Synopsis : Thomas, ingénieur du son de la trentaine, habite dans le studio d’enregistrement de Wyatt, son patron alcoolique. Reclus dans ses sons, il vit dans le souvenir d’une liaison amoureuse et ne fait plus que ce qui le passionne, des portraits sonores. Amina, jeune marocaine solaire, s’impose dans sa vie pour, semble-t-il, fuir la sienne. Rapidement, elle se livre et devient un sujet rêvé de portrait. Thomas se laisse séduire. Mais pour savoir qui est Amina, il devra tendre son micro, de la banlieue au Maroc, et réapprendre à écouter.
Acteurs : Baptiste Sornin, Eminé Meyrem, Naidra Ayadi, Bernie Bonvoisin, Bruno Clairefond
En résumé : Sonar invite à ouvrir les yeux sur des destins qui se frôlent, s’affrontent et se croisent, mais plus encore à ouvrir les oreilles, car le son, les ambiances sonores, les bruitages sont constitutifs et essentiels de ce film sonore et « parlant » ! Un film qui est un audiogramme presque "documentaire", bénéficiant là de l’expérience de documentariste de son réalisateur.
Jean-Philippe Martin réalisateur et scénariste
Sonar avait été présenté en compétition au Festival International du Film de Namur de cette année 2016 et à fait les honneurs de la ré-ouverture du BE FILM Festival le 26 décembre 2016 à BOZAR.
Après deux courts-métrages (BBBRrrOOmm, 2002, et Lapin aux cèpes, 2006) Jean-Philippe Martin réalise deux documentaires, Manou Gallo femme de rythme en 2006 et L’homme qui cache la forêt (tourné au Laos) en 2011. Cette année, il présente son premier long métrage de fiction qui portait comme titre de travail De là où tu es tu peux m’entendre, dont on peut dire, en jouant sur les mots, qu’il est parlant ! Comme pour tous ses films précédents, Jean-Philippe Martin est également aux commandes du scénario.
Le synopsis ci-dessus fournit le canevas de l’intrigue. L’internaute qui veut en savoir plus, lira le cas échéant la critique que fait Aurore Engelen sur le site Cineuropa : « Sonar ou l’immersion sonore ». C’est bien dit, tant pour résumer l’intrigue et les enjeux du film que pour en donner quelques clés de lecture.
Echolocalisation en eaux profondes
Sonar, c’est l’invention utile et utilisée dans les sous-marins pour se repérer dans les profondeurs des océans où il n’y a rien à voir et pas de points de repère. Mais rien n’a été inventé là puisque la Nature en connaît le principe, c’est celui qu’utilisent notamment les chauves-souris dont le film se fait d’ailleurs l’écho (!). Tout l’intérêt et la richesse de Sonar sont dus à cette mise en image du son. Le protagoniste principal « photographie » les sons ! L’affiche du film est en ce sens parlante, signifiante. Là où l’on a l’habitude de voir des photographes et vidéastes enregistrer des images, il nous est donné de voir un homme qui aime écouter et entendre. Des sons, des bruits, des voix. Il est dans la ville, la campagne, les maisons, avec un micro au bout d’une perche. A l’opposé du selfie qui serait la pire perversion de l’image, exacerbation ultime de l’individu qui fait le focus sur lui-même (et Internet de façon cruelle se fait parfois l’écho de telles situations), la captation sonore est ici orientée vers l’extérieur, un hors soi tendu vers le son. Le micro capte. Le casque couvre les oreilles, élimine les sons parasites pour faire le focus sur ceux que Thomas veut capturer.
Seule cette passion compte, lui qui a perdu celle qu’il aimait ou croyait aimer et que le spectateur découvrira par la médiation de sons, d’une voix plutôt, d’une construction sonore pour faire mémoire. Et là où certains gardent une photo de celles qu’ils ont aimées [comme Leon garde une photo froissée d’Eva ou d’autres conservées dans son smartphone dans Low Notes de Laurier Fourniau (2016)], Thomas garde des portraits sonores.
Créer du sens avec des sons
Seuls comptent son univers et sa passion et tout comme il entre dans le monde coiffé d’un casque qui l’isole dans sa bulle, celle-ci, s’étend symboliquement à l’univers qui l’entoure dont il veut probablement se protéger. Et lorsque qu’une jeune marocaine joue l’incruste et lui met le grappin dessus, il est sur la défensive. Eminé Meyrem (Amina) est ici très crédible et suscite quasiment de l’antipathie par rapport à l’empathie que l’on peut avoir vis-à-vis de Thomas, replié sur lui-même. La suite de l’histoire développe deux axes dont l’un est mineur, la relation avec Wyatt, le propriétaire du studio d’enregistrement q’utilise Thomas. Cette partie du récit vient presque parasiter (en jouant aussi sur le sens ‘sonore’ du verbe) l’intrigue principale. Elle n’est pas essentielle et Sonar aurait probablement gagné en densité s’il avait gardé uniquement son focus sur Thomas et Amina ou plutôt sa quête de celle-ci. C’est qu’elle ne dit pas toute la vérité et se trouve parfois dans le mensonge véritable. S’agit-il d’une tactique, d’un calcul, d’une stratégie de défense, de protection ? Quoi qu’il en soit, la disparition soudaine d’Amina va créer un manque et le besoin de la connaître et cela d’autant plus que Thomas avait commencé son portrait sonore. Pas volontairement ou sciemment au début. Simplement qu’une voix, mais une voix qui raconte une histoire (et il s’agit ici, aussi, de jouer sur le sens de l’expression ‘raconter des histoires’ !) a touché une corde sensible chez Thomas qui va entrer en résonance avec sa vie, ses questions, ses doutes, ses amours. Thomas, va enquêter, en quête de sons pour (re)construire une Amina qui n’est pas celle qu’il croyait, celle qui se donnait… à entendre !
S’éloigner pour se rapprocher
Ce sera paradoxalement en s’éloignant d’elle, pour aller vers l’origine, vers le Maroc, les proches, la parentèle, mais aussi d’anciennes relations de « travail » qu’il va la découvrir (au sens ici d’enlever la couverture qui la protégeait, qui empêchait de la voir). Il va donner la parole, écouter, entendre, capter, figer ces sons qui feront sens pour construire une identité. Pour exprimer des blessures qui semblaient toujours ouvertes et que l’on voudrait oublier à jamais. De son côté, sur le Vieux Continent, Amina ne peut accepter ce que Thomas fait là-bas, arrachant des bribes de paroles, des mots qu’elle ne veut pas voir venir au jour, qu’elle ne veut pas qu’il entende, elle qui voulait dresser une clôture [et je joue aussi sur le sens de clôture monastique qui délimite pour certaines le lieu où l’on fait silence, et où l’on (se) tait] avec son passé et les siens. Elle ne peut accepter que se fasse jour son histoire en sons ! Et c’est pourtant là que pourra se donner à connaître le génie du preneur de sons. Si la démarche se veut au départ créatrice pour être rentable, soit donc commerciale, elle sera créatrice autrement ! En travaillant le portrait sonore d’Amina, en donnant voix à des sons qu’elle pensait dissonants, Thomas qui a vu là-bas, croira ce qu’il a entendu. Derrière les mots, tendres ou violents, il a donné identité et sens à celle qui est venue heurter de front la trajectoire de sa vie. Au-delà des mensonges et d’un passé trouble, il va donner à Amina les instruments d’une possible réconciliation. Avec elle-même, les siens et un potentiel avenir. Avec Thomas ou pas ?