Synopsis : Helsinki. Deux destins qui se croisent. Wikhström, la cinquantaine, décide de changer de vie en quittant sa femme alcoolique et son travail de représentant de commerce pour ouvrir un restaurant. Khaled est quant à lui un jeune réfugié syrien, échoué dans la capitale par accident. Il voit sa demande d’asile rejetée, mais décide de rester malgré tout. Un soir, Wikhström le trouve dans la cour de son restaurant. Touché par le jeune homme, il décide de le prendre sous son aile.
Acteurs : Ville Virtanen, Tommi Korpela, Kati Outinen, Timo Torikka.
Bien que l’on ne puisse à proprement parler de cinéma "scandinave" pour le finlandais Aki Kaurismäki — puisque c’est improprement que l’on utilise le terme Scandinavie pour l’ensemble des pays nordiques — il y a quand même un air de famille avec d’autres réalisations du "Nord". Ainsi, le norvégien Ben Hamer, avec Kitchen Stories (Salmer fra kjøkkenet) ou Factotum ou Roy Anderson, avec sa fameuse "trilogie des vivants" dont le dernier volet du triptyque, Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l’existence (En duva satt på en gren och funderade på tillvaron) est sorti en mai 2015 en Belgique. Dans ces films il y a souvent une conjonction entre une forme absurde et une philosophie de l’existence. Il en est de même ici où Aki Kaurismäki traite d’un problème qui lui est cher, celui des immigrés et de l’accueil que son pays leur réserve.
Le réalisateur se focalise sur trois éléments : les immigrés qui arrivent clandestinement en Finlande, la politique d’accueil de son pays via ceux qui en sont chargés sur le terrain et enfin, ceux qui veulent garder la pureté du pays et de la race finlandaise ! Il le fera par la rencontre de destins individuels, ceux de Wikhström et de Khaled ! Alors que leurs vies devaient être des trajectoires parallèles et donc destinées à ne jamais se croiser, si ce n’est à l’infini, ici le hasard de l’existence les mettra en contact.
Ce seront autant de tableaux d’une exposition que le réalisateur nous fera découvrir. Depuis l’ouverture avec un homme, gueule noire, qui s’extrait d’un tas de charbon dans les soutes d’un navire ou d’un autre homme, qui lui s’extrait de son domicile après une dispute/discussion avec son épouse alcoolique. L’un a quitté la Syrie avec sa soeur qu’il a perdue en cours d’une dangereuse pérégrination pour se retrouver dans un pays qui n’était pas sa destination. L’autre se retrouvera dans une salle de jeux clandestins où il se fera assez d’argent pour réaliser un rêve, posséder son restaurant.
Le premier se rendra à la police pour demander l’asile et il découvrira la machine bien huilée, parfaitement au point, mis en place pour accueillir les gens comme lui. Et tout cela semble d’une propreté médicale sans cependant de véritable empathie. Il ne trouvera celle-ci que chez une des accueillantes du centre d’accueil qui sera un havre temporaire. La vie dans le centre fait place à la quête de reconnaissance de son statut... refusé puisque la Syrie est un pays sûr affirment les juges alors même que la télévision finlandaise montre les images de bombardement du même pays si sûr !
Ne sachant où se rendre, ne sachant où trouver sa soeur, ne sachant comment se dérober aux nazillons qui veulent l’agresser... Khaled se réfugie dans le coin poubelle du restaurant que vient d’acquérir Wikhström, le deuxième. Ces deux-là vont finalement mettre en commun l’humain qui les habite. Ce seront autant de scènes qui pourraient être des sketches (ainsi de la scène où Khaled est enfermé dans les toilettes des femmes avec un aspirateur et un chien recueilli par la serveuse parce qu’il y a un contrôle des services sociaux ou sanitaires... et lorsque Khaled sort, il annonce qu’il a converti le chien à l’Islam !), mais sont autant de tableaux dramatiques (ainsi une autre scène où les trois nazillons reviennent à la charge pour bouter le feu à Khaled ou le poignarder).
L’Etat fonctionne si bien, tout est parfait dans le meilleur des mondes (où même la police ne détecte pas une fausse carte d’identité - là aussi occasion de scènes cocasses et absurdes à la fois). Mais Khaled retrouvera-t-il sa soeur, une identité, une vie et Wikhström l’amour ?
Un très beau film, très humain à découvrir pour les questions soulevées et qui ne concernent pas que la Finlande. Les cinéphiles qui aiment le cinéma de Kaurismäki seront en terrain connu. Un territoire qui mérite d’être exploré par d’autres, même s’il faudra faire quelques efforts pour marcher sur ces terres qui leur sont inconnues !
Les acteurs principaux ainsi que les seconds rôles sont au service d’un film que l’on pourrait qualifier de "politique" au sens noble du terme et des intentions du réalisateur : "Avec ce film, je tente de mon mieux de briser le point de vue européen sur les réfugiés considérés tantôt comme des victimes objets de notre apitoiement, tantôt comme des réfugiés économiques qui avec insolence veulent prendre notre travail, nos femmes, nos logements et nos voitures.
La création et le développement de nos préjugés en stéréotypes ont une sombre résonance dans l’histoire de l’Europe. L’autre côté de l’espoir est, je l’avoue volontiers, un film qui tend dans une certaine mesure et sans scrupules à influer sur l’opinion du spectateur et essaie de manipuler ses sentiments pour y parvenir.
Cette tentative évoquée ci-dessus va naturellement échouer, mais il en reste, j’espère, un film intègre, un peu triste, porté par l’humour et un peu réaliste sur les destins de quelques hommes dans ce monde aujourd’hui.". L’on ne peut qu’apprécier cette démarche d’Aki Kaurismäki qui, très lucide, n’est pas dupe de l’impossible succès de sa démarche.