduction d’un être à travers ses enfants (pour ne voir que l’aspect humain) et que la mort de l’un d’eux ne serait pas la fin de tout. Admettons. Me reste une immense interrogation. Il semble que tout une dimension du film vise à placer/intégrer "Dieu" dans une vision cosmique (éventuellement à la dimension "créative" de "Dieu" - en non ’créationniste’ dans le sens donné aujourd’hui par certains courants fondamentalistes). Mais que je sache, le cosmos - sauf à être panthéiste, ce que chacun peut être bien sûr - n’est pas "Dieu" mais est aussi la "nature". Et donc toutes les images présentées : familiales, cosmiques, ludiques, élégiaques, paradisiaques font partie de la "nature" justement opposée à la "grâce". Il y aurait donc, selon ma perception, une faille dans la structure même du récit et c’est probablement cela qui m’a irrité et me paraissait comme de type New-Age (au corps défendant de Malick probablement) et tout particulièrement dans les dix dernières minutes qui se voudraient paradisiaques !

Le deuxième me parait beaucoup plus fondamental : il s’agit de l’appel au poème de Job dans ce que les chrétiens appellent "l’Ancien testament". Connaître ce récit poétique (il ne s’agit pas d’une histoire "vraie" - il n’y a pas eu de ’monsieur Job’ ni de ’satan’ qui serait venu demander à ’Dieu’ de foutre le b*rdel chez Job - mais d’un poème encadré d’un prologue et d’un épilogue en prose et qui a connu plusieurs rédacteurs au fil des années de sa composition) peut apporter un clé de lecture du film de Malick.

Pourquoi le malheur arrive-t-il ? Qu’ai-je fait à "Dieu" pour mériter cela ? J’ai fait tant de bien et je ne suis pas récompensé. Tant d’autres font le mal et vivent dans l’opulence. Pourquoi ? Ce pourquoi tonitrué ou murmuré tout au long du film est à mon sens une des questions qui taraudent le film. Certains y verront une réponse "divine", ou cosmico-divine (les images de début et de fin) ; d’autres comme moi reprendront à leur compte ce qui est ma signature dans un forum religieux que je co-gère avec des croyants et non-croyants :
"- Qui est Dieu ?
 Tu sais, quand tu souhaites vraiment quelque chose, que tu fermes les yeux et que tu l’espères très fort. Eh bien, c’est le type qui t’ignore."
(Steve Buscemi, ...du moins son personnage dans le film « The Island » de Michael Bay)

A suivre dans cet article...



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